Édouard Glissant, né le 21 septembre 1928 à Sainte-Marie à la Martinique et mort le 3 février 2011 à Paris, est un écrivain, poète et essayiste français.
Fondateur des concepts d'« antillanité », de « créolisation » et de « tout-monde », il était « distinguished professor » en littérature française, à l'université de la Ville de New York (CUNY) et président de la mission de préfiguration d'un Centre national consacré à la traite, à l'esclavage et à leurs abolitions.
Depuis 2002, le prix Édouard-Glissant, créé par l'université Paris-VIII, avec le soutien de la Maison de l'Amérique latine et de l’Institut du Tout-Monde, est destiné à « honorer une œuvre artistique marquante de notre temps selon les valeurs poétiques et politiques d'Edouard Glissant : la poétique du divers, le métissage et toutes les formes d’émancipation, une réflexion autour d'une poétique de la Relation, celle des imaginaires, des langues et des cultures ».
Biographie
Édouard Glissant étudie au lycée Victor-Schœlcher de Fort-de-France. Il quitte la Martinique pour Paris en 1946 afin d’étudier l’ethnographie au Musée de l'Homme, mais aussi l’histoire et la philosophie à la Sorbonne.
Alors proche des thèses de Frantz Fanon, il fonde en 1961, accompagné de Paul Niger, le Front antillo-guyanais d'obédience indépendantiste, puis autonomiste, ce qui lui vaut d'être expulsé de la Guadeloupe et assigné à résidence en France métropolitaine. Il est interdit de séjour dans son île natale pour « séparatisme » de 1959 à 1965. Il est signataire du manifeste des 121 en 1960. Certains de ses ouvrages, tel le Discours antillais, restent très marqués par son engagement anticolonialiste.
Il revient en Martinique en 1965 et y fonde l’Institut martiniquais d'études, ainsi qu’Acoma, un périodique en sciences humaines.
Titulaire d’un doctorat ès lettres (1980), il adhère aux thèses de la négritude avant de développer par la suite les concepts d’antillanité et de créolisation.
De 1982 à 1988, il est directeur du Courrier de l'Unesco, organe de presse où il défend notamment le concept de « mondialité », « la face humaine de la mondialisation ».
En 1989, il est nommé « Distinguished University Professor » de l'université d'État de Louisiane (LSU), où il dirige le Centre d'études françaises et francophones.
En 1992, il est finaliste pour le prix Nobel de littérature, mais c'est l'écrivain saint-lucien Derek Walcott qui l'emporte d'une voix.
Glissant vit ensuite à New York où, à partir de 1995, il est « Distinguished Professor » en littérature française, à l'université de la Ville de New York.
En janvier 2006, il se voit confier par le président Jacques Chirac la présidence d'une mission en vue de la création d’un Centre national consacré à la traite et à l’esclavage Ce rapport rete sans suite. Il prend position contre la création d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale et condamne la politique d'immigration menée après l'élection du président Nicolas Sarkozy. De cet engagement politique et poétique naîtra un court manifeste, Quand les murs tombent, l'identité nationale hors la loi ?, rédigé avec Patrick Chamoiseau.
Tombe provisoire d’Édouard Glissant.
En 2007, il crée avec le soutien du conseil régional d'Île-de-France et du ministère de l’Outre-Mer, l'Institut du tout-monde. Celui-ci a pour objectif de faire avancer « la pratique culturelle et sociale des créolisations. Il favorise la connaissance de l’imaginaire des peuples dans leur diversité. À l’écoute des mélodies du monde, il accompagne, à travers la multiplicité des langues, la pluralité des expressions artistiques, des formes de pensée et des modes de vie. »
« Au monde qui se replie sous la loi de l’unicité et de l’esprit de système, l’Institut du tout-monde oppose les identités en mouvement. À la fois site d’études et de recherches, espace d’invention et de formation, lieu de rencontres, il est dédié aux mémoires des peuples et des lieux du monde. »
En 2009 et 2010, il est membre du jury du prix de la BnF.
Le 3 février 2011, Édouard Glissant s'éteint à l'âge de 82 ans à Paris. Ses obsèques se déroulent le 9 février suivant en l'église du Diamant. Il est inhumé dans le cimetière de la commune.
