Affiche de 1908 faisant la publicité des films sonores Gaumont. L'air comprimé servait à amplifier le son enregistré du chronomégaphone conçu pour les grandes salles de projection.
Le cinéma sonore (ou en français : cinéma parlant) allie images en mouvement et son. Il n'est pas strictement opposé au cinéma muet. En effet, dès les premiers temps du cinéma, même si les films étaient essentiellement muets, leur projection était souvent accompagnée de sons : bruitages réalisés en direct, bonimenteurs, systèmes expérimentaux de synchronisation sur disque, musiciens d'accompagnement (lors des rééditions plus récentes de ces films, les sons autrefois produits par une source séparée font partie intégrante du film en tant que bande sonore).
Le cinéma comme art était donc souvent sonore. D'autre part, les débuts du cinéma sonore au sens strict consistèrent parfois à rajouter du son à des films autrefois muets, pour leur redonner vie. Des projections publiques de films sont présentées à Paris, en 1900 à l'occasion de l'exposition universelle.
De 1908 à 1917, c'est l'ère des phonoscènes Gaumont projetées et diffusées grâce au Chronophone. En 1919, le 10 octobre, Blattner (née d'une famille Juive d'Allemagne, réfugié en Angleterre, puis aux États-Unis) fait la première démonstration publique d’un film sonorisé au moyen de l’appareil. La démonstration était concluante et l’appareil suscitait de l’intérêt car le son optique sur film était plus cher et le son du Blattnerphone était de meilleure qualité que celui du procédé photographique Tobis-Klankfilm confronté à ce moment à des problèmes de bruit de fond. Stille va alors déposer différents brevets couvrant des améliorations de l’appareil que Blattner appellera “Blattnerphone”. L’appareil souffrait de quelques problèmes qui contrecarrèrent son utilisation : le défilement non réellement synchrone, le ruban qui était constitué d’un alliage spécial fabriqué uniquement en Suède et la faible coercitivité qui empêchait la bonne conservation des enregistrements.
Le 1 novembre 1925, les frères Warner font l'acquisition du Vitagraph et du Vitaphone mis au point par les laboratoires téléphoniques Bell. Les frères Warner font enregistrer quelques saynètes à Eddie Foy et des arias d'Opéra à Giovanni Martinelli. Le studio introduit une séquence musicale dans le Don Juan d'Alan Crosland. La projection du film, le 6 août 1926, est un succès public. En 1930, le son optique de Western Electric et RCA devient le seul standard et le son synchronisé sur disque ou ruban disparaît. Néanmoins le Blattnerphone continua son existence en dehors des salles obscures. En 1936 le son optique devient High Fidelity, Hi-Range, Push-Pull… En 1938, la Warner Bros ouvre l'ère de la stéréophonie avec le Vitasound.
C'est le début de l'ère des « talkies », ces films incluant des passages de dialogue. Stanley Donen a représenté cet aspect du cinéma sonore dans son film Chantons sous la pluie, sorti en 1952. Cette représentation n'est pas l'histoire.
Au début des années 1930, les films parlants américains bénéficient d'un succès qui aident le cinéma hollywoodien à garder sa position de première industrie cinématographique mondiale. Cependant, ce cinéma est reçu avec méfiance par certains réalisateurs comme René Clair ou Charlie Chaplin et des critiques (Béla Balázs) qui craignent alors que les dialogues ne deviennent le centre du film, délaissant l'aspect esthétique de l'image. En France, Jean Renoir (qui a d'abord réalisé des films muets) et Marcel Pagnol (qui qualifie le procédé de « Théâtre en conserve ») vont populariser les techniques de sonorisation concurrentes - liées à des industries qui le sont tout autant. D'un côté, ce sont les brevets de la General Electric-Western (États-Unis) de l'autre, ceux de la A.E.G.-Tobis-Klangfilm (Allemagne). En 1935, Sacha Guitry utilise la Voix off dans Le Roman d'un tricheur. En Allemagne, Fritz Lang « passe » au parlant avec M le maudit. En URSS, la transition vers le sonore sera relativement lente. Le premier film « parlant » d'Eisenstein, Alexandre Nevski ne date que de 1938.
Avec Le Dictateur, Citizen Kane et Ivan le Terrible, une première transition est achevée techniquement. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, un film peut techniquement être à la fois musical et parlant en même temps grâce à l'émergence des techniques de mixage alors que jusqu'à présent, les séquences dialoguées et les séquences musicales se succédaient comme dans une comédie musicale. Pourtant, l'histoire technique du cinéma sonore ne s'achève pas avec Les Enfants du paradis et l'apparition d'une musique de fosse enregistrée pouvant venir appuyer l'émotion, comme à la fin de Casablanca. La multiplication des pistes sonores, le perfectionnement de l'enregistrement magnétique, l'arrivée du Dolby, de la stéréo, du multipiste réactualise sans cesse un esthétique (Michel Chion, le Cinéma, un Art Sonore).
Histoire
Les débuts du son
Photographie du film Dickson Experimental Sound Film (1894), produit par William Dickson et reproduisant un test du kinétophone et du phonographe.
L'idée d'un film qui combine le son enregistré et l'image est aussi vieille que le concept de l'image en mouvement, c'est-à-dire du cinéma lui-même. Le 27 février 1888, quelque temps après la visite du pionnier de la photographie, Eadweard Muybridge, aux laboratoires de Thomas Edison, les deux hommes se rencontrèrent. Muybridge déclara ainsi que lors de cette occasion, ils avaient déjà évoqué l'idée de synchronisation du son avec l'image, soit six ans avant la première projection commerciale d'un film. Cependant, aucun accord entre les deux hommes ne fut signé. L'année suivante, Edison développait, aux côtés de William Kennedy Laurie Dickson, le kinétoscope, sans l'aide de Muybridge. Ce kinétoscope était essentiellement un dispositif de projection d'exposition, il ne permettait la vision d'un court métrage qu'à peu de personnes à la fois. Edison accompagnera son système d'un phonographe cylindrique quelque temps plus tard sous le nom de kinétophone en 1895, mais le succès ne fut pas long face à celui de la projection en salle. En 1899, un système de projection de films parlants, connu sous le nom de cinémacrophonographe, basé sur le travail de l'inventeur suisse François Dussaud, fut exposé à Paris ; de la même manière que le kinétophone, le système ne permettait qu'une projection individuelle. Plus tard, un système basé sur un cylindre, le Phono-Cinéma-Théâtre, fut développé par Clément Maurice et Henri Lioret, il a permis la présentation de courts métrages sur le théâtre ou l'opéra durant l'exposition universelle de 1900. C'est lors de cette exposition que la première présentation publique de films alliant images et son eut lieu.
Trois problèmes persistaient néanmoins, à cause desquels le cinéma sonore n'avait pas encore eu l'impact prévu. Le premier problème rencontré était la synchronisation : l'image et le son étaient enregistrés et projetés par des dispositifs différents, il était donc difficile de les faire démarrer ensemble, et de maintenir la synchronisation. L'ingénieur du son Mark Ulano, dans The Movies Are Born a Child of the Phonograph (deuxième partie de son essai Moving Pictures That Talk), décrit une version du Phono-Cinéma-Théâtre où le son était synchronisé :
« Ce système utilisait une forme primitive de synchronisation, manipulée par un opérateur et indépendante de la projection d'images. Les scènes à projeter étaient d'abord filmées, puis les intervenants enregistraient leurs dialogues ou musiques sur le Lioretograph (généralement, sur un phonographe Le Eclat utilisant des cylindres destinés à l'enregistrement de concerts) en essayant de maintenir la cadence avec les images. Lors de la projection, la synchronisation se faisait en calant la vitesse du film, déroulé grâce à une manivelle manuelle, sur celle du phonographe. Le projectionniste était équipé d'un téléphone grâce auquel il écoutait le son du phonographe, ce dernier étant placé dans la fosse d'orchestre. »
Le second problème était le volume de lecture : tandis que les projecteurs permettent la diffusion de films dans de grands espaces, les techniques liées au son ne permettaient pas encore une amplification suffisante des sons. Enfin, le dernier problème rencontré était la fidélité de l'enregistrement. Les systèmes de l'époque produisaient un son de basse qualité à moins que les comédiens ne soient placés directement devant le dispositif d'enregistrement.
Affiche annonçant les artistes présentés aux projections de cinéma sonore du système Phono-Cinéma-Théâtre à l'exposition universelle de Paris (1900).
