Le gluten est la fraction protéique insoluble du grain c'est-à-dire la substance azotée visqueuse, obtenue par lixiviation (lavage par l'eau) enlevant l'amidon d'une pâte de farine panifiable, tirée de céréales comme le blé ou le seigle et dans une moindre mesure l'orge.
Il est principalement constitué de deux protéines : la gliadine et la gluténine. Ce sont ces protéines insolubles qui donnent à la farine des propriétés visco-élastiques, exploitées en boulangerie lors du pétrissage de la farine avec de l'eau et qui permettront à la pâte de lever lors de la fermentation.
Le gluten a été décrit la première fois en 1742 par Giacomo Beccari, professeur à l'université de Bologne. Le terme dérive du latin classique gluten « colle, glu, gomme ». Il était initialement appelé glutine.
Il est responsable chez une partie de la population d'un trouble spécifique de la digestion nommé maladie cœliaque. Depuis les années 2010, il fait aussi l'objet d'un vaste effet de mode de régimes spécialisés (« gluten free »), sans véritable fondement scientifique ou médical.
Composition
Composition protéique de la farine de blé (d'après Debiton)
L'albumen du grain de blé est un tissu de réserve essentiellement constitué de granules d'amidon enchâssées dans une matrice protéique composée de gliadines, de gluténines, d'albumines et de globulines.
Le gluten se caractérise par son mode d'extraction : après avoir pétri de la farine de froment avec 50 % de son poids d'eau, on obtient une pâte élastique. Si ensuite, on lave celle-ci sous un mince filet d'eau, peu à peu l'amidon et les protéines solubles se dissolvent et on obtient une substance verdâtre gélatineuse, nommée « gluten ».
Outre les protéines, le gluten contient de l'amidon (8 à 10 % des MS), des sucres réducteurs (1 à 2 % MS), des lipides (5 à 10 % MS), des pentosanes (2 % MS) et des matières minérales.
Les protéines de l'albumen du blé sont caractérisées par leur solubilité :
les albumines sont solubles dans l'eau ;
les globulines sont solubles dans des solutions salines ;
les gliadines sont solubles dans une solution d'alcool (éthanol à 70 %)
les gluténines, insolubles dans les solvants précédents, sont partiellement solubles dans les solutions acides diluées et dans l'urée.
Les protéines insolubles qui sont les composants du gluten (gliadine, gluténine) représentent de 80 à 85 % de toutes les protéines. Les gliadines ont un poids moléculaire inférieur à celui des gluténines.
Les gliadines et les gluténines sont hydrolysées par des enzymes au moment de la germination et du développement de la plantule pour fournir des acides aminés nécessaires à la croissance. Ces protéines du gluten se caractérisent par une teneur élevée en acide glutamique et en proline et par une faible teneur en acides aminés basiques.
Propriétés visco-élastiques
- liaison bleue disulfure intermoléculaire
- liaison mauve disulfure intramoléculaire
- liaison orange non covalente
a) protéines associées par des liaisons disulfures intermoléculaires conférant une certaine élasticité à l'agrégat protéique
b)protéines associées par des liaisons non covalentes intermoléculaires conférant une certaine viscosité à l'agrégat moléculaire, d'après Pierre Feillet
Le gluten est responsable de l'élasticité de la pâte malaxée ainsi que de la masticabilité des produits à base de céréales cuits au four.
Quand elles sont hydratées, les gliadines sont très extensibles et confèrent à la pâte son extensibilité, sa viscosité et sa plasticité. Les gluténines sont quant à elles, responsables de la ténacité et de l'élasticité de la pâte. Les sous-unités gluténines de haut poids moléculaires forment des polymères liés par des ponts disulfures qui contribuent à l'élasticité du gluten.
Cette visco-élasticité est utile à la fabrication du pain : les bulles de CO2 dégagées lors de la dégradation anaérobie des sucres fermentescibles par les levures, sont figées dans le réseau de gluten à la fois tenace et élastique (la pâte « lève »). On le retrouve donc dans les farines de céréales panifiables comme le blé, l'épeautre (69 % d’alpha gliadine), le seigle (30 % à 50 % de sécaline), mais également dans des céréales difficilement panifiables, comme l'orge (46 % à 52 % de hordéine), le maïs (55 % de zéine ou zénine), le riz (5 % d’orzénine).
