L'insomnie définit le plus souvent des problèmes de sommeil chez un individu. Ce terme est créé au XVI siècle sur la base du latin insomnia (du latin somniculus, « état de celui qui dort ») et signifie stricto sensu la privation de sommeil.
Dans l'acception commune et courante, l'insomnie est la diminution de la durée habituelle du sommeil et/ou l'atteinte de la qualité du sommeil avec répercussion sur la qualité de la veille du lendemain.
Épidémiologie
Environ un tiers des adultes se plaignent d'insomnies occasionnelles et 11 % ont une réelle insomnie. Ce trouble est plus fréquent chez la femme, chez les personnes ayant des horaires irréguliers de travail et chez les personnes malades.
Une maladie psychiatrique est retrouvée dans un peu plus d'un tiers des insomnies chroniques, le plus souvent de nature anxieuse ou dépressive. Ces dernières sont souvent le premier symptôme de la maladie et la persistance des troubles du sommeil augmente le risque de récidive.
Classification des insomnies
Elle fait partie de la Classification Internationale des Troubles du Sommeil.
Insomnie aiguë transitoire
associée à un facteur stressant (psychologique, environnemental, physique ou psychosocial)
elle cesse avec l'éviction du facteur causal ou s'il y a adaptation
éviction du facteur responsable si possible
renforcement de l'hygiène du sommeil
traitement cognitif
traitement pharmacologique
traitement comportemental
présence d'un conditionnement avec identification d'un facteur s'opposant à l'endormissement ou induisant un état d'hyperéveil : - angoisse de performance pour le sommeil - incapacité à s'endormir à une heure planifiée, mais sans aucune difficulté au cours de situations monotones - qualité du sommeil améliorée en dehors de la maison - activité mentale exacerbée au lit - tension somatique excessive
traitement cognitif
renforcement de l'hygiène du sommeil
traitement comportemental
traitement pharmacologique
relaxation
Insomnie chronique avec quelques nuits normales
insomnie très sévère à la lecture de l'agenda du sommeil, absence paradoxale de siestes diurnes
dysfonctionnement diurne plus modéré que ne le voudrait l'importance de la privation de sommeil
le sujet rapporte un éveil le plus fréquemment induit par des stimuli environnementaux, des pensées intrusives…
traitement cognitif
renforcement de l'hygiène du sommeil
traitement comportemental
début de l'insomnie dans l'enfance
absence de facteur causal identifié
absence de période de rémission
pharmacothérapie spécifique
renforcement de l'hygiène du sommeil
pathologie mentale diagnostiquée
l'insomnie est un signe précurseur d'une pathologie mentale à venir
traitement adaptée de la maladie mentale
renforcement de l'hygiène du sommeil
traitement cognitif
traitement comportemental
mauvais planning du sommeil : heures du coucher et levers variables, temps passés au lit excessif, siestes…
abus d'alcool, nicotine, caféine…
activités mentales, physiques ou émotionnelles trop proches du coucher
utilisation du lit à d'autres fins que le sommeil : tv, lecture, repas…
environnement de chambre à coucher peu propice au sommeil
renforcement de l'hygiène du sommeil
traitement cognitif
traitement comportemental
abus ou dépendance à une drogue favorisant une fragmentation du sommeil (intoxication ou sevrage)
médicaments ou aliments favorisants une fragmentation du sommeil
insomnie associée à la période d'utilisation, d'intoxication ou de sevrage
sevrage progressif, éviction si possible de la substance
renforcement de l'hygiène du sommeil
pathologie médicale responsable d'une fragmentation du sommeil
pathologie médicale directement responsable de l'insomnie
traitement optimal de l'affection médicale en cause
renforcement de l'hygiène du sommeil
pharmacothérapie spécifique à adapter à l'affection médicale
L'insomnie se manifeste par quatre types de symptômes : la difficulté d'endormissement, la difficulté à rester endormi, le réveil précoce et le sommeil non récupérateur. Ces symptômes sont souvent associés et peuvent évoluer dans le temps.
