Gisants de Richard Cœur de Lion (au premier plan) et d'Isabelle d'Angoulême (au second plan) à l'abbaye de Fontevraud.
Un gisant est une sculpture funéraire de l'art chrétien représentant un personnage couché (par opposition à orant ou priant) généralement à plat-dos, vivant ou mort dans une attitude béate ou souriante (par opposition au transi), l'effigie étant habituellement placée sur le dessus d'un cénotaphe ou, plus rarement, d'un sarcophage. C’est, lorsqu’il existe, l'élément principal de décoration d’un tombeau ou d’un enfeu. Par extension, un gisant gravé ou sculpté en bas ou demi-relief sur une dalle funéraire peut également représenter l'effigie d'un grand personnage.
Étymologie
Gisant est le participe présent du verbe gésir : être couché, étendu (généralement malade ou mort). Le même verbe est employé dans la formule « ci-gît » (ici repose).
Évolution du style
Le gisant est généralement associé à l'iconographie médiévale mais il est une résurgence païenne antique, un débat historiographique existant pour savoir si le gisant médiéval s'inspire du gisant antique. Les gisants étrusques sont éveillés et sur leur séant. Les gisants romains sont représentés dans des attitudes de sommeil ou de convive, à demi-couché sur un « lectus triclinaris ».
Au Moyen Âge, les aristocrates français et anglais préfèrent l'embaumement au mos Teutonicus (technique funéraire d'excarnation), pratiquant pour certains une partition du corps (dilaceratio corporis, « division du corps » en cœur, entrailles et ossements) avec des sépultures multiples qui devient à partir du XIII siècle un privilège de la dynastie capétienne dans le royaume de France (majoritairement les rois, parfois les reines ou les proches). Cette dilaceratio permet la multiplication des cérémonies (funérailles du corps, la plus importante, puis funérailles du cœur et funérailles des entrailles) et des lieux (avec un tombeau de corps, un tombeau de cœur et un tombeau d'entraille) où honorer le roi défunt. Pour chacun de ces tombeaux, on réalise un gisant différent : gisant d'entrailles pour le tombeau des viscères, gisant de cœur pour le tombeau du cœur, et gisant de corps pour le tombeau du reste du corps. On identifie un gisant d'entrailles par la présence d'un petit sac dans une main, et un gisant de cœur par la présence d'un petit cœur ou d'un petit sachet censé le contenir, sculpté dans la main gauche du personnage et posé sur son cœur .
Les gisants médiévaux les plus anciens, exécutés dans la pierre, représentent le personnage debout, comme en témoigne la manière dont tombe le plissé des vêtements. À partir du XIII siècle, ils sont parfois exécutés dans des matériaux plus précieux (bronze, cuivre doré ou émaillé).
Par la suite, le personnage est représenté couché, mais vivant, à plat-dos, à l'exception des chevaliers anglais des XIII siècle et XIV siècle représentés « en mouvement » (couchés sur le flanc, jambes croisées et dégainant leur épée).
Au XII et XIII siècles av. J.-C., les gisants gardent les yeux ouverts et leur attitude rappelle celle de personnes vivantes. Vers le milieu du XIV siècle, les sculpteurs ferment leurs yeux, leur donnant l'apparence du sommeil mais pas de la mort. Au cours du dernier tiers du XIV siècle, on représentera des cadavres réalistes, les transis avec leurs têtes posées sur un coussin. Originalité du XVI et XVII siècles av. J.-C., le demi-gisant (appelé aussi accoudé) qui s'appuie sur l'un de ses bras s'inspire de la statuaire étrusco-romaine. À partir du XVII siècle, le gisant tend à disparaître au profit de l'orant
VI siècle : gisant gravé sur dalle funéraire (Frédégonde)
XIII siècle : gisant couché (Aliénor d'Aquitaine)
XVIII siècle : gisant réaliste (Mise au tombeau du Christ)
Demi-gisant XVII siècle
Le gisant peut représenter soit le personnage lui-même, habituellement dans une habitude pieuse (joignant les mains, comme pour prier, ou lisant un livre saint), royale (une main tenant le sceptre royal) ou se reposant ou même le Christ.
