Une symphonie est une composition instrumentale savante, de proportions généralement vastes, comprenant plusieurs mouvements joints ou disjoints, et faisant appel aux ressources de l'orchestre symphonique.
Le mot lui-même, directement emprunté au grec, apparaît vers le XVI siècle dans le vocabulaire musical des principales nations européennes. À l’origine, pris dans son sens étymologique, il est presque synonyme de « musique » et peut désigner indifféremment n’importe quelle sorte de composition, à l’exception, sans doute, de la monodie pure. Cependant, l’usage tend à limiter son application à la musique instrumentale – par opposition à la musique vocale – et plus spécialement à la musique d’ensemble. Puis, peu à peu, il en vient à désigner un certain genre d’écriture et un certain type de concert, et enfin une forme particulière d’œuvre pour orchestre, assez rigoureusement définie, dont Haydn, Mozart et Beethoven donnent des illustrations magistrales. Mais déjà prend naissance, dès les premières années du XIX siècle, une tradition symphonique qui s’éloignera de plus en plus du modèle classique. C’est à peine si l’on peut encore parler de forme à propos de la symphonie, qui ne cesse d’évoluer, enrichissant sa palette et modifiant sa syntaxe au point d’en faire éclater les structures. Aujourd’hui, la pâte symphonique, nourriture quotidienne de tous les orchestres du monde entier, dépasse largement le cadre de la symphonie.
Provenant étymologiquement du grec σύν (syn), signifiant avec et φωνή (phônê), signifiant voix ou son, le terme fait référence à la consonance des sons. Au Moyen Âge, la chifonie (ou chifoine) désigne un instrument, ancêtre de la vielle à roue, qui fait intervenir plusieurs cordes (donc plusieurs notes) simultanément. Au début du XVI siècle, le terme s'étend aux œuvres polyphoniques destinées aux instruments, puis s'applique à toutes compositions instrumentales par opposition à la musique vocale.
Ce n'est que dans le deuxième tiers du XVIII siècle, en pleine période de classicisme que le genre est fixé dans son acception actuelle.
Historique
L'évolution de sa structure est parallèle à celle de la forme sonate tant dans l'agencement des différents mouvements que dans la construction interne de chacun d'eux. Mis en place lentement au cours du XVIII siècle – les musicologues dénombrent 7 000 œuvres entre 1740 et 1800 –, la forme se développe grâce aux symphonistes de la période romantique naissante, par exemple en 1824 la « neuvième symphonie » de Ludwig van Beethoven. Mais certains compositeurs s'affranchissent de ce cadre, tel Hector Berlioz, six ans plus tard en 1830, dans sa « Symphonie fantastique ».
Il ne faut pas non plus oublier le rôle de la sinfonia d'ouverture à l'italienne (c'est-à-dire deux mouvements vifs qui encadrent un mouvement lent) de l'opéra qui marquera aussi de son empreinte la naissance de cette forme à succès.
Le nombre de mouvements qui constituent la symphonie varie, pouvant aller de un à huit ou davantage, mais, dans sa forme la plus classique (haydnienne) il est de trois ou, encore plus fréquemment, de quatre.
L'œuvre est interprétée par un orchestre symphonique (on emploie aussi l'expression orchestre philharmonique) sous la direction d'un chef d'orchestre, apparu en tant que tel autour de 1810/1820. Ce dernier est chargé de garantir la justesse rythmique, de surveiller la balance sonore, de maîtriser les détails, la cohérence ou les équilibres et surtout d'insuffler un esprit commun à cent instrumentistes.
Au XVIII siècle, la symphonie remplace progressivement le concerto grosso, pour les grands ensembles musicaux. Avant Mozart, c'est surtout Joseph Haydn qui contribua à fixer sa forme, lui donnant ses lettres de noblesse. Mais c'est Ludwig van Beethoven qui en fit l'une des formes musicales les plus prestigieuses du répertoire classique, agrandissant l'orchestre jusqu'à ajouter un chœur dans le final de sa neuvième symphonie. Il a été suivi par les compositeurs romantiques (Weber, Schubert, Berlioz, Schumann, Brahms, Dvořák, Saint-Saëns Tchaikovski...), puis post-romantiques (Mahler, Rachmaninov, Sibelius, Vaughan Williams...) et enfin modernes (Ives, Enesco, Prokofiev, Chostakovitch, Martinů, Milhaud, Tippett, Hartmann...).
