Le déterminisme est une notion philosophique selon laquelle la succession de chaque événement est déterminée en vertu du principe de causalité, du passé et des lois de la physique.
Définition
Le déterminisme est la théorie selon laquelle la succession des événements et des phénomènes est due au principe de causalité, ce lien pouvant parfois être décrit par une loi physico-mathématique qui fonde alors le caractère prédictif de ces derniers.
Le déterminisme ne doit être confondu ni avec le fatalisme ni avec le nécessitarisme. Le nécessitarisme affirme la nécessité des phénomènes en vertu du principe de causalité, qui fait que, dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisant les mêmes effets, rien n'arrive qui ne soit nécessaire et qui ne pouvait être prédit de toute éternité. Si le nécessitarisme relève essentiellement de la philosophie, le déterminisme relève au premier chef de la science. La distinction pourra sembler subtile, mais ce qui démarque fondamentalement le déterminisme du nécessitarisme, c'est que la nécessité déterministe n'est pas une nécessité philosophique ou spéculative, mais une nécessité calculable en fait, en droit ou, du moins, en hypothèse. Alors que le fatalisme prédit une conséquence quelles que soient les causes, le déterminisme prédit une conséquence compte tenu des causes.
On distingue schématiquement le déterminisme régional et le déterminisme universel. Est régional le déterminisme qui gouverne un nombre fini d'éléments (le système boulet/obus est déterministe en ce sens : une fois donnés la force propulsive de la poudre, l'angle du canon par rapport à l'horizontale, la masse du boulet et la résistance de l'air, on peut calculer avec une très grande précision la forme et la durée de la trajectoire ainsi que, par conséquent, le point d'impact). Le déterminisme universel, parfois qualifié de « déterminisme laplacien », est problématique : peut-on considérer l'univers dans sa totalité comme un système déterministe ? Le déterminisme régional semble a priori moins problématique (de nombreux systèmes obéissent apparemment à des lois qui les rendent nécessaires).
L'idée du déterminisme universel fut esquissée la première fois par le baron d'Holbach :
« Dans un tourbillon de poussière qu'élève un vent impétueux ; quelque confus qu'il paraisse à nos yeux, dans la plus affreuse tempête excitée par des vents opposés qui soulèvent les flots, il n'y a pas une seule molécule de poussière ou d'eau qui soit placée au hasard, qui n'ait sa cause suffisante pour occuper le lieu où elle se trouve, et qui n'agisse rigoureusement de la manière dont elle doit agir. Un géomètre qui connaîtrait exactement les différentes forces qui agissent dans ces deux cas, et les propriétés des molécules qui sont mues, démontrerait que, d'après les causes données, chaque molécule agit précisément comme elle doit agir, et ne peut agir autrement qu'elle ne fait. »
— Paul Henri Thiry d'Holbach,Système de la nature
D'Holbach se distingue des nécessitaristes tels que Spinoza ou Hobbes en affirmant la calculabilité de la nécessité. Mais c'est à l'astronome et mathématicien Pierre-Simon de Laplace, que revient d'avoir affirmé le déterminisme universel dans toute sa rigueur :
« Nous devons envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. L'esprit humain offre, dans la perfection qu'il a su donner à l'astronomie, une faible esquisse de cette intelligence. Ses découvertes en mécanique et en géométrie, jointes à celles de la pesanteur universelle, l'ont mis à portée de comprendre dans les mêmes expressions analytiques les états passés et futurs du système du monde. En appliquant la même méthode à quelques autres objets de ses connaissances, il est parvenu à ramener à des lois générales les phénomènes observés, et à prévoir ceux que les circonstances données doivent faire éclore. »
— Pierre-Simon de Laplace,Essai philosophique sur les probabilités
En vertu du déterminisme universel, l'intelligence qui connaîtrait avec une absolue précision la position et l'énergie de tout objet dans la position initiale pourrait calculer l'évolution de l'univers à tout moment du temps. Déterminisme est dans ce cas synonyme de prédictibilité. Cependant, il existe des systèmes déterministes formellement non prédictibles (voir Problème de l'arrêt).