Le sarrasin, une polygonacée, ainsi que le quinoa et l'amarante, des chénopodiacées, ne contiennent quant à eux pas de gluten.
Le gluten a une forte teneur en glutamine et en proline et une faible teneur en lysine, en histidine et en arginine (des acides aminés basiques).
Extraction
Le gluten peut être extrait de la farine de blé ou de certaines autres céréales par lavage. On procède en rinçant à l'eau une pâte simple obtenue à partir de farine et d'eau, et malaxée jusqu'à ce que l'eau de rinçage soit claire et exempte d'amidon et de son. Le composé obtenu est ensuite séché par atomisation.
Dans l'industrie, le gluten de blé est obtenu par séparation centrifuge : une pâte est préparée à partir de farine de blé et d'eau, cette pâte passe ensuite par une centrifugeuse à vis et bol qui sépare l'amidon, le gluten et les sucres solubles du blé. Le gluten est ensuite lavé, essoré, séché et pulvérisé afin d'obtenir une poudre de gluten que l'on retrouve souvent dans les boulangeries industrielles en complémentation des farines faibles.
Nutrition: allergie au blé, intolérance au gluten (maladie cœliaque), intolérance non cœliaque
Le gluten n'a pas toujours eu mauvaise presse. Dans les années 1960 des biscottes appauvries en amidon parce que destinées aux diabétiques, par exemple chez Heudebert, étaient en vente dans les boulangeries et quelques magasins d'alimentation en tant que Biscottes au gluten. Cependant, un effet de mode alimentaire récent venu des États-Unis tend à jeter l'opprobre sur cette protéine, et a permis l'émergence d'un marché alimentaire spécialisé extrêmement lucratif, alors que les études médicales sur le sujet ont démontré que le gluten n'avait aucun effet délétère sur l'organisme en dehors de quelques rares cas d'allergies réelles.
Allergie au blé
Une faible proportion de la population (surtout de très jeunes enfants) présente des symptômes typiques d'allergie après consommation de blé ou de dérivés. Dans une allergie, les symptômes se manifestent juste après la consommation du produit, et on peut détecter des immunoglobulines spécifiques. Le blé figure sur la liste des allergènes reconnus par l'Union européenne, dont l'étiquetage différencié est obligatoire. Plusieurs composants du blé peuvent être à la source de l'allergie, les protéines (dont le gluten, mais pas seulement) jouant un rôle principal. L'allergie au blé des très jeunes enfants peut disparaître progressivement avec l'âge.
Intolérance au gluten (maladie cœliaque)
Certaines personnes présentent une intolérance au gluten appelée maladie cœliaque.
Cette maladie est une intolérance permanente à l'une des fractions protéiques du gluten contenues dans le blé, le seigle, l'orge et l'épeautre. Elle provoque une atrophie des villosités intestinales au niveau de l'intestin grêle, entraînant une destruction de la paroi. Par conséquent, certains nutriments (calcium, vitamines, fer...) sont mal absorbés et provoquent de graves carences.
Le seul traitement aujourd'hui est un régime strict sans gluten à vie. En effet, aucun traitement médicamenteux n’existe.
Une des pistes de recherche la plus avancée est basée sur l'ingestion d'enzymes de dégradation du gluten, permettant de le dégrader en fragments non immunogènes. Les symptômes peuvent apparaître très tôt (quelques semaines après l'introduction de farines dans l'alimentation des nourrissons), et sont très variés : diarrhée chronique, hypotrophie, perte de poids, croissance ralentie voire stoppée, vomissement, etc.
L’intolérance au gluten se manifeste chez l’adulte par une fatigue chronique provoquée par des carences vitaminiques, des troubles gastro-intestinaux (douleurs abdominales, digestion difficile, diarrhée, selles molles, reflux gastro-œsophagien), des problèmes articulaires, des troubles neurologiques, dermatologiques, stomatologiques, etc. La dermatite herpétiforme peut être liée à la consommation de gluten.