Si le XIX siècle a créé le poème symphonique qui libère nombre de compositeurs du cadre rigide d'une grande forme, une autre prend vie au XX siècle : le concerto pour orchestre, défendu par Bartók. Toutefois, la symphonie reste encore parmi les formes musicales privilégiées par un grand nombre de compositeurs contemporains par ses potentiels de renouvellement et ses possibilités protéiformes, par exemple d'éclatement de l'orchestre : Elliott Carter (Symphonie de trois orchestres) ou Henri Dutilleux (Symphonie le Double).
Certains compositeurs étaient d'excellents orchestrateurs, sans pour autant avoir composé des œuvres orchestrales strictement apparentées à la symphonie. On pense par exemple à Maurice Ravel et à Modeste Moussorgsky.
Il est quelquefois difficile de classer une œuvre orchestrale comme symphonie, tant le genre a évolué au cours du XIX siècle et du XX siècle.
Au-delà des chiffres
L'investissement personnel du compositeur se mesure à la diminution du nombre de symphonies composées au cours d'une carrière : dans ce domaine, la qualité et le caractère personnel de l'inspiration deviennent incompatibles avec une production de série : si Haydn compose 104 symphonies (107 selon certaines sources), Johann Melchior Molter 170 et Ignaz Holzbauer 200, Mozart n'en écrit pas plus de 41 et Beethoven 9.
Cela dit, toute comparaison par les chiffres est forcée et peut-être même déplacée. Il faut donc citer certains compositeurs, ayant, pour des raisons multiples, abordé une seule fois le genre. D'abord les incontournables Franck, Chausson, Bizet ou Dukas et ajoutons même La Mer, chef-d'œuvre de Debussy, qui est une symphonie sans le nom. Toutes ces œuvres capitales pour l'histoire de la musique et notre admiration, marquent et nourrissent sans doute plus la vie musicale que les dix de Joseph Joachim Raff, les douze de Darius Milhaud ou les soixante-sept d'Alan Hovhaness.
Et puis, il faut attirer l'attention sur quelques symphonies à (re)découvrir : Cherubini (unique symphonie de maturité), Arriaga (unique symphonie d'un compositeur mort à vingt ans), Rott (unique symphonie d'un compositeur mort à vingt-six ans dont le style était très proche de Bruckner et de Mahler ; Rott est une sorte de chaînon manquant entre les deux grands symphonistes), Paul Dukas, Zoltán Kodály qui satisferont les curieux du contenu plus que de retenir des chiffres affolants des Haydn et autres Segerstam.
Évolution de l'orchestre
La composition de l'orchestre symphonique a évolué avec le temps.
À l'époque pré-classique (1730 - 1760) l'orchestre se compose principalement des cordes (violons I et II, altos, violoncelles et contrebasses (jouent ensemble)) avec la basse continue (Cf. : Carl Philipp Emanuel Bach ; Wilhelm Friedemann Bach ; Anton Fils ; François-Xavier Richter ... ) auxquels peuvent s'ajouter un nombre réduit d'instruments à vent : généralement deux cors ainsi qu'une seule paire d'instruments de la famille des bois (généralement : deux flûtes traversières ou deux hautbois) avec parfois un basson utilisés pour soutenir la basse continue ; la trompette est rarement utilisée ainsi que la clarinette encore peu développée à l'époque.
Les symphonistes de la période classique tel que Haydn et Mozart enrichissent l'orchestre qui peut comprendre dans sa formation alors maximum et en plus des cordes : 2 flûtes traversières ; 2 hautbois ; 2 clarinettes ; 2 bassons ; 2 cors ; 2 trompettes et timbales - Le contrebasson et le trombone étant réservés à l'opéra et à la musique religieuse. Cet effectif peut être parfois légèrement augmenté comme pour la Symphonie nº 100 en sol majeur, « Militaire » de Haydn qui utilise en plus de l'effectif cité ci-dessus : un triangle, une grosse caisse et des cymbales.
L'effectif s'élargit parfois comme dans la symphonie nº 25 de Mozart (Sol mineur) qui emploie 4 cors au lieu de deux. Beethoven agrandit ensuite notablement cet effectif : dans sa cinquième symphonie : un piccolo, un contrebasson et 3 trombones ; il culmine avec sa neuvième symphonie où l'orchestre comprend, outre les cordes : 1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois,2 clarinettes, 2 bassons, 1 contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 2 timbales, 1 triangle, 1 grosse caisse, des cymbales et (innovation majeure) 1 soprano, 1 alto, 1 ténor, 1 basse et 1 chœur.
