L'« effacement de consommation électrique » ou « lissage de la courbe de charge par le pilotage de la demande » consiste, en cas de déséquilibre offre/demande d'électricité à provisoirement (en période de pointe journalière et/ou saisonnière de consommation électrique) réduire la consommation physique d'un site donné ou d'un groupe d'acteurs (par rapport à sa consommation « normale »), l'effacement étant déclenché par une stimulation extérieure.
L'effacement peut constituer un substitut économique à l'installation de nouveaux moyens de production et une réponse à la difficulté de stocker de l'énergie pour l'utiliser plus tard, notamment afin de contribuer à l'équilibrage du réseau lors d'une baisse de production, d'une hausse de consommation, ou de compenser l'intermittence de la production à partir d'énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.), sans sacrifier le confort des ménages et la production des entreprises. Par exemple, faire la lessive ou la vaisselle la nuit et l'extinction de 15 à 30 min du chauffage électrique dans un logement ou un bureau bien isolé ne modifie pas le confort des consommateurs. De même, l'arrêt d'un process industriel a un impact limité si l'usine peut continuer à fonctionner sur ses stocks intermédiaires.
L'effacement est facilité par le développement des « réseaux intelligents » permis par les TICs, avec l'utilisation d'automates industriels ou de compteurs intelligents de type Linky, dans une dynamique de type « troisième révolution industrielle » notamment. La structure autrefois pyramidale et centralisée du système électrique tend à devenir plus horizontale et à donner aux consommateurs un rôle plus actif, tout en permettant un système plus efficient et sûr (« optimisation stochastique »).
Histoire
En France, dans les années 1950, alors que les barrages électriques produisent parfois trop d'électricité par rapport aux besoins existants autour des premières lignes THT, des contrats tarifaires d’effacement sont signés entre EDF et certains industriels tels que des fonderies. Ces contrats vont se généraliser pour des industriels qui peuvent acheter l'électricité moins chère, s'ils s'engagent à ne pas utiliser d’électricité (ou alors à un coût très élevé), les jours de l’année choisis par EDF.
Le concept d'effacement de consommation visant à mieux équilibrer le système électrique en temps réel a eu des précurseurs en France avec les tarifs horo-saisonnalisés (de type heures pleines/heures creuses, 1965) ou encore les contrats dits EJP (1982).
Le tarif EJP, ou Effacement Jour de Pointe, d'EDF en France permet en effet de bénéficier d'une réduction tarifaire importante en contrepartie de tarifs nettement plus élevés, voire prohibitifs, pendant 22 jours dans l'année, décidés par EDF. Des formules plus souples et graduées de ce principe seront permises par les smart grids via les nouveaux compteurs intelligents d'électricité (tel Linky en cours d'installation en France par ERDF). Dans le même temps, EDF puis RTE ont fait des offres d'effacement à de gros consommateurs (industriels le plus souvent) ;
Dans les années 2000, RTE a envisagé et testé un effacement diffus consistant à "supprimer" simultanément la consommation de milliers de logements contractuellement volontaires : Un opérateur disposant de moyens de télégestion (via un boitier, gratuitement ajouté au tableau électrique) éteint durant un certain temps (quelques minutes en général) le chauffage ou la climatisation du client… L'adhérent est ensuite rémunéré par un coût d'électricité un peu plus avantageux le reste du temps et par ses économies d'énergie. L'opérateur est rémunéré pour ses « négawatts » par le gestionnaire de réseau, comme s'il était un producteur d'électricité. Selon des études et tests faits par le CSTB et l’ADEME avec la société Voltalis (société créée en 2006, unique acteur d'effacement diffus qualifié par RTE) et RTE en Bretagne, sur 15 000 logements, l'effacement diffus peut aussi permettre aux consommateurs d'économiser de l'électricité. « Ainsi, des coupures de l’alimentation du chauffage et de l’eau chaude électrique pendant 15 à 20 minutes par heure permettraient de réaliser les jours où elles sont pratiquées, une économie moyenne de l’ordre de 7 à 8 % de la consommation totale journalière d’électricité. A titre de comparaison, cela équivaut à l’économie d’énergie obtenue en baissant d’1 °C la température dans le logement ».
Depuis 2009, l'effacement de consommateurs industriels est également de plus en plus utilisé par RTE et supplante en partie les offres EJP d’EDF. Cette croissance a été notamment facilitée par l’arrivée de tierces parties dédiées (tels que E.ON France, ou Energy Pool) qui agrègent les capacités d’effacement des consommateurs et les rendent plus fiables.
L'effacement a pris une importance nouvelle d'une part dans la perspective de la transition énergétique vers les énergie propres, sûres et renouvelables mais aussi d'autre part dans la transition vers un marché plus libéralisé et dérégulé. Dans ces deux cas, il y a une volonté de décentraliser le dispatching et de le rendre optimal pour les individus et collectivités. Pour cela, des règles de quantification et de rémunération des droits des consommateurs et des producteurs participant aux marchés de l’électricité doivent être établies.