Le déterminisme social est le modèle sociologique qui établit la primauté de la société sur l'individu.
Théorie de la calculabilité
Le déterminisme comme notion mathématique vit le jour avec la formalisation des mathématiques à la fin du XIX siècle et au début du XX siècle et devint une notion centrale de la calculabilité avec l'apparition de la théorie des automates au milieu du XX siècle. L'apparition de l'informatique quantique à la fin du XX siècle et celle de la conception forte de la thèse de Church-Turing, baptisée thèse de Church–Turing–Deutsch, permet de concevoir une synthèse entre le déterminisme calculatoire et le déterminisme physique promus par l'école de la physique numérique dont la proposition « it from bit » est devenu l'emblème.
Limites
L'hypothèse du déterminisme universel a gouverné la science du XIX siècle. Elle a été remise en cause par la physique moderne au XX siècle :
Théorie du chaos et structure dissipative
La théorie du chaos est souvent citée comme allant à l'encontre de l'idée de déterminisme, alors qu'elle traite des systèmes dynamiques rigoureusement déterministes. Il y a là un non-sens sur lequel il faut être attentif.
Cette théorie décrit dans quelles conditions un système est ou peut sembler « prédictible » ou non (voire est non-prédictible au sens de Poincaré, von Neumann et Lorenz). Le déterminisme est lié au principe de causalité (dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les mêmes effets) ; la théorie du chaos précise que des causes quasiment identiques peuvent dans le cas général produire des effets totalement divergents et en ce sens, s'écarte du principe de causalité. Tel est le cas des prévisions météorologiques et du phénomène de « l'aile de papillon » (voir : effet papillon).
Il faut toutefois bien comprendre que, cet écart du principe de causalité n'est qu'apparent. En effet pour reproduire une expérience dans les mêmes conditions, la sensibilité aux conditions initiales d'un système dynamique déterministe impose une précision infinie sur ces conditions afin d'aboutir strictement aux mêmes effets. Ceci étant impossible en raison de la précision limitée des ordinateurs (par exemple pour la météorologie, d'où l'effet papillon) et des mesures expérimentales (impossibilité de connaître des grandeurs comme la position avec une précision infinie), un « chaos » émergera. Ainsi donc pour des causes quasiment identiques, sur des échelles temporelles suffisamment grandes un chaos s'installera. Il en va de même pour le système solaire, dont la stabilité n'est pas établie au-delà d'une dizaine de millions d'années.
La notion de structure dissipative est due à Ilya Prigogine. Elle aborde des phénomènes et propriétés des systèmes non-linéaires, et donc potentiellement non prédictibles, c'est-à-dire chaotiques, selon un point de vue différent.
Si les implications pratiques sont importantes, cette théorie ne remet cependant pas fondamentalement en cause les principes déterministes. La théorie reconnait que certains mécanismes par leur complexité et leur sensibilité vont pour un faible écart sur les conditions de départ produire des résultats fortement différenciés, mais les mécanismes restent déterministes: c'est de l'incapacité pratique à avoir une connaissance parfaite des paramètres que provient l'erreur. De fait la théorie du chaos est aussi appelée « théorie du chaos déterministe ».
Prigogine va plus loin dans son attaque au déterminisme. En se servant des bifurcations constatées sur certains attracteurs, il montre que, quelle que soit la précision donnée aux variables d'entrée, la solution "saute" d'une branche à une autre. Ces altérités ne sont donc pas liées à la précision et remettent en question le concept de déterminisme scientifique.
C'est sur ce constat qu'il appuie la notion de "flèche du temps" et d'irréversibilité des équations, mettant ainsi en doute le signe "=" de nos systèmes de physique.