La maladie cœliaque est souvent associée au blé, plus spécifiquement, au groupe de protéines appelés les prolamines, ou gluten. En France, l'AFDIAG (Association française des intolérants au gluten) est un soutien pour tous les cœliaques. La SBC asbl (société belge de la cœliaquie asbl), en Belgique, l'A.L.I.G. (association luxembourgeoise des intolérants au gluten), au Grand-Duché de Luxembourg, et l'ARC (Association Suisse Romande de la Coeliakie), en Suisse, remplissent le même rôle.
La controverse de l'avoine
L'avoine n'a pas toutes les prolamines trouvées dans le blé, mais l'avoine contient de l'avénine. L'avénine est toxique pour la muqueuse intestinale des personnes qui y sont sensibles, et peut entraîner une réaction cœliaque.
Des recherches récentes indiquent que certaines variétés d'avoine sont inoffensives et bonnes pour une alimentation sans gluten, parce que différentes variétés d'avoine ont différents niveaux de toxicité. Bien que l'avoine contienne de l'avénine, plusieurs études suggèrent que ce n'est pas forcément un problème pour les cœliaques. La première de ces études fut publiée en 1995. Une étude suivante précisa qu'il n’était pas dangereux de consommer de l'avoine sur une longue période.
En fait, l'avoine est souvent sous-traitée avec le blé, l'orge et d'autres grains, et se retrouve donc contaminée par d'autres glutens. À cause de ce problème, la FAO, responsable du Codex Alimentarius, liste officiellement l'avoine comme contenant du gluten. L'avoine d’Irlande et d'Écosse, où le blé est moins cultivé, est moins encline à être contaminée. L'avoine fait partie de l'alimentation sans gluten en Suède et en Finlande. Les fournisseurs de ces pays offrent des produits 'pure avoine' donc non contaminés par les blés.
L'avoine est une espèce d'herbe de la famille des avenées, qui est dans la sous-famille des poacées comme la sous-famille des triticées (contenant blé, seigle, orge, etc.). L'avoine est donc l’espèce la plus proche des céréales Triticées. Certaines variétés cultivées contiennent une protéine pathogène, qui peut provoquer les mêmes symptômes que l’intolérance au gluten et les maladies cœliaques.
L'origine de la controverse
Après la Seconde Guerre mondiale, le blé fut suspecté de causer la maladie cœliaque, et le gluten du blé fut très tôt identifié comme en étant la cause. La biopsie duodénale (considérée aujourd'hui comme la méthode de diagnostic de référence) n'avait pas encore été mise au point, mais des méthodes indirectes de mesure étaient utilisées. Notamment, dans deux études, trois enfants furent nourris de 75 à 150 g d'avoine par jour et avaient développé les symptômes. Dans trois études parallèles, 10 enfants et 2 adultes furent autorisés à manger de 28 à 60 g d'avoine et ils n'ont pas développé de symptômes. Mais depuis, le blé, l'orge et quelquefois le seigle sont des contaminants courants de l'avoine dans l'industrie. À cause de cette contamination, l'avoine serait donc considérée comme toxique pour les cœliaques.
Recherches actuelles
Une étude publiée en 2011 met en évidence les différents niveaux de toxicité parmi les différentes variétés d'avoine, indiquant que le croisement d’espèces n'est pas la seule raison à l'origine de ces variations et réactions chez les intolérants du gluten. Une étude publiée en 2008 trouva que sur 109 sources d'avoine étudiées, 85 avaient des taux inacceptables de gluten provenant du blé, de l'orge et du seigle.