Causes
Les troubles du sommeil les plus courants causant l'insomnie sont le stress, les syndromes anxieux ou les états d'agitation ainsi que les problèmes digestifs. Les syndromes dépressifs sont souvent cause d'insomnie mais en sont parfois la conséquence.
Toute maladie peut entraîner un trouble du sommeil : douleurs chroniques, fièvre, essoufflement. Certaines insomnies sont directement la conséquence d'une alimentation inadaptée, en particulier la prise excessive ou trop tardive de caféine. Elles peuvent être la conséquence d'un traitement.
Deux types de pathologies psychiatriques sont particulièrement aptes à générer des insomnies :
Les épisodes maniaques (états d'exaltation des humeurs) que l'on trouve essentiellement dans le cadre des troubles bipolaires
Les pathologies se manifestant par de l'hypervigilance, notamment les psychoses et les états de stress post-traumatique.
D'autres causes plus rares incluent :
Apnée du sommeil - Le cycle normal du sommeil est interrompu par de nombreux arrêts (pauses) de la respiration. Les conséquences de ces apnées sont une diminution du taux d'oxygène dans le sang et souvent des micro-réveils. Le sujet ne s'en souvient généralement pas le lendemain, mais se plaint de somnolence durant la journée. La plupart du temps ce trouble est de nature obstructive : il est question de syndrome d'apnées obstructives du sommeil (SAOS). Ce type d'apnée est souvent lié à l'obésité.
Syndrome des jambes sans repos ou « impatiences » - Ces symptômes sont souvent décrits comme étant des sensations tactiles imposant le mouvement des membres concernés. La personne a un besoin impérieux de bouger dans le but de faire disparaître cette sensation, empêchant la survenue du sommeil et induisant un besoin de sommeil.
Syndrome des mouvements périodiques, qui se différencie du syndrome des jambes sans repos en ceci qu'il survient pendant le sommeil, la personne n'en ayant pas conscience, les mouvements étant involontaires et rythmés (un mouvement toutes les 20 à 40 secondes). Ce syndrome entraine des micro-réveils fréquents induisant un sommeil de mauvaise qualité, avec pour corollaire une somnolence ou fatigue diurne. Il touche 10 à 15 % de la population, et plus de 50 % chez les personnes de plus de 50 ans. Il est souvent associé au syndrome des jambes sans repos. Il existe une forme idiopathique ou primaire. Les causes secondaires sont les carences martiales, l'insuffisance rénale, certains médicaments. Tout comme le syndrome des jambes sans repos il résulte d'un dysfonctionnement du système dopaminergique.
Parasomnie - De nombreuses personnes qui pensent souffrir d'insomnie ont parfois simplement besoin de moins de sommeil qu'elles ne le pensent. Il ne faut d'ailleurs pas confondre le temps de sommeil et le besoin de sommeil. Le processus de vieillissement se manifeste notamment par un sommeil plus léger sur des périodes plus courtes, avec une vie tout à fait normale en période diurne, sans somnolence ou fatigue. Dans ces cas, il est inutile de prolonger artificiellement le temps de sommeil et il s'agit plutôt de proposer une occupation pendant les périodes d'insomnies.
Une rare configuration génétique (mutation d'un prion) peut causer une forme d'insomnie, pouvant entraîner la mort, appelée insomnie fatale familiale.
Méthodes diagnostiques
L'interrogatoire du patient et, éventuellement du conjoint
L'agenda du sommeil permet d'objectiver les troubles du sommeil. C'est un tableau sur lequel la personne note nuit après nuit, ses horaires de sommeil. La qualité du sommeil, la qualité du réveil, la forme dans la journée et l'existence de sieste ou non sont rapportés. D'autres informations peuvent être précisées selon les besoins. L'agenda permet de repérer facilement son rythme de sommeil. En cas d'insomnie, il illustre la qualité du sommeil et sa progression sous traitement et lors d'un sevrage en hypnotiques. cependant, l'autoévaluation n'est pas toujours fiable et la durée d'endormissement ou celle des épisodes éveillés peut être surestimée.