Très vite, des inventeurs s'attellent au problème fondamental de la synchronisation de la vitesse de rotation du phonographe et de la cadence de la projection. Un nombre de plus en plus important de films dépendent du gramophone avec lequel le son a été enregistré sur un disque ; d'ailleurs, la plupart des enregistrements étaient surnommés « disques berlinois », non par une relation géographique, mais à cause de la nationalité de son inventeur, Émile Berliner. Léon Gaumont présente un système impliquant une synchronisation mécanique entre la pellicule et le son à l'exposition universelle de Paris. Le 7 novembre 1902, après avoir déposé un brevet, Léon Gaumont présente son Chronophone, qui possède une connexion électrique, à la Société française de photographie. Quatre ans plus tard, il introduisit l'Elgéphone, un système d'amplification du son basé sur l'Auxetophone, développé par les inventeurs britanniques Horace Short et Charles Parsons. Malgré ces systèmes novateurs, les divers systèmes expérimentés par Gaumont à propos du son avaient seulement limité le succès commercial ; ils ne corrigeaient pas suffisamment bien la basse qualité du son et étaient chers. Pendant quelques années, le caméraphone, de l'inventeur américain Edward Lawry Norton, fut le principal concurrent du système de Gaumont (les sources diffèrent sur la base du Caméraphone, s'il était à disque ou à base de cylindre), mais finalement n'eut pas plus de succès, pour les mêmes raisons que le chronophone. À la fin des années 1910, le son au cinéma réussissait à subsister, malgré ses quelques défauts.
D'autres innovations furent développées par la suite. En 1907, le français Eugene Lauste, qui avait travaillé aux laboratoires de Thomas Edison aux côtés de William Dickson entre 1886 et 1892, a déposé le premier brevet sur un dispositif alliant son et image, impliquant l'enregistrement direct du son sur la couche de celluloïd des pellicules. Voici ce qu'a déclaré l'historien Scott Eyman :
« Il y avait un système double, c'est-à-dire que le son se trouvait sur une partie de la pellicule différente de l'image... En substance, le son était capté par un microphone et converti en ondes lumineuses à l'aide d'une soupape de lumière, un mince ruban de métal sensible placé sur une petite fente. Le son atteignant ce ruban était converti en lumière par le chevrotement du diaphragme, en concentrant les ondes lumineuses à travers la fente, ondes qui étaient photographiées sur le côté de la pellicule, sur une bande d'un dixième de pouce de largeur. »
Même si le son sur pellicule allait finalement devenir le standard universel pour synchroniser le cinéma sonore, Lauste n'a jamais exploité avec succès ses innovations, qui n'aboutirent pas. En 1913, Edison introduisit un nouveau cylindre à base de synchro-son, appareil appelé, tout comme son système de 1895, le kinetophone, et au lieu de projeter les films à quelques spectateurs dans le cabinet individuel du kinétoscope, il les projeta sur un écran. Le phonographe était relié par un arrangement complexe de poulies au projecteur, entraînant des conditions théoriquement idéales pour la synchronisation. Les conditions n'en étaient pas moins rarement idéales et le kinétophone amélioré fut retiré un peu plus d'un an plus tard. En 1914, un inventeur finlandais, Eric Tigerstedt, a obtenu le brevet n 309 536 pour son film sonore, dont il fit la démonstration la même année devant un public de scientifiques à Berlin.
D'autres films sonores, basés sur des systèmes variés, ont été réalisés avant les années 1920, la plupart en playback grâce à des enregistrements effectués auparavant. La technique était encore bien loin des objectifs de la grande ligue commerciale, et pendant de nombreuses années les dirigeants de majors du cinéma virent peu de bénéfices à produire des films sonores. Ainsi de tels films furent relégués, tout comme les films en couleur, au statut de fantaisie.
Des innovations cruciales
Certaines innovations technologiques ont contribué à la commercialisation du cinéma sonore, jusqu'à la fin des années 1920. Deux approches contradictoires se mêlèrent pour synchroniser le son à l'image : le playback et la reproduction.
Le son sur la pellicule
En 1919, l'inventeur américain Lee De Forest a obtenu plusieurs brevets qui le menèrent à la première technique du son sur pellicule, ainsi qu'à une reconnaissance commerciale. Dans le système de De Forest, la bande son était enregistrée par photographie sur le côté de la pellicule contenant les images du film, créant ainsi un composite ou donnant l'impression qu'ils étaient « mariés ». Si une bonne synchronisation du son et de l'image était réalisable, on aurait pu parfaitement compter sur l'emploi du playback. Cependant, ce n'était pas le cas, et ainsi, pendant les quatre années suivantes, De Forest améliora son système à l'aide d'un autre inventeur américain, Theodore Case, qui lui apporta équipement et brevets qu'il avait en sa possession.
À l'Université de l'Illinois, un ingénieur et chercheur né en Pologne, Joseph Tykociński-Tykociner, travaillait de son côté sur un procédé semblable à celui de De Forest. Le 9 juin 1922, il fit sa première démonstration, aux États-Unis, d'un film avec le son sur pellicule devant les membres de l'American Institute of Electrical Engineers. Cependant, comme Lauste et Tigerstedt, Tykociner ne verra jamais son système suffisamment performant pour être commercialisé, à la différence de De Forest qui, lui, sera reconnu.
Le 15 avril 1923, au Théâtre Rivoli de New York, eut lieu la première projection commerciale d'un film parlant, où le son était disposé sur la pellicule, format qui allait bientôt devenir un standard : plusieurs courts métrages à l'effigie du phonofilm de De Forest furent projetés, accompagnant un long métrage muet. En juin, De Forest entama une bataille judiciaire contre l'un de ses salariés, Freeman Harrison Owens, pour le titre de l'un des brevets du phonofilm. Bien que De Forest ait gagné, Owens est aujourd'hui reconnu comme l'inventeur principal du dispositif. Les années suivantes, les studios de Lee De Forest sortirent le premier film dramatique commercial, tourné comme un film parlant : Love's Old Sweet Song, réalisé par J. Searle Dawley et avec Una Merkel. Cependant, la plupart des phonofilms étaient initialement des documentaires sur des films musicaux ou des comédies. Le président Calvin Coolidge, la chanteuse d'opéra Abbie Mitchell et quelques célébrités de Vaudeville comme Phillip Barker, Ben Bernie, Eddie Cantor ou Oscar Levant ont été filmés et apparurent sur ces documentaires. Néanmoins, Hollywood est demeuré suspicieux et a même eu peur des nouvelles technologies. L'éditeur de Photoplay, James Quirk, en parla ainsi en mars 1924 : « on a perfectionné les films parlants, dit le docteur Lee De Forest. tout comme l'huile de ricin ».
Thin Ice - Movietone.
Le procédé de De Forest fut utilisé jusqu'en 1927 aux États-Unis sur une douzaine de phonofilms. Au Royaume-Uni, en revanche, il fut utilisé quelques années de plus sur des courts et longs métrages par la compagnie British Sound Film Productions, filiale de British Talking Pictures, qui acheta les premiers actifs de Phonofilm. Mais vers la fin des années 1930, la société de Phonofilm tomba en liquidation. En Europe, d'autres travaillèrent également sur le développement du son sur la pellicule. En 1919, l'année où De Forest reçut ses premiers brevets, trois inventeurs allemands brevetèrent le système sonore Tri-Ergon. Le 17 septembre 1922, l'entreprise Tri-Ergon fit une projection publique de films à son sur pellicule incluant un texte dramatique, Der Brandstifter (L'Incendiaire), avant d'être convié au cinéma L'Alhambra, à Berlin. À la fin des années 1920, Tri-Ergon devint le leader européen du cinéma parlant. En 1923, deux ingénieurs danois, Axel Petersen et Arnold Poulsen, obtinrent le brevet d'un système où le son était enregistré sur une bande différente de la pellicule contenant l'image défilant parallèlement à celle-ci. Gaumont obtint une licence et permit une utilisation commerciale de sa technologie sous le nom de Cinéphone.
Cependant, il y eut une compétition interne qui conduisit à l'éclipse du Phonofilms. En septembre 1925, le travail sur les arrangements de De Forest et de Case diminua beaucoup. En juillet 1926, Case rejoint la société Fox Film, le troisième plus grand studio d'Hollywood, pour fonder la Fox-Case Corporation, une nouvelle filiale. Le système développé par Case et son assistant, Earl Sponable, reçu le nom de « Movietone », et ainsi fut réalisé le premier film parlant viable sous le contrôle d'un studio hollywoodien. L'année suivante, Fox acheta les droits nord-américains au système Tri-Ergon, bien que la compagnie le trouvât inférieur au Movietone et quasiment impossible à intégrer aux avantages des deux différents systèmes. De même, en 1927, Fox retint les services de Freeman Harrison Owens, qui avait une expertise particulière dans la construction de caméras pour la synchronisation de films sonores.
Le son sur disque aux États-Unis
Parallèlement aux améliorations apportées à la technique du son sur pellicule (Son optique), un certain nombre d'entreprises ont fait des progrès en matière de films parlants où le son était enregistré sur des disques phonographiques. Dans la technique du son-sur-disque de cette époque, un phonographe platine est relié grâce à une mécanique d'interdiction à un projecteur spécialement modifié, permettant ainsi la synchronisation. En 1921, le système du son-sur-disque Photokinema développé par Orlando Kellum a été utilisé pour ajouter des séquences sonores synchronisées au film muet de D. W. Griffith, La Rue des rêves (Dream Street). Une chanson d'amour, interprétée par Ralph Graves, fut enregistrée, et devint une séquence d'effets vocaux en direct. Des scènes de dialogues furent également vraisemblablement enregistrées, mais les résultats ne furent pas satisfaisants et le film ne fut jamais projeté en les y intégrant. Le 1 mai 1921, La Rue des rêves fut réédité, avec une chanson d'amour ajoutée, au centre commercial de New York, le Town Hall Theater. Ce film fut, cependant, tout à fait par hasard, qualifié de premier long métrage, avec des séquences parlantes. Il n'y en eut aucune autre pendant les six années qui suivirent.