Exemples de gisants
XI siècle
Gisant sur le tombeau du duc d’Aquitaine Guillaume VIII (1027-1086)
XII siècle
Gisant de pierre de Sibylle de Jérusalem (ou de Lusignan), sœur de Baudouin IV, comte de Namur et roi de Jérusalem, dans l'église de Namêche (Belgique). Sur cette pierre tombale, on peut lire l’inscription suivante : « Yci reposent les ossements de Sybille de Lusignant, reine de Jérusalem, décédée en l'an 1187 ».
Gisants de l'abbaye de Fontevraud : Henri II Plantagenêt (1133-1189) Richard Cœur de Lion (1157-1199)
Henri II Plantagenêt (1133-1189)
Richard Cœur de Lion (1157-1199)
Gisants de la cathédrale de Rouen Hugues III d'Amiens, premier abbé de Reading en Angleterre, puis archevêque de Rouen
Hugues III d'Amiens, premier abbé de Reading en Angleterre, puis archevêque de Rouen
Gisants de la collégiale Notre-Dame-et-Saint-Laurent d'Eu Laurent O'Toole, archevêque de Dublin
Laurent O'Toole, archevêque de Dublin
XIII siècle
Gisant de Richard Cœur de Lion à Rouen
Gisants de la cathédrale Notre-Dame de Rouen Richard Cœur de Lion (1157 - 1199) Henri le Jeune, son frère aîné
Richard Cœur de Lion (1157 - 1199)
Henri le Jeune, son frère aîné
Gisants de l'abbaye de Fontevraud : Aliénor d'Aquitaine (1122-1204) : gisant couché en tuffeau polychrome, représentée à une trentaine d’années, coiffée de la couronne royale, avec pour la première fois en Occident médiéval le thème de la femme lectrice (lisant probablement un psautier) Isabelle d'Angoulême (1188-1246)
Aliénor d'Aquitaine (1122-1204) : gisant couché en tuffeau polychrome, représentée à une trentaine d’années, coiffée de la couronne royale, avec pour la première fois en Occident médiéval le thème de la femme lectrice (lisant probablement un psautier)
Isabelle d'Angoulême (1188-1246)
XIV siècle
Les plis du vêtement du gisant de Clément VI illustrent que la majorité des gisants de cette époque ne sont pas sculptés allongés, mais debout.
Gisants en marbre blanc des ducs Jean II (?-1305) et Jean III (1286-1341) de Bretagne, aujourd'hui dans l'église Saint-Armel de Ploërmel
Gisant de Jeanne d'Évreux (1307-1371), reine de France, un des premiers personnages à s'être soucié de son vivant de faire exécuter le gisant de son futur tombeau
Gisant en granite de Jeanne (?-1388), héritière de Bretagne, dans l'église abbatiale Saint-Gildas de Rhuys
Philippe II de Bourgogne (Dijon)
Gisant en cuivre de Blanche de Champagne-Navarre, duchesse de Bretagne, à l'abbaye d'Hennebont, aujourd'hui au Louvre
Gisant d’Isabelle d’Artois à Eu
Gisant de Guillaume Longue-épée dans la cathédrale de Rouen
Gisant d’Isabelle d’Artois dans la collégiale d’Eu
XV siècle
Gisant de Louis de Sancerre (1342-1402), connétable de France, dans la basilique de Saint-Denis
Gisants en marbres blanc et noir d'Olivier V de Clisson (1336-1407), connétable de France, et de sa femme Marguerite de Rohan, dans l'église de Josselin
Gisant en granit attribué à Robert (?-1408) seigneur de Beaumanoir, à l'abbaye Saint-Magloire de Léhon
Gisant en granit attribué à Guillaume Le Voyer (?-1415), à l'église de Trégomar.
Gisant en granit de Beatrix Péan et sarcophage de son mari Guillaume de Goudelin (?-1420), vicomte de Pléhédel, dans l'église de Goudelin
Gisant sur le tombeau d'Agnès Sorel (1422-1450) à Loches
Gisant en bois de Gilles de Bretagne (?-1450), à l'abbaye Notre-Dame de Boquen (Plénée-Jugon, Côtes-d'Armor), aujourd'hui au musée de Saint-Brieuc
Gisant en marbre blanc de Charles-Orland (1495) et Charles (1496), dauphins et princes héritiers de Bretagne, dans la cathédrale de Tours
Gisant de la reine du Danemark Marguerite Ire de Danemark (1353-1412), dans la cathédrale de Roskilde au Danemark.
Tombeau et gisant de Philippe le Hardi au palais des ducs de Bourgogne.