L'actimétrie - C'est un examen du rythme veille-sommeil qui est réalisé grâce à un actimètre. L'actimètre est un petit appareil de la taille d'une montre qui se porte le plus souvent au poignet non dominant. À l'intérieur une cellule piézo-électrique permet de détecter les accélérations des mouvements. permettant de visualiser l'alternance de l'activité des jours et des nuits et donc avoir une bonne représentation du rythme veille-sommeil et de la qualité de la nuit. Certains actimètres permettent de mesurer l'intensité lumineuse ou la température corporelle.
Le tout permet de préciser le type d'insomnie, problème d'endormissement ou réveil précoce avec difficulté ou impossibilité de réendormissement, et ses conséquences dans la journée (fatigue, irritabilité, déficit d'attention...)
L'échelle de somnolence d’Epworth (qui évalue la somnolence dans la journée) peut donner des arguments en faveur d'une apnée du sommeil (présente dans un tiers à deux tiers des cas). Une prise en charge spécifique pouvant alors être proposée.
Une recherche de prise inappropriée d'excitants doit être faite (caféine sous toutes ses formes, drogues…).
Conséquences
Les conséquences les plus évidentes en sont sur le retentissement sur les activités diurnes notamment somnolence, troubles de la vigilance, irritabilité ou dépression. Ainsi la présence d'une insomnie chronique semble être un facteur de risque de survenue d'une dépression des années plus tard. La présence d'un ou plusieurs de ces signes est un argument majeur pour la nécessité d'une prise en charge. Le simple fait de dormir peu, quantitativement parlant, sans aucune conséquence sur la vie de tous les jours, reflète seulement un besoin de sommeil faible, courant chez la personne âgée et qui ne nécessite en aucun cas un traitement médicamenteux.
L'insomnie chronique est corrélée avec un risque accru de faire une hypertension artérielle, un diabète de type 2, un infarctus du myocarde, une insuffisance cardiaque mais il n'est pas prouvé que traiter cette insomnie est susceptible d'en diminuer le risque. Elle pourrait être également un facteur de risque d'obésité et augmenterait de façon modérée la mortalité.
Traitements
Conseils d'hygiène du sommeil
Il faut éviter les activités stimulantes (sports, activités intellectuelles) ; la prise de stimulants (caféine, nicotine), d'alcool et de boissons (entrainant des réveils nocturnes pour la miction) ; les repas copieux et les siestes (notamment après une mauvaise nuit de sommeil), les activités sur écran (ordinateur, télévision - ces activités nuisant au sommeil « par l'effet d'excitation qu'elles produisent mais aussi du fait de la luminosité de l'écran, qui perturbe l'horloge biologique », comme le déclare le professeur Damien Léger, Président de l'Institut du Sommeil et de la Vigilance à l'Hôtel-Dieu de Paris).
Il faut au contraire maintenir un environnement calme, relaxant et confortable avant le sommeil à l'aide de lecture, de musique, d'un bain ou d'une douche et d'une température ambiante aux alentours de 18 °C. Et enfin, apprendre à connaître les signes de fatigue indiquant l'imminence d'un cycle du sommeil et ne pas retarder l'heure du coucher améliore l'hygiène du sommeil.
Thérapies comportementales
Les thérapies comportementales permettent de rétablir un rythme veille-sommeil satisfaisant, en diminuant notamment de 50 % le temps d'endormissement et la durée des réveils nocturnes. Des essais comparatifs ont permis de retenir une meilleure efficacité par rapport au placebo, ainsi qu'une efficacité au moins égale à celle des traitements médicamenteux.