Affiche de Don Juan.
En 1925, Warner Bros., qui n'était encore qu'un petit studio hollywoodien aux grandes ambitions, commença à expérimenter le système de son-sur-disque aux Vitagraph Studios de New York, studios que la société venait d'acheter. La technique de Warner Bros., appelée Vitaphone, fut présentée au public le 6 août 1926, lors de la première de Don Juan d'une durée de trois heures. C'est le premier long métrage à employer un système de son synchronisé quel qu'il soit. Sa bande son contient une musique de film et des effets sonores, mais aucun dialogue. La bande fut mise en scène et tournée comme un film muet. Par ailleurs, Don Juan fut accompagné de huit autres représentations musicales, pour la plupart classiques, toutes avec un enregistrement sonore sur disque, ainsi que l'introduction d'une durée de quatre minutes filmées par William Hays, le président de Motion Picture Association of America. Ce fut la première réelle démonstration de films parlants d'un studio hollywoodien. Don Juan ne fit pas l'objet d'une diffusion générale avant février de l'année suivante, ce qui rendit The Better 'Ole, lancé par Warner Bros. en octobre 1926, le premier film synchronisé en playback et diffusé à un large public.
Roy Smeck jouant de l'ukulélé devant le Vitaphone, His Pastimes (1926).
La technique du son-sur-pellicule gagna aux dépens de celle du son-sur-disque en raison de plusieurs avantages fondamentaux : la synchronisation – aucun système n'était réellement fiable : le son pouvait ne plus être synchronisé de par un simple saut dû au disque ou au changement de vitesse de la projection, ce qui demandait une constante vigilance de supervision, et des ajustements manuels fréquents – le montage – les disques ne pouvaient pas être montés directement, limitant sérieusement la capacité d'apporter des modifications dans les films après leur sortie – la distribution – une dépense supplémentaire s'ajouta avec les disques du phonographe, qui compliquaient également la distribution du film – et l'usure – les disques se dégradaient à force de lecture exigeant un remplacement du disque après environ une vingtaine de projections.
Néanmoins, dans les premières années, le son-sur-disque a pris l'avantage sur le système du son-sur-pellicule pour deux raisons : la production et la qualité du son. Il était généralement moins cher d'enregistrer le son sur un disque que sur une pellicule et les systèmes d'exploitation (plaque tournante, enclenchement et projection) étaient moins chers à fabriquer que de complexes projecteurs, avec le modèle image-lecture requis pour le dispositif du son-sur-pellicule. De plus, les disques phonographiques, ceux du Vitaphone en particulier, avaient une dynamique sonore supérieure à la plupart des autres procédés du son-sur-pellicule de l'époque, au moins durant les premières projections, alors que le son-sur-pellicule avait tendance à avoir une meilleure réponse en fréquence, ce qui l'emportait par une plus grande distorsion et un plus grand bruit de mesure.
Lorsque la technologie du son-sur-pellicule s'améliora, tous ces inconvénients furent surmontés.
Troisième innovation cruciale
La troisième vague d'innovations cruciales franchit une étape majeure dans le domaine de l'enregistrement sonore et dans l'effet du playback : l'enregistrement électronique, fidèle et amplifié.
Western Electric : l'ingénieur E.B. Craft, à gauche, faisant une démonstration du Vitaphone.
Au début de l'année 1922, le service de recherche de l'usine Western Electric de AT&T commença à travailler sur les techniques d'enregistrement que ce soit pour la technique du son-sur-disque ou celle du son-sur-pellicule. En 1925, la compagnie présenta publiquement un système audio électronique largement amélioré, comprenant un microphone à condensateur et des enregistreurs à bande en caoutchouc. En mai de cette année-là, la compagnie permit à l'entrepreneur Walter J. Rich d'exploiter le système pour la commercialisation de films. Il inventa le Vitagraphe, dont Warner Bros. acheta la moitié des parts à peine un mois plus tard. En avril 1926, Warner signa un contrat avec AT&T afin d'avoir l'utilisation exclusive de sa technique de cinéma parlant via l'intervention du Vitaphone, ce qui conduisit la production de Don Juan et ses courts accompagnements pendant les mois qui suivirent. Pendant la période où le Vitaphone possédait l'accès exclusif aux brevets, la qualité des enregistrements effectués par Warner Bros. était nettement supérieure à celle des enregistrements des concurrents qui utilisaient la technique du son-sur-pellicule. Pendant ce temps, les Laboratoires Bell, anciennement nommés AT&T, travaillaient à l'amplification d'un son élaboré, ce qui permit aux enregistrements d'être émis par des haut-parleurs, le son emplissant ainsi toute la salle de cinéma et pas seulement les deux ou trois premiers rangs. Le nouveau système de haut-parleurs mobiles fut installé au Warners Theatre de New York à la fin du mois de juillet accompagné par une demande de brevet, pour ce que Western Electric appela le receveur n555, accordé le 4 août, seulement deux jours avant la première de Don Juan.
Vers la fin de l'année 1926, AT&T/Western Electric créa une section propre aux brevets, la Electrical Research Products Inc. (ERPI), afin de gérer les droits des films de la société liés à la technologie audio. Le Vitaphone avait encore l'exclusivité légale, mais il était devenu caduc dans le paiement des droits, le contrôle réel des droits revenait à l'ERPI. Le 31 décembre 1926, Warner Bros. donna à Fox-Case une sous-licence pour l'utilisation du système Western Electric en échange du partage des revenus qui seraient partis entièrement à l'ERPI autrement. Les brevets des trois parties concernées ont été croisés. Enregistrement supérieur et technologie d'amplification étaient dès lors viables aux deux studios d'Hollywood, poursuivant deux méthodes différentes de reproduction sonore. L'année suivante vit enfin l'émergence du cinéma sonore en tant que médium commercial significatif.
Le triomphe des films parlants
En février 1927, un accord fut signé par cinq compagnies majeures du cinéma hollywoodien : la Paramount et MGM, puis Universal et First National Pictures et d'une petite, mais prestigieuse production des studios de Cecil B. DeMille, la PDC (Producers Distributing Corporation). Les cinq studios se mirent d'accord pour sélectionner un seul fournisseur pour la conversion audio. L'alliance attendit ainsi de voir quel genre de résultats les précurseurs pouvaient fournir. En mai, Warner Bros. revendit ses droits exclusifs à l'ERPI (accompagnés de la sous-licence Fox-Case) et signa un nouveau contrat similaire pour l'utilisation de Western Electric technology. Étant donné que Fox et Warner s'impliquaient de différentes manières dans le cinéma sonore, que ce soit techniquement ou commercialement – Fox avec les actualités et des drames marqués, Warner avec des films parlants – ERPI en fit de même, cette dernière qui visait à accaparer le marché en signant l'alliance des cinq studios.
Affiche d'un cinéma à Tacoma (Washington) du Chanteur de jazz, sur un Vitaphone, et un film d'actualité du Movietone.
Les films parlants de l'année profitèrent des célébrités déjà reconnues. Ainsi, le 20 mai 1927, au Roxy Theater, à New York, le Movietone de Fox présenta un film parlant sur le vol de Charles Lindbergh au-dessus de Paris, tourné quelques jours auparavant. En juin, des actualités de Fox décrivant son même retour à New York et Washington DC, furent tournées. Ce furent les deux films parlants que le public ait jamais apprécié à l'époque. En mai, également, Fox sortit la première fiction hollywoodienne avec dialogues synchronisés : le court métrage They're coming to get me, avec le comédien Chic Sale. Après la deuxième sortie de quelques films muets ayant eu du succès, comme L'Heure suprême accompagnée d'une musique enregistrée, Fox sortit son premier film Movietone original le 23 septembre : L'Aurore, du réalisateur allemand Friedrich Wilhelm Murnau. Comme avec Don Juan, la bande originale du film est composée d'une marque musicale et d'effets sonores (incluant quelques scènes de foule, foule « sauvage », sans voix spécifiques). Puis, le 6 octobre 1927, Warner Bros. projeta la première du Chanteur de jazz. Ce fut un énorme succès du box-office pour le studio encore peu connu, un gain total de 2 625 000 $ aux États-Unis et à l'étranger, presque un million de dollars de plus que le précédent record détenu par les films produits par Warner. Produit avec le Vitaphone, la plupart des films ne contenaient pas d'enregistrement direct, comme Sunrise ou Don Juan, de composition ou d'effets.