Gisant de Jean sans peur par Claus de Werve, Jean de la Huerta et Antoine Le Moiturier (palais des ducs de Bourgogne).
Gisant de Louis de Sancerre à la Basilique Saint-Denis
Gisant d'albâtre de Ralph Neville dans l'église de Staindrop (comté de Durham).
Gisant de la reine Marguerite Ire de Danemark.
XVI siècle
Le double visage de la Prudence, détail du tombeau de François II de Bretagne
Tombeau de François II de Bretagne (1435-1488) et de sa femme Marguerite de Foix-Navarre, aujourd'hui dans la cathédrale de Nantes, réalisé en marbres blanc, noir et rouge, sculpté par Michel Colombe de 1502 à 1507
Cinq gisants sculptés par Conrad Meit en marbre de Carrare: deux superposés de Philibert le Beau (1480-1504) sur son tombeau et deux de même manière de son épouse Marguerite d'Autriche (1480-1530) sur le sien, et un seul de sa mère Marguerite de Bourbon (1438-1483), dans l'église Saint-Nicolas-de-Tolentin de Brou
Gisants en marbre de Jacque Guibé (?-1509), capitaine de Rennes et vice-amiral de Bretagne, aujourd'hui au musée de Bretagne à Rennes
Gisants en marbre d'Anne de Bretagne (1477-1514), duchesse, reine de France et de Sicile, et de son mari Louis XII (1462-1515) dans la basilique de Saint-Denis, et leurs priants
Gisants en kersanton de Philippe de Montauban (?-1514), chancelier de Bretagne, et de sa femme Anne du Chastellier dans l'église Saint-Armel de Ploërmel.
Gisants en marbre de Claude de France (1499-1524), duchesse de Bretagne et reine de France, et de son mari François I (1494-1547) dans la basilique de Saint-Denis, et leurs transis et priants
Gisant de George Talbot (1468-1538) et de ses deux épouses (chapelle des Shrewsbury dans la cathédrale de Sheffield).
Gisant de Philippe Chabot (1492-1543), amiral de France, au Louvre
Gisant de Jean III de Trazegnies et de son épouse Isabeau de Werchin (1550). Église Saint-Martin (Trazegnies) Belgique
XVII siècle
Gisant de Gillion-Othon de Trazegnies et de son épouse Jacqueline de Lalaing sculpté par Lucas Fayd'herbe (1669).
Gisant en marbre noir de Theux de Conrard de Gavre (1602), prévôt de Saint-Martin, dans la basilique Saint-Martin de Liège
Gisant de Gillion-Othon I de Trazegnies et de son épouse Jacqueline de Lalaing sculpté par Lucas Fayd'herbe (1669). Église Saint-Martin Belgique
XVIII siècle
Mise au tombeau de saint Thégonnec, dans la crypte de l'ossuaire de l'enclos paroissial de Saint-Thégonnec
XIX siècle
En 1891, la dépouille de Victor Noir, devenue un symbole républicain, est transférée au Père-Lachaise. Jules Dalou réalise son gisant, en bronze tel qu’il était juste après le coup de feu. La bouche est ouverte et les mains sont détendues.
En 1893, le sculpteur nancéien Victor Huel père réalise le gisant de Simon Moycet (mort en 1520) pour la basilique de Saint-Nicolas-de-Port.
En 18**, l’abbé Jean-Baptiste Gerin, curé de la cathédrale Notre-Dame de Grenoble pendant presque trente ans, appelé le « curé d’Ars de Grenoble », son gisant est représenté sous un baldaquin en forme de chapelle à claire-voie. Il est depuis constamment fleuri.
Gisant de Victor Noir par Jules Dalou (1891), cimetière du Père-Lachaise.
Gisant de Simon Moycet par Victor Huel père (1893), basilique de Saint-Nicolas-de-Port.
Gisant de l’abbé Gerin par Aimé Charles Irvoy (18**), cimetière Saint-Roch.
XX siècle
Au XX siècle, les gisants semblent ne rester l'apanage que de grands personnages, ou de princes. On peut notamment voir à Rome les gisants des papes Benoît XV (1922) et Pie XI (1939).
Le gisant de Benoît XV à Rome
Le gisant de Pie XI à Rome
Gisante à Suresnes
Gisants de l'empereur Pedro II du Brésil et sa famille dans la Cathédrale de Petrópolis, Brésil