Toutefois, l'effacement ne peut répondre aux défaillances de production (production inférieur aux besoins) ni aux défaillances graves du réseau (incapacité du réseau à conduire l'électricité jusqu'au consommateur final. En particulier dans les pays pauvres ou en guerre, les effacements n'empêchent pas des délestages massifs, des coupures tournantes ou des délestages sélectifs qui contribuent à la précarité énergétique et aux inégalités face à l'énergie.
Principe
Le gestionnaire de réseau (RTE en France) considère la consommation de référence (Consumer Baseline Load en anglais), qui est estimée en fonction d'un historique de consommation ainsi que des conditions notamment météorologiques (température, nébulosité) mais aussi économiques (semaine ou weekend, jour férié, vacances, etc.).
Ce gestionnaire va comparer la consommation réelle et la consommation de référence et en déduire un historique d'effacement réalisé. En fonction du contrat passé entre le consommateur et son fournisseur d'électricité ou avec un « agrégateur », l'effacement est soit validé et donne alors lieu à une rémunération, soit jugé « défaillant » et, dans ce cas, une « pénalité » peut être appliquée.
Action à quatre niveaux : Outre une action en amont d'écoconception, éco-domotique, sensibilisation etc., l'effacement concerne concrètement quatre niveaux d'action :
le pilotage d'urgence (ou « délestage ») ; souvent en situation d'accident ou de catastrophe, il se fait sans consultation du client/consommateur, éventuellement avec une alerte et un certain délai lui permettant de basculer sur des ressources propres tels que groupe électrogène, chaudière de secours, etc.) ; Dans certains cas le client conserve une marge d'autonomie (par exemple le Programmable Communicating Thermostat (en) ou PCT, obligatoire dans les bâtiments neufs qui en Californie « permettent de commander temporairement une hausse de la température de consigne des climatiseurs de 1 à 3°C en période de pointe estivale et le client – informé de ce changement – garde la possibilité de rétablir la température initiale ». Parfois le signal radio sera préférable au courant porteur qui n'existe éventuellement plus dans le cas d'un délestage d'urgence ; En Bretagne (France), une information d'urgence envoyée via le dispositif EcoWatt à des consommateurs volontaires (particuliers, collectivités locales, entreprises, ...) a déjà permis un effacement volontaire correspondant à une ville de 4000 habitants.
le pilotage contractualisé de la charge ; Le client autorise l'opérateur extérieur ou le fournisseur à modifier sa consommation. Ce pilotage peut se faire notamment dans le cadre du Mécanisme d'ajustement (où un système d’offres à la hausse et à la baisse incite les acteurs du mécanisme d’ajustement à ajuster leur consommation à l'offre de RTE en temps réel, selon un interclassement des besoins basé sur un critère de préséance économique). Des opérateurs intermédiaires entre le fournisseur et le consommateur sont dits « agrégateurs ». En 2010, ce sont surtout les gros consommateurs qui étaient ciblés : tout site effacé devait représenter une puissance d'au moins 1 MW, seuil que RTE a proposé de faire passer à 250 kW. Diminuer ce seuil pour le rendre accessible aux particuliers améliorerait les capacités d'ajustement diffus, mais implique de modifier les systèmes d'information des gestionnaires de réseau de distribution ; Lorsque des compteurs intelligents sont assez nombreux sur une zone, RTE peut sous-traiter la gestion locale de l'équilibre à des « responsable d'équilibre » (« Un responsable d'équilibre est une personne morale qui s’engage contractuellement envers RTE à régler pour le compte des utilisateurs du réseau rattachés à son périmètre, le coût des écarts constatés a posteriori. Ces écarts correspondent à la différence entre l’ensemble des fournitures et des consommations d’électricité dont il est responsable »)
l'incitation tarifaire : L'exemple classique est le système tarif heures pleines/creuses, suivies des tarifs EJP et Tempo, dits "à pointe mobile" avec un signal de basculement piloté par le gestionnaire de réseau. C'est ici le signal-prix, modulé dans le temps en fonction du coût d'approvisionnement en électricité qui est le facteur d'incitation, via les économies faites par ceux des consommateurs qui adaptent volontairement leur comportement. L'asservissement électronique et la télégestion de certains usages complètent le système. En France la télécommande la plus fréquente est à fréquence musicale pilotée par le réseau de distribution lui-même, avec en 2010 40 signaux disponibles, dont 12 sont pour l'éclairage public et 28 pour les tarifs heures pleines/creuses, EJP et Tempo.
l’intérêt financier de l'opérateur d'effacement : L'opérateur d'effacement va être rémunéré en fonction de la quantité d'énergie effacée et cela à partir de 2015. Cela deviendra donc un marché privé rémunérateur.
Prospective concernant l'effacement volontaire de consommation : Il est en France considéré dans le « scénario de référence» par RTE : par exemple, des pompes à chaleur installées dans l'habitat ancien sont « effacées » les jours de grand froid, avec relais par les chaudières qui ont été maintenues ou mise en route d'un chauffage bi-énergie (fioul, bois, etc.), ce qui selon les prospectivistes de RTE représenterait un effacement de puissance de 1,5 GW pour l'hiver 2012-2013 et de 2,8 GW pour l'hiver 2019-2020.