Quand une célébrité du cinéma, comme Al Jolson, chante, cependant, l'enregistrement du son est effectué lors du tournage, incluant à la fois ses propres chants et deux scènes de discours – alors improvisé, aucun dialogue n'avait été écrit auparavant – comme avec Jakie Rabinowitz (Jack Robin), le personnage joué par Jolson, s'adressant à un public de cabaret ; l'autre étant un échange entre lui et sa mère. Malgré le succès du film Le Chanteur de jazz largement dû à Jolson, déjà reconnu comme l'une des plus grandes stars américaines, et son utilisation limitée du son synchronisé qualifié dès lors comme un film parlant innovant, les bénéfices du film donnèrent la preuve à l'industrie cinématographique que l'investissement dans la technologie en valait la peine.
Le développement commercial du cinéma sonore s'est effectué par à-coups, et a commencé bien avant Le Chanteur de jazz, d'ailleurs le succès de ce film n'a pas changé les choses du jour au lendemain. Le groupe des quatre studios (PDC ayant quitté l'alliance) ne signa pas avant mai 1928, comme United Artists entre autres, avec ERPI, pour la conversion des moyens de production et de salles de cinéma pour leurs films. Au début, tous les cinémas équipés d'ERPI étaient conçus pour être compatibles avec le Vitaphone ; la plupart ont été équipés pour projeter également des actualités filmées du Movietone. Cependant, même en étant compatibles des deux systèmes, la plupart des sociétés de production américaines sont restées peu enclines à mettre en scène des films parlants. Aucun studio, mis à part Warner Bros., n'avait sorti un film parlant jusqu'à ce que la société Film Booking Offices of America (FBO) au faible budget ne présente Perfect Crime le 17 juin 1928, huit mois après Le Chanteur de jazz. FBO était sous le contrôle d'une société concurrente de la Western Electric, la division RCA de General Electric, qui projetait de commercialiser son nouveau dispositif de son-sur-pellicule, le Photophone. À la différence du Movietone de Fox Case et du Phonofilm de De Forest, qui étaient des systèmes de densité variable (l'intensité lumineuse de la piste son variait), le Photophone était un système de superficie variable (c'est la forme d'onde qui changeait) – la perfection dans le domaine du signal audio qui était inscrit sur la pellicule qui deviendrait finalement le standard. En octobre, l'alliance FBO-RCA mènera à la création d'un nouveau grand studio Hollywoodien, RKO Pictures.
Dorothy Mackaill et Milton Sills dans The Barker, film inaugurant le First National Pictures qui est sorti en décembre 1928.
Pendant ce temps, Warner Bros. sortit trois films parlants au printemps, tous furent rentables pour la société, même s'ils n'atteignirent pas Le Chanteur de jazz : en mars, The Tenderloin sortait, Warner Bros. le présenta comme le premier film dans lequel les protagonistes parlaient, même si cela ne dura que 15 minutes parmi les 88 minutes totales. Glorious Betsy suivit en avril, et The Lion and the Mouse (qui comprenait 31 minutes de dialogue) en mai. Le 6 juillet 1928, le premier film entièrement parlant, Lights of New York, fut projeté. Le film fut produit par Warner Bros. pour un coût de 23 000 $, mais réalisa un chiffre d'affaires de 1 252 000 $, un record pour les bénéfices de l'époque, dépassant 5 000 % du coût de production. En septembre, le studio sortit un nouveau film avec Al Jolson : The Singing Fool dont les bénéfices doublèrent ceux du Chanteur de jazz. Ce second film avec Jolson démontra la capacité des films musicaux à faire d'une musique un succès national : l'été suivant, Sonny Boy, toujours avec Jolson, fit vendre 2 000 000 de disques et 1 250 000 partitions. Septembre 1928 marque la sortie de Dinner Time, réalisé par Paul Terry, qui sera considéré comme le premier dessin animé dont le son était synchronisé. Après cette observation, Walt Disney décida de réaliser un court métrage parlant avec Mickey Mouse, Steamboat Willie.
En 1928, avec Warner Bros. dont les profits furent considérables, de nouveaux studios adoptèrent le cinéma parlant. La Paramount Pictures, leader de l'industrie cinématographique américaine, sortit son premier film parlant fin septembre, Beggars of Life ; même s'il ne contenait que quelques courts dialogues, cela démontra la reconnaissance de ce nouveau moyen du cinéma.
Blanche-Neige et les Sept Nains réalisé par Walt Disney est le premier long métrage animé sonore et en couleur.
Interference, le premier film entièrement parlant de Paramount, débuta en novembre. Le procédé connu sous le nom de « goat glanding » s'est brièvement répandu : les bandes sonores, incluant quelquefois une approximation des dialogues ou des sons doublés, furent ajoutées aux films déjà tournés, certaines fois sortis comme muets. Un film doté de quelques minutes de chant pouvait suffire pour le qualifier de « musical » (La Rue des rêves de D. W. Griffith par exemple). Les attentes ont cependant changé rapidement, et la « mode » sonore de 1927 devint une procédure standard en 1929. En février 1929, soit 16 mois après les débuts du film Le Chanteur de jazz, Columbia Pictures devient le dernier des huit studios, connu comme étant un des « studios les plus importants » pendant l'âge d'or hollywoodien, à sortir son premier film en partie parlant, Lone Wolf's Daughter. La plupart des salles de cinéma américaines, surtout en bordure des zones urbaines, ne possédaient pas encore le matériel sonore et les studios n'étaient pas encore entièrement convaincus par le succès universel des films parlants à la moitié de 1930, la majorité des films étaient produits en version doublée, muet aussi bien que parlant. Bien que peu dans l'industrie du cinéma l'eurent prédit, le cinéma muet, moyen commercial intéressant pourtant, se transforma bientôt en un simple souvenir aux États-Unis. Le cinéma muet continua néanmoins, un studio majeur d'Hollywood, Universal Pictures, en août 1929, commercialisa un western avec Hoot Gibson, intitulé Points West. Un mois plus tôt, le premier film en couleur, entièrement parlant et produit par les studios Warner Bros., On with the Show!. Un an plus tard, sort en Argentine, réalisé par Quirino Cristiani, Peludópolis qui devient le premier long métrage d'animation sonore. Mais ce n'est que quelques années plus tard, en 1937, avec la sortie de Blanche-Neige et les Sept Nains que l'animation remportera un immense succès : les recettes s'élevèrent à 41 634 000 $ en 1993. Il aura fallu trois ans de travail pour Walt Disney.
La transition : Europe
La première projection du film Le Chanteur de jazz eut lieu au Piccadilly Theatre, à Londres, le 27 septembre 1928. D'après l'historienne du cinéma Rachel Low, « beaucoup dans l'industrie du cinéma ont réalisé qu'une fois que la transition vers le parlant fut faite, il était impossible de passer outre la production sonore ». Le 16 janvier 1929, le premier film européen, intitulé Ich Küsse Ihre Hand, Madame (Je baise votre main, Madame), avec synchronisation du son et de l'image fut produit par une société allemande. Il était composé de dialogues, et de quelques minutes de chants, interprétés par Richard Tauber, il pourrait d'ailleurs être une vieille combinaison de La Rue des rêves (Dream Street) et de Don Juan. Le film fut réalisé avec le système du son sur pellicule, et produit par Tobis, société affiliée à la Tri-Ergon. Pensant à l'émergence du son dans le cinéma européen, Tobis est entré en conflit avec son principal concurrent : Klangf. Depuis 1929, les deux entreprises ont commencé à se disputer le marché, entre leurs enregistrements et leurs technologies de projection. Cependant, comme ERPI commençait à moderniser les salles européennes, Tobis et Klangf ont déclaré que le système de la Western Electric empiétait sur les brevets de la Tri-Ergon, introduisant les technologies américaines autour de lui. Alors que la RCA entrait en activité avec la commercialisation de son système d'enregistrement, Tobis a également installé ses propres maisons de production, menées par la Tobis Film.
Pathé, société de production du film Les Trois Masques, considéré comme le premier long métrage français parlant.