La harpe apparaît dans la forme symphonique avec la Symphonie fantastique de Berlioz en 1830, mais elle était utilisée parfois dans l'orchestre depuis au moins 1810, car c'était un instrument très populaire (voir œuvres de Salieri ou Spohr) .
Puis dans un sillon initié par la musique de Wagner, les effectifs ne cessent de grossir avec l'orchestre de Schumann, Brahms, puis Bruckner, Mahler et leurs descendants.
À l'instar de Beethoven, d'autres compositeurs ont utilisé des voix comme Gustav Mahler dans quatre de ses symphonies (les numéros 2, 3, 4 et 8) ou Chostakovitch dans ses Troisième, Treizième et Quatorzième Symphonies.
L'orchestre symphonique peut inclure également un piano ou un orgue (Camille Saint-Saëns), mais le plus souvent un célesta.
Une autre transformation de la symphonie est née avec Mahler, c'est la symphonie vocale, pour un soliste ou plus, sur un texte poétique. Le Chant de la terre (composé entre 1907 et 1908) marque cette tentative (quasi parfaite, on peut le dire) de fusionner lied et symphonie, et notons-le, au service d'un pessimisme des plus profonds, comme bien plus tard l'extraordinaire Quatorzième de Chostakovitch. La structure symphonique dans le Das Lied est respectée même pour le Scherzo qui occupe les quatrième et cinquième mouvements. Mahler avait déjà dans la Symphonie n° 4 (1901) inauguré le principe, mais dans un seul mouvement.
Arthur Honegger, dans sa Deuxième symphonie de 1941, infléchira la démesure de l'orchestration au service d'une intensité nouvelle que réclame le contexte dramatique, en n'utilisant que les cordes et une trompette solo dans le choral du finale où la musique retrouve la lumière de l'espoir.
Symphonie pour instrument soliste
En dehors de l'orchestre, l'orgue est le seul instrument soliste pour lequel plusieurs compositeurs ont écrit des symphonies.
Suivant le mouvement de l'évolution musicale, la facture d'orgue française du XIX siècle, après une courte période dite de l’orgue romantique, aboutit à l’orgue symphonique sous l'impulsion du facteur d'orgues Aristide Cavaillé-Coll et de plusieurs organistes. La symphonie pour orgue se révèle donc comme la fille de l'école française d'orgue. C'est cependant un genre nouveau, qui rompt avec la tradition classique de l'orgue et cherche, tant par la forme que par les timbres, à se rapprocher de l'orchestre. Elle participe d'un renouveau sans précédent dans l'histoire de la musique d'orgue, tant du point de vue des nouveaux principes de composition et de registration qu'elle engendre que des nouvelles techniques de jeu qu'elle demande à l'interprète.
Signalons également l'existence de la Symphonie pour piano solo, de Charles-Valentin Alkan, extraite de ses Douze études dans les tons mineurs, op. 39 (numéros 4 à 7). Cette symphonie se distingue de la sonate ordinaire pour piano par son écriture, plus massive et plus orchestrale, qui lui vaut sa dénomination.
La « malédiction » de la neuvième
C'est après Beethoven qu'est née la légende de la « malédiction de la neuvième symphonie », qui serait fatale aux compositeurs. En effet, tous les grands compositeurs symphonistes du XIX et du début du XX siècle ont composé au plus neuf symphonies (Schubert, Dvořák, Bruckner, Mahler et Vaughan Williams en ont composé, comme Beethoven, exactement neuf). Il faudra attendre le XX siècle pour que Chostakovitch brise la « malédiction » en ne complétant pas moins de quinze symphonies.
Tous les musiciens d'envergure du XIX se mesurent à l'aune du maître Beethoven et aucun n'y échappe. Il est donc possible de voir en cette « malédiction » une sorte de fascination beethovénienne en mouvement. D'autres œuvres comme le concerto pour violon a marqué les compositeurs qui se confrontaient au genre. Brahms et Tchaikovski ne composent eux aussi qu'un seul concerto... en ré majeur, comme leur aîné. Beethoven, même au-delà du XIX siècle, étreint chaque compositeur qui doit lutter pour espérer franchir un au-delà musical si loin repoussé et avec force par Ludwig van Beethoven. À la fois humaine et inhumaine figure du musicien, l'image de Beethoven alimente ce qui reste une légende.