« Comment l'état de pauvreté peut être agréable » (Diogène dans son tonneau et Cratès renonçant à la richesse pour la vertu). Extrait du Livre des bonnes mœurs de Jacques Legrand, v. 1490.
La morale (du latin moralitas, « façon, caractère, comportement approprié ») désigne l'ensemble des règles ou préceptes relatifs à la conformation de l'action humaine aux mœurs et aux usages d'une société donnée.
Ces règles reposent sur la distinction entre des valeurs normatives : le bien et le mal. En ce sens, son domaine se distingue de ceux de la Logique (dont les valeurs sont le vrai et le faux), du droit (le juste et l'injuste), de l'Art (le beau et le laid), de l'économique (l'utile et l'inutile), etc.. C'est d'après ces valeurs que la morale fixe des principes d'action, qu'on appelle les devoirs de l'être humain, vis-à-vis de lui-même, ou des autres individus, ou de l'ensemble de la société, ou d'idéaux plus élevés (la Tradition, l'Harmonie, la Paix, Dieu, etc.), principes qui définissent ce qu'il faut faire et comment agir.
Il y a deux formes d'attitude contraire à la morale, l'immoralité qui consiste à transgresser délibérément les règles de la morale sans pour autant porter de jugement sur celle-ci, et l'amoralité qui consiste à refuser ou nier l'existence d'une morale, voire à encourager dans certains cas leur transgression systématique, en séparant les notions d'éthique de celles de mœurs.
La morale vise d'une part à la conservation des formes collectives d'organisation sociale, de la société, de l'intérêt général, d'autre part à l'agrément de la vie des individus en société.
Elle peut renvoyer à l'ensemble des règles de conduite diffuses dans une société donnée (politesse, courtoisie, civisme), ou encore à des préceptes énoncés explicitement par une religion ou une doctrine (morale religieuse, philosophie morale, éthique). Les règles morales peuvent se diviser en deux groupes : d'une part, les maximes de la morale personnelle (individuelle) et, d'autre part, les codes de conduite (ou systèmes de principes) partagés au sein d'une communauté culturelle, religieuse ou civile (collectifs).
Les règles morales peuvent être vues comme de simples habitudes qui ont fini par s'imposer à un groupe social (mœurs, coutumes), c'est-à-dire des façons d'agir culturelles, acquises, apprises et intégrées par les agents (consciemment ou non) qui ont fini par s'améliorer au cours des siècles, ou au contraire comme des normes absolues, invariables dans le temps, transcendantes et d'origine divine ou révélées. De même, elles peuvent être considérées comme relatives, variables selon les peuples et les époques, ou au contraire comme universelles, indépendantes du lieu et de l'époque, et établies par la raison humaine ou exigées par une certaine représentation de l'être humain en général (universalisme, droits de l'homme).
Selon l'approche philosophique, le critère définissant une conduite morale (ou ce que signifie « bien agir ») ne sera pas le même. En effet, la valeur morale d'une action (le fait qu'elle soit bonne ou mauvaise) peut être définie soit d'après ses conséquences (conséquentialisme, utilitarisme, pragmatisme), c'est-à-dire selon les effets engendrés par cette action, soit d'après sa conformité à des valeurs (déontologie, intuitionnisme), c'est-à-dire selon les intentions ou motivations qui la commandent (indépendamment des conséquences).
L'écrivain Norman Spinrad précisa dans une interview à Métropolis que les conflits moraux étaient moins ceux du bien contre le mal qu'entre des versions différentes et incompatibles du bien, faisant écho tant au vicomte de Bonald ("Il est plus commode de faire son devoir que de le connaître.") qu'à Sartre dans L'Existentialisme est un humanisme.
Définition
La morale et l'éthique
En français, morale et éthique ont des sens souvent confondus.
Ainsi le Petit Larousse donne les définitions suivantes :
Morale (du latin mores, mœurs) :
Éthique, Philosophie (du grec ethikos, moral, de éthos mœurs) :
Le Petit Robert quant à lui donne :
Morale : science du bien et du mal, des principes de l'action ; théorie de l'action humaine en tant qu'elle est soumise au devoir et a pour but le bien…
Éthique : science de la morale ; ensemble des conceptions morales de quelqu'un ; décrit un comportement.
Liée à la notion de mœurs, la morale prend en compte toute une dimension esthétique, culturelle, de culture matérielle, de conformation aux coutumes vestimentaires et culinaires, à la civilité et à la politesse, que l'éthique ignore.
D'autre part, la morale est généralement rattachée à une tradition idéaliste (de type kantien) qui fait la distinction entre ce qui est et ce qui doit être, alors que l'éthique est liée à une tradition matérialiste (de type spinoziste) qui cherche seulement à améliorer le réel (ce qui est) par une attitude raisonnable de recherche du bonheur de tous.
Quant à la déontologie, (gr. deon, -ontos, ce qu'il faut faire, et logos science), c'est la discipline qui traite des devoirs à remplir, sur un plan professionnel.