Physique quantique
La physique quantique, par l'intermédiaire du mal-nommé principe d'incertitude d'Heisenberg (1927), est souvent considérée à tort comme une théorie qui empêche une connaissance totale de la Nature et de ses constituants. La raison est historique d'abord, suite à un vocabulaire mal choisi par Heisenberg : il aurait d'abord utilisé le terme « incertitude », avant de le remplacer par « indétermination » moins ambivalent. Le principe d'incertitude est souvent présenté comme impliquant l'impossibilité de connaître avec une infinie précision la position et la vitesse d'une particule par rapport à un même temps donné, contrairement aux données requises par le « démon » de Laplace. Cependant, une particule quantique n'a ni position ni vitesse, qui sont des propriétés des objets classiques.
Cela dit, on ne peut connaître les observables (position, vitesse, etc.) qu'à l'aide d'une fonction de probabilité. Cependant, le déterminisme ne disparaît pas totalement en physique quantique, puisque ces probabilités peuvent être calculées exactement à partir de l'état initial du système considéré selon des lois rigoureusement déterministes (par exemple, l'équation de Schrödinger en mécanique quantique non relativiste).
Toutefois, contrairement à l'hypothèse du déterminisme classique, le principe d'indétermination semble impliquer que l'Univers obéit au libre jeu du hasard. Albert Einstein affirma à ce sujet : « Dieu ne joue pas aux dés », ce à quoi Niels Bohr répondit : « Einstein, cessez de dire à Dieu ce qu'il doit faire ! » (selon d'autres : « Comment savoir à quoi Dieu joue ? »). Mais la physique quantique n'invaliderait que le déterminisme universel : le déterminisme régional reste un principe d'explication physique incontournable pour nombre de phénomènes.
Une intelligence intérieure à l'univers ne sera probablement jamais en mesure de connaître exactement l'état de l'univers entier à un instant donné (en raison du principe d'indétermination, qui exorcise ainsi le démon de Laplace). Toutefois cela n'invalide en rien la théorie du déterminisme universel, puisque la possibilité de connaître l'état de l'univers n'est ni un pré-requis ni une conséquence nécessaire du déterminisme universel.
La physique quantique est une théorie qui décrit le comportement des particules et des rayonnements sans rien dire de leur nature intrinsèque : c'est l'interprétation de Copenhague.
Philosophie
Les stoïciens ont une conception déterministe du monde et pensent que l'intégralité de l'Univers actuel est le résultat de la succession rationnelle de l'ensemble des causes et de leurs conséquences depuis son apparition. L'ordre dans lequel s'organise le monde est inéluctable (les événements actuels sont le résultat des causes qui les précèdent, résultant elles-mêmes de causes antérieures, etc.) et rationnel, conditionné uniquement par les lois scientifiques qui le régissent.
Le principe de causalité lié au déterminisme suppose l'identité des causes, ce qui n'est possible, en toute rigueur, que dans certains cas, comme une modélisation mathématique, et non en physique où l'on ne peut parler que de causes semblables (ou pseudo-identiques), ce qui suffit pour les constructeurs et l'industrie en général, mais non pour les phénomènes fortement sensibles aux conditions initiales (voir en particulier les cas mis en évidence par la théorie du chaos).
Le déterminisme ne doit pas être confondu avec l'idée de prédestination des jansénistes ou de Blaise Pascal, qui est une idée purement théologique, concernant d'ailleurs moins la série des événements que le salut ou la réprobation de l'âme après la mort.
Psychanalyse
La psychanalyse repose sur l'idée d’un déterminisme inconscient de la vie psychique, des idées et des actes : une idée qui se présente à l'esprit ou un acte ne sont pas arbitraires, ils ont un antécédent, un sens, une cause que l'exploration de l'inconscient peut permettre de mettre au jour. Selon Sigmund Freud, ce déterminisme psychique « exclut toute forme de hasard et de non-sens » intérieur (Freud récuse formellement tout « hasard intérieur » et affirme que seul le superstitieux croit au hasard intérieur). Freud en donne de multiples illustrations dans toute son œuvre, et particulièrement dans Psychopathologie de la vie quotidienne.