Tout au long de l'année 1929, la plupart des pays européens réalisant des films commencèrent à rejoindre Hollywood dans le progrès du son. Suivant cette tendance, de nombreux films parlants européens furent tournés outre frontières, et les sociétés de production devaient louer des studios tandis que leurs films étaient doublés en langue étrangère, ou visaient des marchés étrangers. L'un des deux premiers longs métrages européens parlants dramatiques fut réalisé dans un nouveau complexe multinational de réalisation : The Crimson Circle était une coproduction entre l'Efzet-Film du réalisateur Friedrich Zelnik et la British Sound Film Productions (BSFP). En 1928, Der Rote Kreis, tourné en Allemagne, sortit en tant que film muet ; le dialogue anglais fut apparemment doublé plus tard par le biais du Phonofilm de Lee De Forest, contrôlé par un brevet de la BSFP. The Clue of the New Pin fut projeté en Angleterre en mars 1929, avec quelques séquences parlantes, réalisées entièrement dans le Royaume-Uni, produit par la British Lion Film Corporation, utilisant le procédé du Photophone, du son-sur-disque. En mai, Black Waters, produit par la British and Dominions Film Corporation, fut promu comme le premier film entièrement parlant britannique, lors de sa sortie commerciale ; il avait été tourné à Hollywood avec un procédé de son-sur-pellicule de la Western Electric. Aucun de ces films n'a eu un impact majeur. Le premier film parlant dramatique européen qui obtint un certain succès fut Chantage (Blackmail), réalisé par Alfred Hitchcock à l'âge de 29 ans, le film sortit en premier lieu à Londres le 21 juin 1929. D'abord tourné comme un film muet, Chantage fut tourné une deuxième fois pour y inclure des séquences dialoguées, avec des bruits et des effets sonores, avant sa première projection. Une production BIP fut enregistrée sur un Photophone de la RCA, General Electric ayant acheté des parts d'AEG pour avoir accès au marché de Tobis-Klangfilm. La bande originale de Chantage eut beaucoup de succès ; la réponse critique fut également positive – Hugh Castle, par exemple, dit d'ailleurs « peut-être le plus intelligent mixage sonore et silencieux que nous n'avons jamais vu ». Le 23 août, la petite industrie cinématographique autrichienne sortit également un film parlant : G’schichten aus der Steiermark (Stories from Styria), une production de Eagle Film-Ottoton. Le 30 septembre, la première réalisation sonore et dramatique entièrement allemande, Das Land ohne Frauen (Land Without Women), fut commercialisée. C'était une production Tobis Filmkunst, dont un quart du film contenait des dialogues, sans effets spéciaux ni musique. La réaction fut décevante. Puis, le premier film parlant suédois, Konstgjorda Svensson (Articificial Svensson), fut projeté le 14 octobre. Huit jours plus tard, Gaumont Aubert Franco-Film sortit Le Collier de la reine, tourné à Épinay. Conçu comme un film silencieux, il obtint une musique enregistrée chez Tobis et une séquence dialoguée – la première scène dialoguée dans un long métrage français. Le 31 octobre, Les Trois Masques débute ; un film produit par Pathé-Natan, il est généralement considéré comme le premier long métrage parlant français, il fut tourné, comme Blackmail, aux Studios d'Elstree, proche de Londres. La société de production avait contracté avec le Photophone de la RCA, la Grande-Bretagne avait alors plus de facilité avec ce système. Le long métrage La Route est belle produit par Braunberger-Richebé, fut également tourné à Elstree, quelques semaines plus tard. Avant que les studios de Paris ne soient entièrement équipés pour le son – procédé qui prendra part durant 1930 – un nombre considérable de films parlants français furent tournés en Allemagne.
Le premier film parlant soviétique, Le Chemin de la vie (1931). Marcel Carné déclarera que « dans les images inoubliables de cette histoire pure, nous pouvons discerner l'effort d'une nation entière ».
Le premier long métrage entièrement parlant allemand, Atlantik, fut commercialisé à Berlin le 28 octobre. Cependant il y eut un autre film fait à Elstree, il n'était que d'une origine lointaine allemande ; c'était une production BIP avec un scénariste britannique et un réalisateur allemand, il fut ainsi tourné en anglais comme Atlantic. La production entièrement allemande Aafa-Film Dich hab ich geliebt (Parce que je t'aime) ouvrit trois semaines et demie plus tard. Il n'était pas le « premier film parlant allemand », comme l'avait déclaré la production, mais il fut le premier à sortir aux États-Unis.
En 1930, les films parlants polonais, utilisant les systèmes de son-sur-disque, firent leur première apparition : en mars, Moralność pani Dulskiej (La Moralité de M Dulska) et en octobre, le film entièrement parlant Niebezpieczny romans (Une Histoire d'amour dangereuse). En Italie, où l'industrie du film alors dynamique avait commencé à se mortifier vers la fin des années 1920, le premier film parlant, La Canzonne dell'amore (La Chanson de l'amour), sortit aussi en octobre ; en l'espace de deux ans, le cinéma italien connut à nouveau une joyeuse ascension. Le premier film tchèque fut également tourné en 1930, Tonka Šibenice. Plusieurs pays européens peu impliqués, encore, dans l'ère du cinéma, ont produit leur premier film parlant – la Belgique (en français), le Danemark, la Grèce et la Roumanie. La solide industrie du cinéma soviétique arriva également avec ses premiers films sonores en 1931 : Entuziazm, œuvre réalisée par Dziga Vertov, avec une expérimentale bande sonore composée exclusivement de dialogues, sortie peu après. Dans l'automne, le film dramatique Le Chemin de la vie (Putyovka v zhizn) réalisé par Nikolaï Ekk, fut distribué comme le premier film parlant du pays.
Partout en Europe, la conversion des salles prenait du retard par rapport à la capacité de production, exigeant que les films parlants soient produits en parallèle dans une version muette, ou simplement projetés sans son. 60 % de salles britanniques étaient équipées pour les films sonores à la fin des années 1930, de même qu'aux États-Unis, et en France, près de la moitié des salles l’aurait été dès 1932. Selon Colin G. Crisp, « l'anxiété de la réanimation de la production de films silencieux était fréquemment abordée dans la presse industrielle [française] et une partie de l'industrie voyait en le cinéma muet une perspective artistique et commerciale viable, ce jusqu'en 1935 ». La situation était particulièrement tendue dans l'Union soviétique ; au printemps 1933, moins de 1 % des projecteurs du pays était équipé pour les films sonores.
La transition : Asie
Madamu to nyobo de Heinosuke Gosho (1931), une production des studios Shochiku, fut le premier succès commercial et critique du cinéma sonore japonais.
Pendant les années 1920 et 1930, le Japon fut l'un des deux plus gros producteurs de films, aux côtés des États-Unis. Bien que l'industrie cinématographique du pays se trouvait parmi les premières à produire des films sonores et parlants, l'équipement des salles vers le cinéma sonore semble avoir été plus lent qu'en Occident. Il semble que le premier film sonore japonais, Reimai (L'Aube), fut tourné en 1926 avec le système du Phonofilm de De Forest. De par le système Minatoki de son-sur-disque, le studio Nikkatsu a produit deux films parlants en 1929 : Taii no musume et Furusato, le dernier fut tourné par Kenji Mizoguchi. Le studio rival, Shōchiku, commença alors, avec succès, la production de films parlants, utilisant des systèmes de son-sur-pellicule, en 1931, dont le procédé nommé Tsuchibashi utilisait une densité variable. Deux ans plus tard, cependant, plus de 80 % des films tournés dans le pays étaient encore silencieux. Deux des réalisateurs majeurs du pays, Yasujirō Ozu et Mikio Naruse, ne tournèrent d'ailleurs pas leur premier film sonore avant 1935. En 1938, plus d'un film sur trois au Japon était tourné sans dialogue.
La popularité du cinéma japonais silencieux était due au traditionnel Benshi, un narrateur qui accompagnait la projection d'un film, en le narrant. Comme le décrira le cinéaste Akira Kurosawa plus tard, le benshi « ne racontait pas seulement l'intrigue du film, il augmentait le côté émotionnel en reprenant les voix et les effets sonores, il fournissait une description des événements et des images projetées… Le narrateur le plus populaire était entièrement responsable de la clientèle d'une salle ». L'historien du cinéma, Mariann Lewinski, a dit :
« La fin du cinéma muet en occident et dans le Japon fut imposée par l'industrie et le commerce, et non par n'importe quel besoin ou évolution naturelle … Le cinéma muet était très agréable et mûr. Il ne manquait de rien, ni au Japon, où il y avait toujours la voix humaine qui imitait les dialogues et faisait des commentaires. Les films sonores n'étaient pas mieux, mais plus économique. En tant que propriétaire de cinéma, vous n'aviez pas à payer le salaire d'un musicien ou d'un benshi. Et un bon benshi était une célébrité demandant le salaire d'une célébrité. »
Alam Ara distribué le 14 mars 1931 à Bombay. Il est le premier film parlant indien si populaire qu'« il a fallu appeler la police pour contrôler les foules »
De la même manière, la viabilité du système des benshis facilitait la transition progressive au son – permettant aux studios d'étaler les coûts de conversion et de laisser du temps aux réalisateurs (ainsi que les équipes techniques) pour se familiariser avec cette nouvelle technologie.