Famille
Édouard Glissant est l'époux de Sylvie Sémavoine ; il est le père de 5 enfants : Pascal, Jérôme, Olivier, Barbara et Mathieu.
De la négritude à la créolisation
Dans un premier temps, il adhère aux thèses de la négritude avant d'en dénoncer les limites. Il développe alors le concept d’antillanité qui cherche à enraciner l'identité des Caraïbes fermement dans « l'Autre Amérique » en rupture avec les travaux d'Aimé Césaire, pour qui l'Afrique est la principale source d'identification pour les Caribéens. Cette antillanité est fondée sur la notion d'« identité-relation », ou d'« identité rhizome », ouverte sur le monde et la mise en relation des cultures.
« Les identités fixes deviennent préjudiciables à la sensibilité de l'homme contemporain engagé dans un monde-chaos et vivant dans des sociétés créolisées. L'Identité-relation, ou l'"identité-rhizome" comme l'appelait Gilles Deleuze, semble plus adaptée à la situation. C'est difficile à admettre, cela nous remplit de craintes de remettre en cause l'unité de notre identité, le noyau dur et sans faille de notre personne, une identité refermée sur elle-même, craignant l'étrangeté, associée à une langue, une nation, une religion, parfois une ethnie, une race, une tribu, un clan, une entité bien définie à laquelle on s'identifie. Mais nous devons changer notre point de vue sur les identités, comme sur notre relation à l'autre. Nous devons construire une personnalité instable, mouvante, créatrice, fragile, au carrefour de soi et des autres. Une Identité-relation. C'est une expérience très intéressante, car on se croit généralement autorisé à parler à l'autre du point de vue d'une identité fixe. Bien définie. Pure. Atavique. Maintenant, c'est impossible, même pour les anciens colonisés qui tentent de se raccrocher à leur passé ou leur ethnie. Et cela nous remplit de craintes et de tremblements de parler sans certitude, mais nous enrichit considérablement. »
— Édouard Glissant, 2011
Il propose également le concept de créolisation qu'il définit comme le « métissage qui produit de l'imprévisible » et qui est pour lui le « mouvement perpétuel d'interpénétrabilité culturelle et linguistique » qui accompagne la mondialisation culturelle. Cette mondialisation met en relation des éléments culturels éloignés et hétérogènes, avec des résultantes imprévisibles.
« La créolisation est la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins de plusieurs éléments de cultures distinctes, dans un endroit du monde, avec pour résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou à la simple synthèse de ces éléments. On prévoirait ce que donnera un métissage, mais non pas une créolisation. Celle-ci et celui-là, dans l’univers de l’atavique, étaient réputés produire une dilution de l’être, un abâtardissement. Un autre imprévu est que ce préjugé s’efface lentement, même s’il s’obstine dans des lieux immobiles et barricadés. »
— Traité du Tout-Monde, 1997
Ses réflexions sur l’identité antillaise ont inspiré une génération de jeunes écrivains antillais qui formera le mouvement de la créolité, dont Patrick Chamoiseau, Ernest Pépin ou encore Raphaël Confiant.
Tout-monde
Ses derniers travaux s'articulent autour du concept de tout-monde et interrogent l'universalité. Écrivain militant, il chercha à définir une approche poétique et identitaire pour la survie des peuples au sein de la mondialisation au travers de concepts comme la « mondialité » en opposition à la mondialisation économiste ou d'identité-relation contre l'affirmation des identités-racines qui génèrent d'innombrables conflits à travers le monde. Il réfléchit aussi à la pensée du tremblement (fragile, incertaine mais correspondant au monde) par opposition à la pensée de système (cela ne marche plus).