La morale et le Droit
La morale peut être individuelle, dans ce cas, il s'agit d'un code d'honneur que l'individu se fixe et qu'il décide d'appliquer ou non. Cependant, la morale peut être collective, et dans ce cas, elle s'apparente au droit. La morale et le droit travaillent tous deux de manière coordonnée, en ayant pour finalité l'amélioration de la vie en société.
Il existe différentes théories du rapport entre la morale et le droit. Les auteurs ont recours à l'image de deux cercles pour illustrer les rapports de la morale et du droit. Chez certains, ces deux cercles sont concentriques, car ils considèrent que le droit est entièrement absorbé par la morale. D'autres prétendent que ces cercles sont sécants. Il y aurait alors trois catégories de règles : les règles morales sans dimension juridique, les règles juridiques sans dimension morale, et à l'intersection, les règles morales ayant une application juridique. Enfin, certains avancent l'hypothèse que ces cercles sont strictement séparés. Cependant, cette dernière thèse admet trop d'exceptions pour être valide. On peut donc dire que le droit et la morale ont des domaines d'application distincts, et qu'ils sont séparés, mais ils ont aussi des points de contact : on ne peut par conséquent parler ni de séparation, ni de confusion. Enfin, si la morale peut être le fruit d'une seule personne, et ne s'appliquer qu'à elle, le droit, en revanche, n'apparaît que dans une société.
On appelle probité la caractéristique d'une personne qui respecte scrupuleusement la justice et les règles de la morale.
La morale et la religion
M Louis Dicaire affirme qu'il existe une confusion entre morale et religion. Il estime que la morale possède un caractère davantage personnel, qu'on appelle la conscience. Il pense que la religion, quant à elle, possède un caractère davantage public, puisque, selon une des étymologies probables du mot, elle consiste à « relier » des individus ; « religion » viendrait du latin religere, qui signifie « relier ». Selon lui, le rôle des institutions religieuses est donc d'éclairer les consciences par rapport aux enseignements propres à chaque religion. Selon Louis Dicaire, cette confusion est à l'origine d'une conception fréquemment rencontrée, selon laquelle la religion ne serait qu'une affaire privée.
Dans la tradition protestante et universitaire, le mot éthique tend à remplacer systématiquement celui de morale qui se rattache aux traditions de l'Antiquité romaine et de la religion catholique.
La morale et la technique
Les êtres humains se posent des questions à caractère moral au sujet des techniques, comme l'opportunité d'introduire les organismes génétiquement modifiés en Europe, ou l'entreposage des déchets de l'industrie nucléaire en profondeur ou en surface. Selon Bruno Latour, et conformément à une conception courante d'un grand nombre de sociologues, les objets en eux-mêmes ne possèdent pas une dimension morale ; les techniques appartiennent au règne des moyens et la morale au règne des fins.
La morale religieuse
Moïse recevant les Dix Commandements (peinture de Gebhard Fugel, vers 1900).
La morale religieuse est l'ensemble des règles ou des positions que prend la communauté religieuse pour faire avancer les croyants vers un objectif religieux, conformément à leur foi. Elle énonce ainsi divers préceptes d'actions, qui peuvent être relatifs aux rapports avec autrui, à l'emploi du temps, au régime alimentaire ou à des questions plus précises (comme la procréation). Par exemple : manger du poisson le vendredi, jeûner pendant le ramadan, ne pas avorter, respecter le repos dominical, avoir une attitude de non-violence, etc. La morale religieuse peut plus ou moins se rapprocher des lois et commandements édictés dans les textes sacrés.
Sur ce socle, s'appuient diverses morales, dont notamment la doctrine des vertus avec ses quatre vertus cardinales (prudence, justice, courage et tempérance).
La distinction morale-éthique fait débat, dans la mesure où morale est le mot latin et éthique le mot grec (voir ci-dessus). Les grandes morales ou éthiques chrétiennes contemporaines en France sont portées par le philosophe Paul Ricœur ou le théologien Paul Valadier. Le philosophe René Simon s'est fait le spécialiste d'une morale chrétienne de la responsabilité.
À l'étranger, on remarquera le grand renouveau de la morale chrétienne, notamment aux États-Unis et dans les pays germaniques. Par exemple, le théologien moraliste Reinhold Niebuhr est un des inspirateurs intellectuels de Barack Obama.
La morale selon les philosophes
Philosophie antique
Dans l'Antiquité, Socrate disait que l'homme ne fait jamais le mal volontairement car l'homme ne cherche que le bien, ou son bien, et que le mal n'est qu'une illusion qu'il prend pour le bien. Faire le mal viendrait donc d'un manque de connaissance ou d'une mauvaise connaissance de ce qu'est le bien (« intellectualisme socratique »).
Philosophie moderne
La morale est présentée par Descartes comme le principal fruit que le savoir peut apporter à l'homme, et le plus haut degré de la sagesse. Selon lui, la morale découle en effet de la métaphysique et de la connaissance des autres sciences :
« Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale, j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. Or comme ce n’est pas des racines, ni du tronc des arbres, qu’on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties qu’on ne peut apprendre que les dernières. »
On retrouve ce lien entre la morale et les sciences dans le Discours de la méthode de Descartes.