D'autres techniques incluent la technique du contrôle par le stimulus. Elle consiste à ré-associer le lieu où on se couche (la chambre) avec le sommeil : aller se coucher quand le sommeil arrive, utiliser le lit uniquement pour dormir (supprimer la télévision, ne plus lire dans le lit, ne pas fumer… mais tolérance de l'activité sexuelle). Si le sommeil ne survient pas au bout de 20 minutes, se lever et attendre qu'il revienne avant de se recoucher, tout en maintenant une activité peu stimulante. Procéder de même en cas de réveil nocturne avec difficulté à se rendormir. Au total : lit = sommeil.
La restriction du sommeil : l'insomniaque passe paradoxalement un temps relativement long dans son lit. Ce temps n'est pas consacré exclusivement au sommeil, le sujet restant souvent éveillé, tout en demeurant allongé dans son lit. L'idée consiste à restreindre au minimum le temps passé au lit afin que l'efficacité du sommeil augmente pendant ce temps. La deuxième étape consiste à augmenter le temps passé au lit tout en conservant le bénéfice d'un meilleur sommeil nocturne. Les siestes sont interdites pendant la journée. Pour mettre en œuvre cette technique, on utilise l'agenda du sommeil.
La relaxation, notamment le Training autogène de Schultz peut avoir un intérêt.
Traitements médicamenteux
Les benzodiazépines, utilisées traditionnellement pour leurs propriétés anxiolytiques, ont montré une réduction du temps d'endormissement de 14 minutes, et une augmentation rapportée de la durée du sommeil de 49 minutes (62 minutes en enregistrement) ; les évaluations des hypnotiques ont montré des résultats similaires aux benzodiazépines ;
Que ce soient les benzodiazépines ou les hypnotiques, il existe des effets indésirables conséquents : vertiges, somnolence diurne, troubles de la mémoire, du comportement (amnésie, somnambulisme, conduites automatiques, parfois délictueux), chutes et accidents, accoutumance, syndrome de sevrage et dépendance. Les benzodiazépines et les hypnotiques sont classés dans les drogues entrainant une toxicomanie.
D'autres psychotropes sont parfois utilisés pour traiter une insomnie, mais dans des indications particulières, et de façon très restreintes, notamment du fait d'une balance bénéfice-risque nettement défavorable : antidépresseurs, méprobamate, barbituriques, neuroleptiques.
Les antihistaminiques H1 (doxylamine, diphénhydramine, hydroxyzine), utilisés contre les allergies, mais, du fait de leurs propriétés sédatives, sont parfois prescrits contre l'insomnie. Il existe parfois des effets indésirables atropiniques (vertiges, sécheresse de la bouche, fatigue).
La mélatonine est employé dans les insomnies en rapport avec le décalage horaire lors des voyages trans-continentaux. Dans les autres types d'insomnie, son efficacité n'est que modeste.
L'évaluation des traitements médicamenteux est satisfaisante à court terme mais pas à long terme, les études étant sur quelques semaines, au maximum sur quelques mois, or ces médicaments sont parfois pris pendant plusieurs années.
Traitements non médicamenteux
Parmi les traitements phytothérapiques, seule la valériane a été évalué cliniquement avec un effet modeste, essentiellement subjectif. Il est recommandé d'utiliser les extraits aqueux (tisanes) ou les extraits hydroalcooliques qui ne contiennent pas de composants toxiques. Les plantes telles que le tilleul, la mélisse, l'oranger ou encore la verveine sont utilisées traditionnellement contre l'insomnie mais n'ont quasiment pas été évaluées.
Les patients traités par acupuncture rapportent une amélioration de la qualité du sommeil, l'implantation d'aiguilles se faisant à des endroits précis. Par contre, il ne semble y avoir aucun bénéfice en termes de réduction de la durée d'endormissement ou d'augmentation de la durée du sommeil.