Publications
Essais
Soleil de la conscience. (Poétique I), (1956), nouvelle édition, Paris : Gallimard
Le Discours antillais, (1981) Paris : Gallimard, 1997 (texte remanié de sa thèse de doctorat)
Poétique de la relation. (Poétique III), Paris : Gallimard, 1990
Discours de Glendon suivi d'une bibliographie des écrits d'Édouard Glissant établie par Alain Baudot, Toronto : éd. du GREF, 1990
Introduction à une poétique du divers, (1995) Paris : Gallimard, 1996
Faulkner, Mississippi, Paris : Stock, 1996, Paris : Gallimard (folio), 1998
Traité du Tout-Monde. (Poétique IV) Paris : Gallimard, 1997
La Cohée du Lamentin. (Poétique V) Paris : Gallimard, 2005
Une nouvelle région du monde. (Esthétique I) Paris : Gallimard, 2006
Mémoires des esclavages (avec un avant-propos de Dominique de Villepin), Paris : Gallimard, 2007
Quand les murs tombent. L'identité nationale hors-la-loi ? (avec Patrick Chamoiseau). Paris : Galaade, 2007
La Terre magnétique : les errances de Rapa Nui, l'île de Pâques (avec Sylvie Séma). Paris : Seuil, 2007
Miquel Barceló, Collection Lambert, 2007 (ISBN 978-2913893122)
L'Intraitable Beauté du monde. Adresse à Barack Obama (avec Patrick Chamoiseau). Paris : Galaade, 2009
Les Entretiens de Baton Rouge, avec Alexandre Leupin, Paris, Gallimard, 2008, 168 p.
Philosophie de la relation Paris : Gallimard, 2009
10 mai : Mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions Paris : Galaade / Institut du Tout-monde, 2010
L'Imaginaire des langues. Entretiens avec Lise Gauvin (1991-2009), Paris : Gallimard, 2010
Poésie
La Terre inquiète, lithographies de Wifredo Lam, Paris : Éditions du Dragon, 1955
Le Sel Noir, Paris : Seuil, 1960
Les Indes, un champ d'îles, La Terre inquiète, Paris : Seuil, 1965
L'Intention poétique. (1969) (Poétique II), nouvelle édition, Paris : Gallimard, 1997
Boises, histoire naturelle d'une aridité, Fort-de-France : Acoma, 1979
Le Sel noir, Le Sang rivé, Boises, Paris : Gallimard, 1983
Pays rêvé, pays réel, Paris : Seuil, 1985
Fastes, Toronto : éd. du GREF, 1991
Poèmes complets (Le Sang rivé, Un Champ d'îles, La Terre inquiète, Les Indes, Le Sel noir, Boises, Pays rêvé, pays réel, Fastes, Les Grands chaos), Paris : Gallimard, 1994
Le Monde incréé : Conte de ce que fut la Tragédie d'Askia, Parabole d'un Moulin de Martinique, La Folie Célat, Paris : Gallimard, 2000
La Terre le feu l’eau et les vents : une anthologie de la poésie du Tout-monde, Paris : Galaade, 2010
Romans
(La première date est celle de l’édition originale.)
La Lézarde (1958), nouvelle édition, Paris : Gallimard, 1997, Port-au-Prince : Presses nationales d'Haïti, 2007
Le Quatrième Siècle, (1964) Paris : Gallimard, 1997, prix Veillon 1965
Malemort, (1975), nouvelle édition, Paris : Gallimard, 1997
La Case du commandeur, (1981), nouvelle édition, Paris : Gallimard, 1997
Mahogany, (1987), nouvelle édition, Paris : Gallimard, 1997
Tout-Monde, Paris : Gallimard, 1995
Sartorius : le roman des Batoutos, Paris : Gallimard, 1999
Ormerod, Paris : Gallimard, 2003
Théâtre
Monsieur Toussaint, (1961), nouvelle édition : Paris : Gallimard, 1998
Hommages
Le parc de Villeurbanne dédié à Édouard Glissant.
Villeurbanne : le parc Édouard-Glissant, inauguré le 1 juillet 2011.
Esplanade Édouard-Glissant à Nantes depuis octobre 2012.
Rue Édouard-Glissant à Paris depuis 2015.
