Victor Hugo caricaturé par Honoré Daumier dans Le Charivari du 20 juillet 1849.
Une caricature est un portrait peint, dessiné ou sculpté qui amplifie certains traits caractéristiques du sujet. Souvent humoristique, la caricature est un type de satire graphique quand elle charge des aspects ridicules ou déplaisants. Elle est très utilisée par la presse depuis la massification de celle-ci au XIX siècle.
La « caricature de personne » vivante utilise la déformation physique comme métaphore d'une idée (portrait politique) ou se limite à l'exagération des caractères physiques (portrait d'artiste) ; la « caricature de situation » représente des événements réels ou imaginaires sous une forme satirique et notablement outrancière, et met en relief les mœurs ou le comportement de certains groupes humains.
Par extension, en littérature, une caricature est une description qui charge certains traits, dans des genres comique ou satirique. En ce sens, on peut également parler de caricature au théâtre, au cinéma, en bande dessinée, etc. En particulier, la satire caricature volontiers une chose, une situation ou une personne ridicules par leur prétention à vouloir être ce qu'elles ne sont pas.
Objet
Le mot français « caricature » vient de l'italien « caricatura », littéralement « charge d'une façon exagérée » (du verbe italien caricare, venu du latin carricare : charger, lester un char de poids), par extension « en rajouter ». Ce mot est en usage en France et en Angleterre depuis le début du XVIII siècle. On lui donne beaucoup d'extension, et on l'applique à tous les arts. « Dès le moment où un personnage typique est violemment chargé (L'Avare, le Bourgeois gentilhomme, le Père Ubu, etc, on peut dire que c'est là une caricature. Toutefois, dans l'usage le plus courant, on réserve surtout le mot de caricature pour désigner une charge muant en grotesque non pas un type mais un individu personnellement désigné ».
La caricature qui est une jubilation de l'excès cherche à provoquer une réaction émotionnelle à travers une transgression. En bousculant la bienséance et les règles de la représentation académique, elle a pour but de rendre visible ce que masque la vision convenue, de développer une culture de résistance au pouvoir politique ou de ridiculiser les institutions sociales et religieuses. Sa légitimité peut être mise en cause, d'autant plus lorsqu'elle est l'œuvre de la haine ; on peut en effet dénigrer, par snobisme ou par envie, ce que d'autres admirent. Le corps est le principal objet de la caricature, et surtout le visage dont la déformation veut révéler les états d'âme et les dessous du sens. La caricature constitue « une sorte de viol de conscience : les barrières et les tabous, les aveuglements volontaires ou subconscients du destinataire sont balayés par une image, dont nous percevons tout d'abord le caractère formellement scandaleux ».
Un mode d'expression ambigu privilégié par la presse
Généralement engagés, les caricaturistes de presse ont quelquefois défendu un socle de convictions communes comme :
l'attachement à la liberté d'expression, régulièrement mise à mal par la censure ;
l'attachement à la paix et aux valeurs d'un système politique ;
la défense des droits civiques et l'appel à la vigilance citoyenne ;
la défense de minorités silencieuses ou opprimées.
Cependant, la caricature se met aisément au service d'une dictature ou d'idées provocantes et violentes. La caricature, une sorte d'humour ou de satire, s'appuie sur les jugements de valeur communs de son public, autrement appelés préjugés. « Le rire est toujours le rire d'un groupe (Bergson 1900, p. 5) ». La caricature exclut de la communauté qui la regarde les sujets qu'elle montre et annule au nom des jugements communs les sentiments de solidarité qu'ils pourraient autrement susciter. Exagération comique basée sur les préjugés de son public, faisant du populisme son fonds de commerce, la caricature se prête particulièrement bien à la promotion de l'intolérance en ciblant des minorités de toute nature. Faisant d'une particularité physique un stigmate, elle les figure en ennemi. Exagérant l'étrangeté de ceux qu'elle présente, elle fond ceux à qui elle s'adresse dans une groupe qui se conçoit comme supérieurement intelligent et indemne de toute faute. « La dérision ou moquerie est une espèce de joie mêlée de haine », écrit Descartes dans Des Passions. Les propagandistes antisémites des années 1880-1905 et de la période 1930-1944 ont largement exploité ces effets, installant par la caricature la fiction du « juif prédateur ».
Techniques
Les principales techniques de dévaluation utilisées par les caricaturiste sont la dégradation (bouffonnerie), l'exagération (grotesque) ou la contradiction (absurde).
Historique
Caricature d'un homme politique, découverte à Pompéi.
Amédée de Noé, dit Cham, célèbre caricaturiste sous le Second Empire.