Témoignages
Emmanuel Lévinas
Pour Emmanuel Lévinas, l'insomnie est "l'impossibilité de déchirer l'envahissant, l'inévitable et l'anonyme bruissement de l'existence" et parle d'un "devoir de Corybantes" (...) il n'y a plus de temps, plus de commencement (...) vigilance, sans refuge d'inconscience, sans possibilité de se retirer dans le sommeil comme dans un domaine privé (...) il faut précisément se demander si, impensable comme limite ou négation de l'être, le néant n'est pas possible en tant qu'intervalle et interruption, si la conscience avec son pouvoir de sommeil, de suspension, d'épochè, n'est pas le lieu de ce néant-intervalle (...) la conscience a paru trancher sur le il y a par sa possibilité de l'oublier et de le suspendre, par sa possibilité de dormir (...) il faut se demander si la vigilance définit la conscience, si la conscience n'est pas bien plutôt la possibilité de s'arracher à la vigilance (...) de conserver toujours la possibilité de se retirer "derrière" pour dormir. La conscience est la possibilité de dormir. On ne peut suspendre l'activité sans se coucher, c'est-à-dire accepter de "précisément borner l'existence au lieu, à la position. Le lieu n'est pas un quelque part indifférent, mais une base, une condition (...) En nous couchant, en nous blottissant dans un coin pour dormir, nous nous abandonnons à un lieu, "chez-soi".
Marguerite Duras
Pour Marguerite Duras, 1914-1996, la véritable insomnie est sans raison, métaphysique. « C'est comme si on avait perdu la recette ». Elle survient de façon brutale : « tout à coup, on ne dort pas, comme une irruption dans la vie quotidienne ». Elle tombe du ciel. Elle n'a rien à voir avec le fait de ne pas dormir, la fausse insomnie provoquée par des ennuis, où « on traîne sa vie du jour dans la nuit ». La vraie insomnie entraine une familiarité avec la mort et lui fait perdre son visage d'horreur. Dans l'insomnie « on a l'impression de s'introduire dans un lieu défendu », dans un territoire interdit où les autres ne sont pas allés. C'est comme si on n'avait pas le droit de dormir, car la nuit il faut dormir. C'est un temps invivable, où règne la solitude. Cette transgression fait passer de « l'intelligence supportable du quotidien » à celui de « la grande intelligence » de la nuit où on est au bord de tout voir, surtout la vanité des choses. C'est une expérience profonde qui creuse l'intelligence. Cette connaissance est un enfer. Elle marque la fin d'une naïveté : « je n'ai jamais rencontré de grands insomniaques qui soient naïfs ». L'insomnie cesse quand on ne la traite pas comme une insomnie, citant Raymond Queneau : « je ne dors pas et je m'en fous, j'arrange ma vie autrement ».
Alain Cavalier
Pour Alain Cavalier, l'insomnie n'est pas une maladie. « Ce n'est rien du tout », il faut faire avec. Le temps du sommeil n'est pas suffisant pour évaluer le sommeil, il y a aussi sa profondeur et sa qualité. Son sommeil nocturne est très superficiel : il se réveille 6 à 7 fois. Une fois par mois il fait la « totale ». Quelques fois, il a des fourmis dans les jambes, il faut qu'il marche un peu, ne pouvant rester dix secondes à la même place. Au décours d'une nuit d'insomnie, A. Cavalier se décrit comme demi-endormi, ou demi-réveillé, ou demi-conscient, ou demi-lucide. Après ses quarts d'heure de sommeil diurne, où il récupère de son manque de sommeil, il se réveille très frais. Il craint le trou noir du sommeil, mais aussi ceux, beaucoup plus profonds, de la journée où il a l'impression d'avoir un poids, de peser des milliers de kilos. Il l'assimile à de la vie perdue, à une véritable plongée et à un engloutissement. L'insomnie est une des rares choses dans sa vie qu'il ait su retourner pour qu'elle soit positive. La pureté, la simplicité de la nuit lave les scories du jour, « alors que le jour, il y a dispersion », désordre. « Il y a quelque chose de magnifique la nuit, un repos, une paix, une détente ». Il ressent une sorte de communauté avec les gens qui ne dorment pas, cette « petite bande réveillée sur la terre, qui se fait signe ». Les nuits sans sommeil sont de grands rendez-vous, où il ne cherche pas à dormir, l'angoisse appartenant à ceux qui veulent dormir à tout prix. Il « passe ses nuits à collecter tout ce » qu'il peut « comme souvenirs de vie, comme preuves de vie ».