Bibliographie
Carminella Biondi et Elena Pessini, Rêver le monde, écrire le monde : théorie et narrations d'Édouard Glissant, CLUEB, Bologne, 2004, 146 p. (ISBN 88-491-2263-2)
Dominique Chancé, Édouard Glissant, un « traité du déparler » : essai sur l'œuvre romanesque d'Édouard Glissant, Karthala, Paris, 2002, 277 p. (ISBN 2-84586-302-0)
Katell Colin, Le roman-monde d'Édouard Glissant : totalisation et tautologie, Presses de l'Université Laval, Laval (Québec), 2008, 311 p. (ISBN 978-2-7637-8768-8) (texte remanié d'une thèse de doctorat de Littératures)
José Manuel Cruz Rodriguez, Antillanité et Créolité en Martinique : la construction de l'identité par la nomination et par les repères spatiotemporels dans les romans 'La Case du commandeur' d'Édouard Glissant et 'Commandeur du sucre' de Raphaël Confiant, Université Paris 13, 2008, 2 vol., 381 + 151 p. (thèse de doctorat de Sciences du langage)
Georges Desportes, La Paraphilosophie d'Édouard Glissant, l'Harmattan, Paris, 2009, 72 p. (ISBN 978-2-296-06808-7)
Andreas Dorschel, 'Nicht-System und All-Welt', Süddeutsche Zeitung 278 (2.12.2005), p. 18.
Romuald Fonkoua, Essai sur une mesure du monde au XX siècle : Édouard Glissant, H. Champion, Paris, 2002, 326 p. (ISBN 2-7453-0621-9)
Deborah Hess, La poétique de renversement chez Maryse Condé, Massa Makan Diabaté et Édouard Glissant, l'Harmattan, Paris, 2006, 294 p. (ISBN 2-296-01081-4)
Jean-Louis Joubert, Édouard Glissant, ADPF, Ministère des affaires étrangères, Paris, 2005, 85 p. + pl. (ISBN 2-914935-45-5)
Samia Kassab-Charfi et Sonia Zlitni-Fitouri (dir.), Autour d'Édouard Glissant : lectures, épreuves, extensions d'une poétique de la relation (actes du colloque tenu à l'Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts en avril 2005, en présence de l'auteur), Presses universitaires de Bordeaux, Pessac ; Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts Beït al-Hikma, Carthage, 2008, 365 p. (ISBN 978-2-86781-477-8)
Helke Kuhn, Rhizome, Verzweigungen, Fraktale: Vernetztes Schreiben und Komponieren im Werk von Édouard Glissant, Weidler-Verlag, Berlin, 2013, 323 p. (ISBN 978-3-89693-728-5)
Michel Moukouri Edemé, Genèse du monde et de l'écriture chez Aimé Césaire et Édouard Glissant (1945-1970), Éditions CLE, Yaoundé, 2004, 462 p. (ISBN 978-995-609007-5)
(en) Celia M. Britton, douard Glissant and postcolonial theory : strategies of language and resistance, University Press of Virginia, Charlottesville, Va., 1999, 224 p. (ISBN 0-8139-1849-9)
(pt) Celina Martins, O entrelaçar das vozes mestiças : análise das poéticas da alteridade na ficção de Édouard Glisssant e Mia Couto, Principia, Estoril, 2006, 431 p. (ISBN 972-8818-71-8)
Alain Ménil, Les Voies de la créolisation. Essai sur Édouard Glissant, De l'incidence éditeur, 2011, Grenoble,688 p. (ISBN 978-2-918193-11-1)
François Noudelmann et Françoise Simasotchi-Bronès, Édouard Glissant, une pensée du détour, Amand Colin & Dunod, Paris, 2014
Filmographie
Édouard Glissant : un monde en Relation, film documentaire réalisé par Manthia Diawara, K'a Yelema Productions, 2010, 52 min
Édouard Glissant, film documentaire de Jean-Noël Cristiani, Bibliothèque publique d'information, Paris, 2008, 52 min (DVD)
Deux films documentaires de Federica Bertelli autour d'Édouard Glissant : Un imaginaire pour une mondialité à faire (2002, 32 min) (édité en DVD par Les périphériques vous parlent) Les Attracteurs étranges (2004, 70 min) (édité en DVD par Les périphériques vous parlent)
Un imaginaire pour une mondialité à faire (2002, 32 min) (édité en DVD par Les périphériques vous parlent)
Les Attracteurs étranges (2004, 70 min) (édité en DVD par Les périphériques vous parlent)
Édouard Glissant, film documentaire de Philippe Collage. Participation de Félix Guattari, Roberto Matta, Agustín Cárdenas et Jean-Jacques Lebel. Production Omnia Vidéo et la Maison de la Poésie de la ville de Paris, 1987, 26 min (Betacam)