Le film mandarin Gēnǚ hóng mǔdān (歌女紅牡丹) avec Butterfly Wu, fut projeté comme le premier long métrage parlant chinois en 1930. En février, la production s'achevait apparemment sur une version sonore du The Devil's Playground, en le qualifiant probablement comme le premier long métrage parlant australien ; cependant, la projection pour la presse, en mai, au Commonwealth Film Contest, du film Fellers apparaît être la première projection sonore en Australie. En septembre 1930, un chant enregistré par l'actrice indienne Sulochana, extrait du long métrage silencieux Madhuri (1928), sortit comme un court métrage dont le son était synchronisé avec l'image. L'année suivante, Ardeshir Irani réalisa le premier long métrage parlant indien, Alam Ara, et produit Kalidas, dans un premier temps en tamoul avec quelques parties en télougou. 1931 personnes ont également vu le premier film en bengalî, Jamai Sasthi, et le premier film entièrement parlant en télougou, Bhakta Prahlada. En 1932, Ayodhyecha Raja est devenu le premier film parlant distribué en marathi (bien que Sant Tukaram soit le premier à être passé au travers de la censure) ; le premier film en gujarâtî, Narsimha Mehta, et celui entièrement en tamoul, Kalava, furent produits en même temps. L'année qui suivit, Ardeshir Irani produisit le premier film parlant en persan, Dukhtar-e-loor. Également en 1933, le premier film en cantonese fut produit à Hong Kong – Sha zai dongfang et Liang xing ; deux ans après, l'industrie cinématographique locale s'était totalement convertie au son. La Corée, où byeonsa a tenu un rôle et un statut semblable au Kenshi japonais, en 1935, est devenue le dernier pays où l'industrie cinématographique a produit un film sonore, Chunhyangjeon (春香傳 - 춘향전) est basé sur le conte populaire Pansori du XVII siècle, lequel a été adapté quatorze fois au cinéma.
Conséquences
Sur les technologies
Show Girl in Hollywood (1930), l'un des premiers films sonores sur la réalisation.
À court terme, l'introduction du son a causé des difficultés majeures de production. Les caméras étaient bruyantes, donc une cabine insonorisée était utilisée dans beaucoup de films parlants pour isoler l'équipement de la scène de tournage, ce qui contraignait l'équipe à réduire les déplacements de la caméra. Pendant un certain temps, plusieurs caméras furent utilisées pour compenser cette perte de mobilité et des studios de techniciens innovants ont trouvé des solutions pour libérer la caméra pour des tournages particuliers. La nécessité d'utiliser plusieurs microphones signifiait également que les acteurs soient limités dans leurs mouvements. Show Girl in Hollywood (1930), produit par la First National Pictures (où Warner Bros. figure dans les remerciements pour son intervention dans l'histoire du son), donne un bon aperçu sur les techniques impliquées dans les tournages des films sonores. Plusieurs des problèmes fondamentaux dus à la transition du son ont été résolus avec une nouvelle caméra-valise, connue comme « blimps » et conçue pour supprimer le bruit intermittent avec une perche qui sera tenue en dehors du cadre et qui se déplacera en fonction des acteurs. En 1931, une amélioration majeure dans la fidélité de l'enregistrement est introduite dans l'industrie du cinéma : un système à trois voix dans lequel le son est séparé en basse, moyenne et haute fréquence puis envoyé respectivement à un « woofer », et à un triple « tweeter ».
Comme David Bordwell le décrit, les technologies ont continué à se développer rapidement : « entre 1932 et 1935, [la Western Electric et la RCA] ont créé des microphones directionnels, en augmentant la fréquence d'enregistrement des films, et en réduisant les bruits intermittents… et en augmentant la puissance du son ». Ces avancées techniques ont signifié de nouvelles opportunités : « l'augmentation de la fidélité de l'enregistrement… a intensifié les possibilités de retransmission des sentiments que transmettent les voix et les tons ». Un autre problème souvent rencontré – rendu célèbre à travers Chantons sous la pluie (1952) – était le timbre plus ou moins attirant des acteurs, alors célèbres durant l'ère du muet ; bien que ce problème fût fréquemment exagéré, des entreprises prirent conscience de l'importance de la qualité vocale, et le casting d'artistes pour leurs œuvres dramatiques prennent désormais en compte également la capacité à chanter. En 1935, en réenregistrant des chants interprétés par les acteurs originaux ou différents, durant la postproduction, le procédé connu sous le nom de « looping » devint très pratiqué. L'enregistrement des ultraviolets grâce au système introduit par la RCA en 1936 a amélioré la reproduction des sons.
Le Movietone de la Twentieth Century Fox, qui sortit peu après le Phonophone.
Avec l'adoption massive des films parlants à Hollywood, la compétition entre les deux approches fondamentales de production – étant le son sur disque ou sur pellicule – de films sonores fut rapidement abandonnée. En effet, au cours des années 1930 et 1931, les seuls studios majeurs, s'agissant de Warner Bros. et la First National Pictures, qui pratiquaient encore la technique du son sur disque, se convertirent à l'enregistrement du son sur pellicule. La présence dominante du Vitaphone dans les salles équipées pour le son impliquait cependant que tous les studios d'Hollywood, au cours des années suivantes, impriment et distribuent des versions de leurs films avec le système de son sur disque tout aussi bien qu'avec le son sur la pellicule. La sortie du Movietone suivi de près celle du Vitaphone, dans l'enregistrement et la méthode de projection, laissant de côté deux systèmes majeurs américains : le Phonophone de la RCA à aire variable, et le procédé de la Western Electric à densité variable ; une amélioration substantielle pour la licence du Movietone. Grâce à l'instigation de la RCA, les deux sociétés sœurs réalisèrent un équipement de projection compatible, ce qui signifiait que les films tournés avec n'importe quel système pouvaient être projetés dans les salles équipées. Cela laissa un grand problème – le challenge de Tobis-Klangfilm. En mai 1930, la Western Electric gagna un procès en Autriche qui annula la protection des brevets de la Tri-Ergon, aidant également Tobis-Klangfilm sur la table des négociations. Le mois suivant, un accord fut signé pour le dépôt d'un brevet, sur la compatibilité de l'enregistrement, et la division du monde en trois parties pour la disposition des équipements. Un rapport contemporain le décrit :
« Tobis-Klangfilm détient l'exclusivité des droits afin de fournir l'équipement pour : l'Allemagne, Danzig, l'Autriche, la Hongrie, la Suisse, la Tchécoslovaquie, la Hollande, les Indes néerlandaises, le Danemark, la Suède, la Norvège, la Bulgarie, la Yougoslavie et la Finlande. Les Américains ont l'exclusivité des droits pour : les États-Unis, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Inde et la Russie. Tous les autres pays, dont l'Italie, la France et l'Angleterre, sont ouverts aux deux parties. »
Cet accord ne mit cependant pas fin à la guerre des brevets, et des négociations plus poussées furent entamées, des accords signés pendant les années 1930. Pendant ces années, également, les studios américains commencèrent à abandonner le système de la Western Electric, au profit du Photophone de la RCA, vers la fin de l'année 1936 ; seul Paramount Pictures, Metro-Goldwyn-Mayer et United Artists possédaient alors encore des contrats avec ERPI.
Sur le travail
Alors que l'introduction du son a conduit à un essor de l'industrie du cinéma, il se produit un effet inverse au niveau de l'exploitabilité d'un grand nombre d'acteurs d'Hollywood de l'époque. Brusquement, les acteurs n'ayant pas l'expérience de la scène (là où il est nécessaire de parler) n'inspiraient pas confiance aux yeux des producteurs, il faut comprendre par là que si l'acteur avait un accent très prononcé ou encore des discordances vocales, il était éliminé d'office, car il était considéré comme particulièrement risqué au niveau du succès qu'il pourrait ne pas avoir. La carrière de Norma Talmadge toucha en effet à sa fin durant la période du passage au cinéma sonore pour cette raison. Le célèbre acteur suisse Emil Jannings retourna en Europe. La voix de John Gilbert, pourtant jolie, fut boudée du public à cause d'une association étrange qu'elle reproduisait avec sa truculente personnalité et le public n'en voulut plus. La voix parlée de Clara Bow fut parfois tenue pour responsable de la fin de sa carrière, mais en vérité, elle était trop difficile à mettre en scène. Le public semblait enfin voir l'ère du muet comme démodée, même ceux ayant le talent pour réussir dans l'ère du parlant. Et, comme le fit entendre l'actrice Louise Brooks, il y avait d'autres portes de sortie :
« Les dirigeants des studios, aujourd'hui obligés à prendre des décisions sans précédent, décidèrent d'employer des acteurs, suffisamment agréables, la partie la plus vulnérable de la production de films. Ce fut une trop belle opportunité, quoi qu'il en soit, pour rompre des contrats, diminuer des salaires, et amadouer les stars… À moi, ils m'ont donné le salaire préférentiel. J'aurais pu continuer sans une demande d'augmentation de mon contrat, ou partir, m'a dit Schulberg [de la Paramount studio chief B. P.], se servant du fait incertain que j'allais être apte au parlant. Incertain, lui répondis-je, parce que je parle un anglais décent avec une voix décente et que je me suis présentée au cinéma. Alors je suis partie sans hésitation »
Lillian Gish disparut, à cause du cinéma sonore, et d'autres célébrités importantes partirent à leur tour également : Colleen Moore, Gloria Swanson, et le couple d'acteurs le plus célèbre d'Hollywood, Douglas Fairbanks et Mary Pickford. Buster Keaton était désireux de découvrir ce nouveau cinéma, mais quand son studio, la MGM, s'est impliqué dans le cinéma sonore, il a rapidement perdu son côté créatif. Bien que les premiers films parlants de Keaton furent bien reçus, ils étaient artistiquement pauvres.