« Sensibilité au gluten » (intolérance non cœliaque)
Selon certaines associations, il existerait aussi une sensibilité au gluten, différente de la maladie cœliaque, qui toucherait jusqu'à 6 % de la population américaine. Cette sensibilité est appuyée par quelques publications d'instituts biolgiques américains privés, mais aussi principalement des ouvrages pseudo-scientifiques chez des éditeurs commerciaux. Aux États-Unis, le livre Wheat Belly, qui présente le blé comme un « poison chronique », a ainsi connu un grand succès de vente dès le premier mois de sa publication en 2011. Cependant, de nombreuses études postérieures, publiques ou sans lien direct avec l'industrie agro-alimentaire, et menées sur de plus larges échantillons, ont systématiquement abouti à l'inexistence d'un tel syndrome. De même, manger sans gluten n'est pas reconnu comme un moyen de manger plus sainement ou de perdre du poids.
La sensibilité au gluten chez ces personnes serait principalement due à l'effet nocebo. Une autre explication serait une sensibilité à des glucides peu ou pas fermentescibles, les FODMAP, ou à une alimentation trop riche en protéines (notamment dans le cas de régimes pauvres en graisses et sucres, et donc peu rassasiants et constitués essentiellement de protéines ou de nutriments peu digestes).
Une autre explication tient dans la teneur en gluten de la junkfood (ou « malbouffe ») : la plupart des aliments de junkfood étant riches en gluten (burgers, frites industrielles, pizzas, céréales, pâtes, sandwiches...), l'arrêt de ces aliments et leur remplacement par une alimentation plus équilibrée et de meilleure qualité entraîne généralement une amélioration de l'état de santé. C'est cette amélioration qui est ensuite revendiquée par l'industrie du gluten-free comme effet bénéfique de leur régime, alors qu'elle n'a aucun rapport avec le gluten lui-même. Corinne Peirano, diététicienne et nutritionniste, analyse ainsi : « Lorsqu’on se met au régime sans gluten, on se sent mieux. Forcément. Mais l’absence de gluten n’y est pas forcément pour quelque chose. Comme le regard sur l’assiette change, on améliore son contenu, on mange plus diversifié, plus de végétaux, moins de glucides qui fermentent, moins de cochonneries aussi. », mais à terme le risque de carence entraîné par un régime sans aliments contenant du gluten tend à avoir des effets clairement nocifs.
Le business du gluten-free
Autour de cette croyance en des effets délétères du gluten, s'est développé toute une industrie extrêmement lucrative (estimée à environ 60 millions d'euros rien qu'en France, et en expansion de 30% par an), abondamment relayée par la presse publicitaire et notamment les journaux féminins mais aussi des célébrités comme Miley Cyrus, rapidement relayés par le développement d'un certain nombre de médias spécialisés et de réseaux sociaux, allant parfois jusqu'aux pratiques à risque de dérive sectaire, ou des escroqueries criantes, telles que l'« eau sans gluten », ou de manière plus problématique comme traitement contre l'autisme, cette maladie incurable et encore mal comprise était régulièrement la cible de charlatans.
De nombreuses chaînes de l'agro-industrie (des grandes surfaces à Éric Kayser), ainsi que certains chefs, ont récemment développé des menus « gluten free » pour satisfaire à cette mode, moyennant souvent des prix somptuaires et rarement justifiés par autre chose que l'effet de mode. En dehors des allergies, aucun de ces produits n'a cependant démontré d'effet bénéfique sur la santé par rapport à un produit de qualité identique contenant du gluten, voire au contraire puisque les régimes sans gluten présentent des risques de carences.
Plusieurs sociologues se sont penchés sur ce phénomène. Claude Fischler, de l'EPHE, analyse ainsi que « la tendance est à l’individualisation, aux États-Unis, en particulier, et à la médicalisation des repas », c'est-à-dire au contrôle par des groupes industriels de l'alimentation des citoyens, sous des prétexte médicaux fallacieux. « C’est une offense de refuser un plat lorsqu’on partage un repas. En France plus qu’ailleurs. Mais prétendre une maladie cœliaque ou une hypersensibilité au gluten, c’est une façon commode de dire qu’on ne mangera pas de pâtes ou de céréales ». L'intolérance au gluten serait ainsi un prétexte commode pour dissimuler un comportement orthorexique, ou affecter une distinction sociale dans sa manière d'être par un mécanisme de consommation ostentatoire.