Antiquité
Les sociétés grecque et romaine semblent avoir réuni les conditions de l'éclosion de la caricature. Elles l'ont sans doute connue l’une et l’autre, fût-ce à l’état embryonnaire. La Grèce a eu un caricaturiste, Pauson, dont le nom est cité par Aristophane et Aristote. On a trouvé des caricatures peintes sur des vases grecs et, du côté romain, sur les murailles d'Herculanum et de Pompéi ; on en a même rencontré dans les ruines et sur les papyrus de l'ancienne Égypte sans oublier les personnages à tête de singes sur certaines poteries gauloises. Il s'agit cependant plus de parodies, de satires, que de caricatures proprement dites.
Renaissance
La Renaissance (avec la naissance de l'art du portrait individualisé qui accompagne la promotion de l'individualisme et le retour au naturalisme) et la Réforme protestante (avec l'exploitation de portraits portraits-charges dans un contexte de conflit religieux) voient, parallèlement au développement de l'imprimerie qui permet la diffusion des dessins sur des feuilles volantes, l'essor de dessins satiriques politiques et religieux avec des illustrateurs comme Lucas Cranach l'Ancien, Hans Holbein ou Niklaus Manuel, auteurs d'estampes grotesques antipapistes. La caricature de personne au sens strict (art de déformer les visages sans enfreindre l'identification et la reconnaissance des personnes) apparaît au XVI siècle, l'historien d'art Giorgio Vasari évoquant les jeux d'ateliers durant lesquels les artistes « chargent » les portraits, notamment les frères Carrache qui chargent aussi bien leurs élèves, leurs amis qu'eux-mêmes.
L'expression portrait-charge date de cette époque.
La révolution anglaise
Selon Annie Duprat, la caricature politique est l'une des plus extraordinaires créations de la liberté révolutionnaire. La Glorieuse Révolution amène, après 1690, un certain vent de libertés en Angleterre : les arts et la littérature peuvent s'exprimer à moindre contraintes, par le biais de la satire, l'insolence, l'« Humor ». En France, le même élan se produisit pendant la Régence entre 1716 et 1723, suivi par une période d'anglomanie qui prend fin en 1756 à cause de la guerre.
Considérée comme un genre médiocre par les peintres, elle s'épanouit avec l'extension des arts graphiques et la professionnalisation de dessinateurs, illustrateurs et graveurs qui apparaissent à Londres dans les années 1750. Les premiers véritables caricaturistes au sens moderne, Henry William Bunbury, James Sayers (en), James Gillray, Thomas Rowlandson, Isaac et George Cruikshank sont les héritiers spirituels du peintre William Hogarth. Considéré comme le père de l'estampe satirique anglaise anglaise, il est l'un des premiers artistes à montrer l'envers des décors mondains, la réalité des bas-fonds (cabarets, tripots, bordels), la face cachée des milieux corsetés de la politique et de la diplomatie, les prétentions et les excentricités bourgeoises, les scandales propres à la cour (le règne de Georges III en est rempli).
Les dessins étaient gravés généralement sur bois, et les estampes produites étaient ensuite coloriées à la main puis vendues 6 pence la feuille sur Covent Garden avec grand succès. La censure s'exerçant sur l'écrit mais pas encore sur les images, les caricatures sont vendues dans les boutiques de caricatures qui n'hésitent pas à les mettre sur leurs devantures.
Entre 1789 et 1815, leurs cibles privilégiées les plus féroces sont souvent la France, les excès de la Révolution et Napoléon, ce dernier étant l'objet de caricatures aussi bien hostiles que célébrant son génie ou tournant en dérision ses ennemis.
La presse industrialisée
Au XIX siècle, avec la croissance de la presse de masse et l'invention en 1796 de la lithographie, la caricature politique acquiert une très grande importance au Royaume-Uni puis en France. Le roi Charles X rétablit la liberté de presse en 1824 en proclamant la suppression totale de la censure, ce qui favorise la multiplication de caricatures qui se mettent à brocarder sa sottise, sa bigoterie et sa prétention. Charles X instaure une loi restrictive de la liberté de la presse en 1827. C'est par les Ordonnances de Saint-Cloud qui suspendent la liberté de la presse qu'il provoque la Révolution de Juillet. Frileuse et stérilisée par la censure en France, la caricature voit son essor sous le régime libéral du roi Louis-Philippe soutenu par la bourgeoisie en 1830. Mais dès l'année suivante, les caricatures, principalement celles s'attaquant au roi, irritent le pouvoir politique qui sous forme de procès, de saisies, d'amendes et même d'emprisonnement, réimpose la censure. La loi sur la presse du 9 septembre 1835 épargne la presse écrite, mais réprime durement la satire graphique, ce qui radicalise les rédactions qui font de leurs journaux un organe de combat républicain pour essayer d'ébranler le régime.