Plusieurs des nouveaux acteurs célèbres venaient de vaudeville et de spectacle de variétés, où les interprètes comme Jolson, Eddie Cantor, Jeanette MacDonald, et les Marx ******** étaient habitués aux dialogues et chansons. James Cagney et Joan Blondell, qui avaient appris leur métier à Broadway, furent engagés par la Warner Bros. en 1930. Plusieurs acteurs furent aussi célèbres durant l'ère du cinéma muet que durant celle du cinéma sonore : Richard Barthelmess, Clive Brook, Bebe Daniels, Norma Shearer, l'équipe de comédien Laurel et Hardy, et l'incomparable Charlie Chaplin, qui rejeta violemment le son pour intégrer le dialogue, dont Les Lumières de la ville (1931) et Les Temps modernes (1936) employèrent le son exclusivement pour la musique et les effets sonores. Janet Gaynor est devenu une célébrité grâce au cinéma sonore, mais sans dialogue, avec dans L'Heure suprême et L'Aurore, comme Joan Crawford avec une technologique similaire dans Our Dancing Daughters (1928). Greta Garbo parlait anglais, en étant née en Suède, mais ceci ne l'a pas empêché de devenir une célébrité hollywoodienne.
Avec l'émergence des films parlants, dont les musiques étaient pré-enregistrées, un nombre croissant de compositeurs se sont retrouvés au chômage. Leur rôle d'accompagnement de films fut usurpé ; d'après l'historien Preston J. Hubbard, « Durant les années 1920, les musiciens de cinéma étaient devenus un aspect majeur du cinéma américain ». Avec l'arrivée des films parlants, ces longs métrages – habituellement mis en scène comme des préludes – disparurent rapidement. La American Federation of Musicians a enlevé des publicités protestant contre le remplacement des musiciens de cinéma avec des dispositifs de lecture mécaniques. Une publicité de 1929, apparut dans Pittsbutgh Press, représentait une image d'une boîte étiquetait « Canned Music / Big Noise Brand / Guaranteed to Produce No Intellectual or Emotional Reaction Whatever » traduit « La musique en conserve / La grande marque sonore / Garanti ne produire indépendamment aucune réaction intellectuelle ou émotionnelle », et on pouvait lire :
« Musique en boîte sur le banc des accusés : C'est l'exemple de l'art contre la musique mécanique en salles. Le défendeur est accusé devant les américains d'avoir essayé de corrompre les appréciations musicales et d'avoir découragé l'éducation musicale. De nombreuses salles ont offert une synchronisation mécanique de la musique (musique pré-enregistrée) comme un remplacement de la musique réelle (musique jouée par des musiciens durant la projection). Si les salles de cinéma acceptent cette réduction du divertissement, le déclin de l'art de la musique est inévitable. Les autorités musicales savent que l'âme de l'art s'est perdue dans la mécanisation. Cela ne peut être autrement parce que la qualité de la musique est dépendante de l'humeur de l'artiste, du contact avec l'homme, sans lequel l'essence de la stimulation intellectuelle et le ravissement émotionnel seront perdus »
L'année suivante, un rapport a déclaré que 22 000 musiciens avaient perdu leur travail.
Sur le commerce
Les films parlants, et plus généralement le cinéma sonore, parurent immunisés contre le krach de 1929 qui a plongé le marché dans la Grande Dépression.
En septembre 1926, Jack Warner, à la tête de la Warner Bros., aurait dit dans le sens où les films parlants ne pourraient jamais être viables : « ils ne comprennent pas qu'il faut également prendre en compte le langage international que les films silencieux perpétuaient, et la part inconsciente de chaque spectateur dans la création de la pièce, de l'action, et des dialogues imaginés par chacun ». Il se trompa grandement, au plus grand avantage de sa compagnie. Entre les années fiscales 1927 et 1928, puis 1928 et 1929, les profits de la Warner' ont déferlé de 2 000 000 $ à 14 000 000 $. Le film sonore fut, en réalité, une grande bénédiction pour toutes les sociétés de production de l'industrie cinématographique. Durant ces mêmes douze mois, les profits de la Paramount se sont élevés de 7 000 000 $, ceux de la Fox de 3 500 000 $, et ceux de la Loew/MGM de 3 000 000 $. RKO, qui n'existait pas encore en septembre 1928 et dont la société-mère de production, FBO, était une entreprise mineure d'Hollywood, s'établit vers la fin 1929 comme une société majeure d'Amérique.
Même si le krach de Wall Street, en octobre 1929, a provoqué la chute de l'économie dans la Grande Dépression, la popularité des films parlants sembla demeurer à Hollywood. Les expositions de 1929 et 1930 furent encore meilleures pour l'industrie cinématographique que les précédentes, avec de nouveaux records en matière de vente de billets et de profits. Ce n'est qu'en 1930 que le krach eut une influence, bien que le son avait laissé à Hollywood son statut de l'une des industries les plus importantes, tant commercialement que culturellement, aux États-Unis. En 1929, les recettes commerciales ont constitué seulement 16,6 % des dépenses totales des Américains ; en 1931, le chiffre atteignait 21,8 %. L'économie du cinéma allait demeurer ainsi jusqu'au milieu de la décennie suivante. L'industrie cinématographique américaine – déjà la plus puissante du monde – réalisa un record d'exportation en 1929 qui, par la mesure de la longueur de la bande appliquée à tous les films projetés, fut de 27 % supérieure à celui de l'an passé. En ce qui concerne les différences de langue, qui auraient pu gêner l'exportation des films américains, le problème s'est avéré être sans fondement. En fait, les dépenses pour la conversion vers le son étaient le seul obstacle majeur pour beaucoup de producteurs, la plupart sans fonds suffisants pour les normes hollywoodiennes. La production de plusieurs versions de films parlants pour l'exportation en différentes langues, l'approche commune initiale qui a cessé durant l'année 1931, remplacée par le post-doublage ou le sous-titrage. Malgré les restrictions commerciales imposées dans beaucoup de marchés étrangers, en 1937, les films américains occupaient environ 70 % des projections dans le monde.
Les studios majeurs d'Hollywood ont réussi à tirer profit du son par rapport à leur concurrence étrangère ainsi que par rapport à leurs concurrents américains. Comme l'historien Richard B. Jewell le décrit, « la révolution du son a provoqué la chute de beaucoup de petites sociétés de productions qui étaient incapables financièrement de suivre cette nouvelle conversion ». La combinaison du son et de la Grande Dépression a mené à une grande diminution des activités, aboutissant à la hiérarchie des cinq plus importantes entreprises (la MGM, la Paramount, la Fox, la Warners, et RKO) et de trois autres studios plus petits également nommés « majors » (Columbia, Universal et United Artists) qui prédomineraient plus tard, dans les années 1950. L'historien Thomas Schatz décrit les effets auxiliaires ainsi :
« Parce que les studios furent obligés de rationaliser leurs opérations et de compter sur leurs propres ressources, l'allure de leur propre bâtiment et le moral du personnel se firent nettement remarquer. Ainsi, la période critique de l'arrivée du cinéma sonore dans l'ère précoce de la Dépression vit le « Studio system » s'unir avec les studios individuels arrivant sur leur fin avec leurs propres identités et leur position respective dans l'industrie du cinéma. »
L'autre pays à avoir connu un impact commercial immédiat dans le cinéma sonore fut l'Inde. Comme le dit un distributeur de l'époque : « Avec l'arrivée des films parlants, le cinéma indien arriva par lui-même à un véritable style bien défini et distinct. Tout ceci bien façonné autour de la musique ». Depuis ses tout premiers jours, le cinéma indien sonore a été défini par la musique ; par exemple le film Alam Ara contient sept chansons ; un an plus tard, Indrasabha allait en contenir soixante-dix. Pendant que les industries cinématographiques européennes touchèrent à la fin d'une bataille contre la popularité et la puissance économique d'Hollywood, dix ans après le début d'Alam Ara, plus de 90 % des films projetés en Inde furent indiens. La plupart des premiers films parlants indiens furent tournés à Bombay, qui reste aujourd'hui le centre de production principal, mais le tournage de films sonores se propagea rapidement à travers la nation pourtant multilinguiste. Quelques semaines à peine après la première d'Alam Ara en mars 1931, les films produits par Madan Pictures, à Calcutta, sortirent en hindî, Shirin Farhad, et en bengalî, Jamai Sasthi. Le film Heer Ranjha, en hindoustani, fut produit à Lahore, dans le Penjab, dans les années suivantes. En 1934, Sati Sulochana, le premier film parlant, tourné à Kolhapur (Maharashtra), en kannada sortit ; Srinivasa Kalyanam devint le premier film parlant en tamil, tourné à Tamil Nadu. Une fois que les premiers longs métrages parlants furent sortis, la conversion à la production sonore se passa aussi rapidement en Inde qu'aux États-Unis. Déjà en 1932, la majorité des productions de longs métrages étaient sonores ; deux ans plus tard, 1** des 172 longs métrages indiens étaient sonores. De 1934 à aujourd'hui, avec la seule exception de 1952, l'Inde s'est toujours trouvée parmi les trois pays les plus gros producteurs dans le monde.