Intérêt
Pour un gestionnaire de réseau électrique confronté à un pic de demande en électricité, trois grandes solutions sont possibles (et parfois complémentaires) :
faire appel au réseau international (solution coûteuse et réservée aux urgence. De plus en période de froid, les autres pays sont également en situation tendue, voire eux-mêmes en manque d'électricité) ;
activer des moyens supplémentaires de production électrique (centrale au gaz, fuel ou charbon souvent, qui ne fonctionnent qu'en production de pointe) ;
réduire la consommation de certains acteurs (qui sont prévenus et contractuellement « volontaires »), via un processus automatique dit d'« effacement de consommation ».
Pour le gestionnaire de réseau, ces trois solutions se valent sur le plan du service final et du rééquilibrage de la relation offre-demande, mais elles diffèrent beaucoup sur le plan de la responsabilité sociale et environnementale, car alors que les deux premières solutions vont augmenter la pollution et le risque d'accident, la troisième solution (l'effacement) est une alternative efficace à la mobilisation de nouveaux moyens de production de pointe coûteux et souvent les plus émetteurs de CO2.
En France
L'effacement électrique est nécessaire au bon fonctionnement du réseau de transport électrique (RTE) pour éviter les surcharges. Il a atteint un pic historique (500 MW) un jour de froid inhabituel durant une période de froid printanier où tout le réseau européen était proche de ses limites (le 5 avril 2013).
Principaux acteurs en jeu
Ce sont d'une part les consommateurs d'électricité, et d'autre part les fournisseurs d'électricité ou agrégateurs qui proposent des tarifs avec effacement ou des contrats spécifiques à leurs clients (notamment les industriels). À ce titre, EDF était réputé disposer d'une capacité d'effacement d'environ 3 GW en 2010. Ainsi, dans l'hypothèse d'une consommation constante le reste de l’année, en 2010, un industriel stoppant sa consommation électrique aux heures de pointe de consommation et aux heures pleines d’hiver, économisait moins de 3,8 €/MWh sur la part variable et moins de 7 €/MWh sur la part fixe, c'est-à-dire la garantie de puissance avec le risque éventuel d'un report de cette consommation vers une source polluante (fuel, charbon).
Des chercheurs et opérateurs travaillent sur l'effacement dans le cadre des smart grids.
Les agrégateurs d'effacement sont des acteurs spécialisés qui regroupent des capacités d'effacement auprès des consommateurs individuels (particuliers ou entreprises) afin de les valoriser sur le marché de capacité ou directement auprès de RTE dans le cadre de l'équilibrage des réseaux. Parmi les entreprises spécialisées dans ce secteur d'activité, on compte notamment :
Actility,
Dalkia,
EQINOV
EDF,
Enerdigit,
GDF SUEZ,
Energy Pool,
E.ON France
Ijenko,
Novawatt,
Smart Grid Energy,
Taramis Energy,
Valoris Energie,
Voltalis.
Législation
La loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, ou loi « Nome », prévoit, dans un délai de trois ans après la publication du décret organisant le marché de capacité, l'organisation d'appels d'offres pour mettre en œuvre des capacités d'effacement progressivement croissantes. Un décret signé le 14 décembre 2012 a défini les règles de ce marché.
Une nouvelle version de la proposition de loi « Brottes », adoptée par l'Assemblée nationale le 17 janvier 2013, renommée « proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes » contient à nouveau des mesures relatives à l'effacement de consommation d'électricité et au marché de capacité (qui devrait démarrer fin 2015).
Un projet d'arrêté prévoyant d’accorder une prime de 30 euros par mégawattheure (MWh) pour les opérateurs effaçant l’électricité chez les particuliers et les petites entreprises (jusqu’à 36 kVA) entre 7 heures et 23 heures chaque jour de l’année, a été rejeté à une large majorité par le Conseil supérieur de l’énergie (CSE) ; cette prime est contestée aussi bien par l'Autorité de la concurrence que par les associations de consommateurs et par les opérateurs.
Cadre, contexte
La crise de 2008 a réduit la demande en électricité et diminué la tension offre-demande en Europe et en France, mais elle a aussi ajourné des projets de production ou l'arrêt anticipé de certaines centrales. RTE estime donc qu'il faudra consolider la sécurité électrique à partir de 2015.
Début 2013, le gouvernement a annoncé (pour avril 2013), un appel d'offres pour des capacités d'effacement à l'horizon 2015-2016. C'est une réponse à RTE (gestionnaire du réseau électrique) qui avait alerté dans son bilan prévisionnel une lacune en la matière, à combler pour retrouver un équilibre offre-demande et la sécurité électrique de la France à partir de 2015.
Selon l'exposé des motifs d'un amendement du gouvernement au projet de loi : « En l'état actuel du droit, aucun mécanisme n'est prévu pour rémunérer l'effacement au titre de sa valeur en capacité entre fin 2013 et l'hiver 2015-2016, autrement que par le biais du mécanisme d'ajustement », ce qui freine le développement des capacités d'effacement, ce pourquoi il est prévu un dispositif d'appel d'offres, en attendant la mise en place d'un mécanisme de capacité pérenne.