Philosophie contemporaine
Charles Darwin affirme dans La Descendance de l'Homme que « tout animal est pourvu d'instincts sociaux marqués par des affections parentales qui requièrent un sens moral ».
S'intéressant à l'éthique d'entreprise, le philosophe André Comte-Sponville (dans Le Capitalisme est-il moral ?, Albin Michel), pour éviter d'employer le terme morale de façon inadéquate, distingue quatre ordres, parmi lesquels on trouve l'ordre moral et l'ordre éthique. Pour préciser la distinction entre morale et éthique, il se réfère à Spinoza et à Kant : il entend par morale tout ce qu'on fait par devoir (de l'ordre de la volonté), et par éthique tout ce qu'on fait par amour (de l'ordre du sentiment).
Paul Ricœur adopte une distinction quasi-similaire dans Soi-même comme un autre : l'éthique correspond à la visée de la vie bonne et accomplie telle que tout homme peut la définir dans sa recherche du bonheur, le rôle de la morale intervenant par la suite en tant qu'articulation de cette éthique au sein de normes destinées à être universalisées, de règles pour une vie en société. L'éthique est donc une estime de soi-même et reste subjective (approche téléologique que l'on retrouve chez Aristote), tandis que la morale renvoie au respect de soi-même dans les normes que l'on s'impose à soi et donc aux autres. Un retour de la morale à l'éthique doit même être envisagé si celle-là conduit à des impasses pratiques, dans l'application des lois notamment. On retrouve ici l'aspect déontologique de la morale telle que la présente Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs. Kant considère en effet que c'est le fait d'agir selon le devoir, ou plutôt par pur devoir (et non pas simplement conformément au devoir, mais de manière intéressée), qui rend l'attitude morale.
Pour la psychanalyse, il n'y a pas de bien et de mal. En effet considérant que les maladies mentales peuvent se résumer à trois grandes structures : la structure psychotique, la structure névrotique, puis la structure perverse, on comprend que la perversion, soit ce qu'on appelle communément le mal, n'est pas un péché comme pour les religions monothéistes mais seulement une maladie mentale.
La morale selon les théologiens
Au Moyen Âge, saint Thomas d'Aquin distingue onze péchés de différentes natures. De plus, pour lui le bien et le mal ne sont qu'une réponse, ou plutôt deux réponses différentes et diamétralement opposées, à la valeur de la vie (vie qui, pour lui, vient bien sûr du créateur). En effet ne pouvant rester neutre face à la valeur du vivant, nos réactions s'étalent de la plus saine qu'est l'amour jusqu'aux moins saines. Par ailleurs Thomas d'Aquin pense que tous les sentiments sont jouissifs en eux-mêmes : l'amour, la perversion, la haine. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils se transforment généralement en actes. Seulement certains, comme le mal, à la fois séduisent mais également détruisent celui qui les ressent. Thomas d'Aquin pense ainsi que pour pouvoir vivre et aller dans le sens de la Vie, dans le sens du Christ, il faut commencer par vouloir vivre, et cette décision est uniquement d'ordre moral. Maître Eckhart, théologien et philosophe dominicain des XIII/XVI siècles, affirme que l'on peut diviser les sentiments mauvais en trois grandes catégories. La plus grave est bien sûr la méchanceté (c'est-à-dire la perversion), qui consiste à prendre plaisir à détruire la vie et donc les êtres de vie que sont les hommes. Puis vient une forme moins connue que l'on peut traduire de nos jours par l'aigreur et qui consiste à prendre plaisir à rejeter, à gâcher la vie et ses bonnes choses. Enfin, vient la haine qui, pour lui, n'est pas la plus grave en ce sens qu'il faut toujours des raisons pour haïr, et qu'ainsi, d'une certaine façon, elle peut se justifier, bien que le Christ ait condamné également ce sentiment. En théorie, seuls les actes sont jugés moraux ou immoraux, mais pour le Nouveau Testament la moralité commence au sein même du sentiment qui pousse à passer aux actes, tant dans le sens de la moralité que de l'immoralité.
Débats contemporains
Dans la théologie catholique, en théologie morale, plus particulièrement dans les cours de théologie sectorielle, on distingue la morale individuelle et la morale sociale. La morale sociale est assez voisine dans ses principes de l'éthique sociale. La plupart des débats contemporains concernent la morale sociale :
Les droits de l'homme,
La tolérance,
La pollution de l'environnement,
Léthique de la responsabilité dans le domaine technique et scientifique (Hans Jonas),
La responsabilité sociale des entreprises,
L'éthique des affaires,
La bioéthique,
Le moralisme ou le rigorisme, formes intégristes de la morale.
Les droits des animaux,
Ils concernent aussi la morale individuelle dans les questions sexuelles, ce qui relève de la transmission entre générations.