Françoise Dolto
Pour Françoise Dolto, l'insomnie est un symptôme qui peut rapidement disparaître. On ne peut pas guérir en prenant des somnifères.
« La peur de s'endormir, c'est la peur de ce qui peut permettre de bien vivre ». On peut assimiler le sommeil à la mort, « dans ce qu'elle a de vrai : la mort du sujet du désir ». Si une personne ne dort pas, elle n'est pas sans désir, mais sans représentation de celui-ci. S'il y a rêve, c'est que le désir revient. Trop penser empêche de dormir car on n'a pas assez agi, notamment dans l'échange avec l'autre. Les dépressifs ne dorment pas parce qu'ils ne sont pas assez fatigués, parce qu'ils sont occupés par un imaginaire victime et non par un imaginaire qui entre dans une création.
Pour les parents l'essentiel n'est pas que le bébé dorme mais qu'il ne crie ou qu'il ne pleure pas. Le bébé peut dormir sans qu'on s'en rende compte : il dort éveillé, les yeux ouverts. Mais il peut aussi ne pas dormir, sans déranger personne, simplement parce qu'il n'est pas anxieux d'être éveillé, à la différence du bébé qui est angoissé de l'être. Angoissé parce qu'il n'a pas assez d'occupation à sa vie symbolique. « Ils ont le désir de vivre mais ils ne savent pas par quel moyen ». Il faut alors leur laisser assez de signes de vie : leur parler pour lui donner à mémoriser, les mettre dans la société dès qu'ils naissent, ne pas leur donner l'impression de les quitter quand on les couche. C'est le bruit de la vie qui les endort parce que c'est le repos d'une libido fatiguée. « L'insomnie est une convivialité ratée entre le bébé et l'adulte ».
Frank Thomas
Frank Thomas se définit comme « un insomniaque qui dort, la tête posée sur l'oreiller ». Il ne s'endort pas avant 4 ou 5 heures du matin. Une fois par semaine, lorsque la fatigue s'est accumulée, il récupère en dormant du début d'après-midi jusqu'à minuit. C'est un être nocturne pour qui c'est un luxe de vivre la nuit, qui ne peut vivre s'il n'a pas senti un peu de celle-ci. Déjà bébé il l'aimait, probablement grâce à sa grand-mère qui savait donner sens aux soirées. Le silence de la nuit lui permet de prendre conscience de ce qui l'entoure, moins gêné par le bruit et l'agitation de la journée, mais aussi de se rencontrer soi-même, ainsi qu'un peu de sérénité. Il pense que les gens redoutent la nuit par peur de ne pouvoir se fuir. Elle a mauvaise réputation : les êtres nocturnes sont inquiétants, alors qu'ils sont marginaux et tous différents les uns des autres, contrairement aux êtres diurnes, elle est malfaisante, égalant le cauchemar, elle est noire, ce qui est généralement faux. Les gens qui dorment la nuit obéissent peut-être « aux lois plutôt qu'à leur bon plaisir ». La nuit n'est pas comparable à la mort, l'angoisse il la connaît plutôt dans la journée, effrayé par les comédies humaines. Une ville ne l'intéresse que la nuit. La nuit est un royaume, celui de l'au-delà, c'est le monde entier autour de lui.