Honoré Daumier, Grandville ou Gustave Doré sont de célèbres caricaturistes français sous la Monarchie de Juillet. Daumier fait ainsi ses débuts dans la presse comme caricaturiste politique. Ses premières planches sont publiées dans La Silhouette (fondé en 1829), puis dans La Caricature et Le Charivari dirigé par Charles Philipon. Daumier passe six mois en prison pour avoir figuré Louis-Philippe en Gargantua puis reprend le motif de la poire créé par Philipon, lui-même condamné à six mois de prison pour « outrages à la personne du roi ». La loi du 9 septembre 1835 proscrivant la caricature politique, les caricaturistes se lancent dans le dessin de mœurs en s'intéressant aux types sociaux représentatifs, notamment avec la série des Cent et Un Robert Macaire, critique voilée du pouvoir. La satire de mœurs alterne alors avec la satire politique au gré des événements politiques et des restrictions en matière de liberté d'expressionHonoré Daumier fait ses débuts dans la presse comme caricaturiste politique au début de la Monarchie de Juillet. Ses premières planches sont publiées dans La Silhouette (fondé en 1829), puis dans La Caricature et Le Charivari dirigé par Charles Philipon. Daumier passe six mois en prison pour avoir figuré Louis-Philippe en Gargantua puis reprend le motif de la poire créé par Philipon, lui-même condamné à six mois de prison pour « outrages à la personne du roi ». La loi du 9 septembre 1835 proscrivant la caricature politique, les caricaturistes se lancent dans le dessin de mœurs en s'intéressant aux types sociaux représentatifs. La satire de mœurs alterne alors avec la satire politique au gré des événements politiques et des restrictions en matière de liberté d'expression.
Des magazines comme La Caricature (1830 - 1843) ou Le Charivari (1832-1937), prototypes des journaux de satire engagés, Punch (1841-1992), Fun (1861-1901) ou Judy (1867-1907) s'y spécialisent. Les caricaturistes sont à cette époque presque tous des hommes, hormis Marie Duval.
La caricature se développe en Allemagne à partir de la Révolution de mars 1848, avec notamment Wilhelm Scholz dont les caricatures de Bismarck et de Napoléon III consacrent la notoriété.
XX siècle
Au début du XX siècle, Hansi met la caricature au service de son combat contre l'annexion de l'Alsace. La caricature, jusque-là confinée dans des publications spécialisées, fait, grâce à la technique de la phototypie puis de l'héliogravure, son entrée dans les quotidiens d'information. En 1896 naît en Allemagne Simplicissimus inspiré du périodique français le Gil Blas illustré, puis, en France, entre 1901 et 1912, sort L'Assiette au beurre qui propose de cibler sous forme d'album des thèmes spécifiques. De 1906 à 1918, la censure se fait sentir aussi bien en France qu'en Allemagne, sur des sujets sensibles comme la religion, la sexualité, l'impérialisme, le colonialisme, l'armée... Avant 1914, de nombreux caricaturistes ont fustigé le nationalisme et ont cherché à ridiculiser l'esprit belliqueux qui allait malheureusement conduite à la Grande Boucherie.
Durant la Première Guerre mondiale, les caricatures nationalistes, souvent haineuses, sont à leur apogée : rares sont les dessinateurs qui osent s'attaquer à la logique guerrière. En septembre 1915 naît Le Canard enchaîné qui contient au début principalement des écrits.
Après la seconde Guerre mondiale
Bernie Sanders caricaturé par DonkeyHotey (2016).
Après la Libération, le métier des caricaturistes évolue vers celui de journalistes-dessinateurs qui commentent l'actualité. Sous la Quatrième République s'illustre le caricaturiste Jacques Faizant puis sous la Cinquième République Siné, Jean Effel, Tim, Calvi ,Jacques-Armand Cardon, Sacha Strelkoff.
En 1960 naît Hara-Kiri mensuel autour des dessinateurs Cabu, Topor, Gébé et Wolinski. Il devient en 1969 Hara Kiri hebdo ; interdit en novembre 1970 après une couverture sarcastique sur la mort de Charles de Gaulle, il renaît en juillet 1972 sous le titre Charlie Hebdo, qui disparaît, faute de lecteurs, en 1982. Le titre reparaît dix ans plus tard avec de nouveaux collaborateurs, entre autres les caricaturistes Charb, Tignous, Honoré autour de Gébé (mort en 2004) Cabu et Wolinski. Le traitement de l'islam par l'hebdomadaire à partir des années 2000 lui attirent critiques et menaces terroristes, qui aboutiront tragiquement à l'attentat contre Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 revendiqué par Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, qui fait 12 morts.
La caricature politique se pratique aussi en relief et en mouvement, à la télévision comme Les Guignols en offrent en France un exemple.
Droit
En France, le droit de caricaturer est reconnu comme un élément de liberté d'expression. L’article L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle aménage certaines exceptions au droit d'auteur : il en est ainsi notamment de la parodie, du pastiche et de la caricature, compte tenu des lois du genre.