Sur la qualité esthétique
Tout d'abord, dans son étude mondiale éditée en 1930 sur « Le Cinéma jusqu'à aujourd'hui », l'expert du cinéma, Paul Rotha a déclaré « un film, dans lequel les discours et bruitages sont parfaitement synchronisés et coïncident avec les images durant la projection, est tout à fait contraire au but du cinéma. C'est une tentative dégénérée et erronée de détruire l'utilisation réelle du cinéma et ne peut être acceptée comme entrant dans les vraies frontières du cinéma ». De tels avis n'étaient pas rares parmi ceux qui considéraient du cinéma comme une forme d'art ; Alfred Hitchcock, bien qu'il ait tourné le premier film parlant produit en Europe ayant reçu un succès commercial, a dit que « les films muets étaient la forme la plus pure du cinéma » et s'est moqué de beaucoup des premiers films sonores comme livrant des « photographies de personnes parlantes ».
La plupart des historiens modernes du cinéma et des cinéphiles ont reconnu que le cinéma muet avait atteint un sommet esthétique vers la fin des années 1920, et que les premières années du cinéma sonore avaient délivré une qualité peu comparable par rapport à celle du silencieux. Par exemple, malgré la disparition dans une obscurité relative une fois son ère passée, le cinéma muet est représenté par onze films dans le classement des cent meilleurs films de l'histoire du cinéma, dans Time Out, créé en 1995. Le premier film sonore français à avoir été sélectionné est L'Atalante (1934), réalisé par Jean Vigo ; le premier film sonore hollywoodien à avoir été qualifié est L'Impossible Monsieur Bébé (Bringing Up Baby) (1938), réalisé par Howard Hawks. La première année pendant laquelle la production de films sonores a prédominé sur le cinéma muet – pas seulement aux États-Unis, mais également dans tout l'ouest, considéré comme lacunaire – fut 1929 ; le cinéma, dans ce classement, de 1929 à 1931 (voire de 1929 à 1933), est représenté par trois films entièrement dialogués (Loulou (1929 ou 1928 selon les sources), La Terre (1930), Les Lumières de la ville (1931)), mais aucun film sonore n'apparaît dans le classement de Time Out.
L'effet à court terme du son sur l'art cinématographique peut être mesuré avec plus de détails en considérant ces films pendant la période de transition – les derniers films muets avec les premiers films sonores – dans l'ouest largement reconnus comme étant des chefs-d'œuvre, comme indiqué dans de récents sondages médiatiques à propos des meilleurs films internationaux de tous les temps (même si certains sont étiquetés comme films muets, comme Sunrise et Les Lumières de la ville (City Lights), ils furent distribués initialement avec des effets sonores, ils sont aujourd'hui référencés par les historiens ainsi que par les professionnels de l'industrie comme « muets » – les dialogues étant le facteur crucial de distinction entre le cinéma muet et le sonore). Durant une période de six ans, de 1927 à 1932, onze films furent largement reconnus comme des chefs-d'œuvre dont seulement un seul film parlant : Dans le classement suivant l'abréviation TO veut dire Time Out ; VV veut dire The Village Voice et S&S signifie Sight & Sound.
Peter Lorre
Parmi les films muets, on retrouve, en 1927, le film américain Le Mécano de la « General » (VV : 01 et S&S : 02), le film allemand Metropolis (VV : 01 et S&S : 02), le film français Napoléon (TO : 95), le film russe Octobre (VV : 01) et le film américain Sunrise (TO : 95, VV : 01 et S&S : 02). En 1928, le film français La Passion de Jeanne d'Arc (TO : 95, VV : 01 et S&S : 02) et le film américain Cadet d'eau douce (VV : 01). Puis, en 1929, le film russe L'Homme à la caméra (VV : 01 et S&S : 02) et le film allemand Loulou (TO : 95). Et, en 1930, le film russe Zemlya (TO : 95) ; en 1931, le film américain Les Lumières de la ville (TO : 95, VV : 01 et S&S : 02).
Le seul film parlant date de 1931, c'est le film allemand M le maudit (VV : 01 et S&S : 02).
Mais, le premier film parlant à avoir reçu l'approbation de la critique de manière quasi-universelle fut L'Ange bleu (Der blaue Engel) ; étant projeté pour la première fois le1 avril 1930, il fut réalisé par Josef von Sternberg dans les versions allemande et anglaise pour la société Berlin's UFA studio. Le premier film américain parlant à avoir été largement honoré fut À l'Ouest, rien de nouveau (All Quiet on the Western Front), réalisé par Lewis Milestone, qui fut projeté le 21 avril pour la première fois. Un autre film sonore à avoir été acclamé de par le monde, durant cette même année, est Quatre de l'infanterie (Westfront 1918), dirigé par Georg Wilhelm Pabst et produit par la Nero-Film de Berlin. Des historiens ont également considéré le film français L'Âge d'or, réalisé par Luis Buñuel, qui est sorti en octobre 1930, pour son influence sur l'esthétisme de l'image, bien qu'il fut plus considéré comme un pionnier du mouvement surréaliste que comme un cinéma pour soi. Le premier film sonore désormais reconnu par la plupart des historiens du cinéma comme un chef-d'œuvre est le film produit par la Nero-Film, M le maudit, et réalisé par Fritz Lang, sorti le 11 mai 1931.
Sur la forme
« Un film parlant est aussi peu utile qu'un livre chantant ». Telle fut la brutale déclaration du critique Victor Chklovski, un des leaders du mouvement formaliste russe en 1927. Pendant que certains considèrent le son comme incompatible avec l'art cinématographique, d'autres au contraire le virent comme une ouverture sur un nouveau champ de création. L'année suivante, un groupe de réalisateurs soviétiques, dont Sergueï Eisenstein, proclamèrent que la juxtaposition de l'image et du son, la soi-disant méthode contrapuntique, élèverait le cinéma à « une hauteur culturelle et lui donnerait un pouvoir sans précédent. Une telle méthode pour la production du film parlant ne le limitera pas à un marché national, comme c'est arrivé pour la photographie de pièces de théâtre par exemple, mais lui donnera une possibilité plus grande pour l'exportation mondiale d'une idée exprimée par la cinéma ».
Le 12 mars 1929, le premier long métrage parlant réalisé en Allemagne fut projeté pour la première fois. L'inaugural de la Tobis Filmkunst production, ce n'était pas un drame, mais un film documentaire sponsorisé par une ligne de navigation : Melodie der Welt (Mélodie du monde) réalisé par Walter Ruttmann. Ce fut peut-être également le premier long métrage à explorer largement les possibilités artistiques de la synchronisation de l'image et du son. Comme le décrit l'érudit William Morits, le film est « complexe, dynamique, en mouvement … juxtaposant des habitudes culturelles similaires de plusieurs pays du monde, avec une splendide composition orchestrale … et plusieurs effets sonores synchronisés ». Le compositeur Lou Lichtveld était parmi un nombre d'artistes contemporains engagés pour le film : « Melodie der Welt est devenu le premier documentaire sonore important, le premier dans lequel la musique et les effets sonores furent composés dans une même et unique unité et dans lequel les images et le son sont contrôlés par le même rythme d'impulsions ». Melodie Der Welt était sous l'influence directe du film industriel Philips Radio (1931), tourné par le cinéaste hollandais avant-gardiste Joris Ivens et composé par Lichtveld, qui décrit ses buts audiovisuels :
« Rendre des impressions semi-musicales de sons d'usines dans un monde audio complexe qui s'est déplacé de la musique absolue au bruit de la nature purement documentaire. Dans ce film, chaque étape intermédiaire peut être trouvée : comme le mouvement de la machine interprétée par la musique, les bruits de la machine dominant le fond musical, la musique elle-même est le documentaire, et ces scènes où le son pur de la machine va seul. »
Plusieurs expériences similaires furent poursuivies par Dziga Vertov dans son film Entuziazm (1931) et par Charlie Chaplin dans Les Temps modernes, une demi-décennie plus tard.
Quelques réalisateurs innovateurs commerciaux ont vu différentes manières dont le son pourrait être employé, comme partie intégrale de l'histoire racontée, au-delà de la fonction évidente de l'enregistrement du dialogue. Dans Blackmail, Alfred Hitchcock a manipulé la reproduction d'un monologue d'un des personnages de sorte que le mot « couteau » soit mis en valeur au travers d'un courant flou de sons, reflétant l'impression de la protagoniste, qui tient désespérément secrète sa prochaine agression à coups de couteau qui lui sera fatale. Dans son premier film, produit par la Paramount Pictures, Applause (1929), Rouben Mamoulian a créé l'illusion d'une profondeur acoustique en variant le volume du son ambiant en proportion avec la distance de la caméra lors de la prise. À un certain moment, Mamoulian a voulu que le spectateur entende un personnage en train de chanter en même temps qu'un autre priait. D'après le réalisateur, « ils disaient que nous ne pouvions pas enregistrer les deux choses – le son et la prière – sur un micro et une chaîne. Alors, j'ai dit au chef-opérateur du son, « Pourquoi ne pas utiliser deux micros et deux chaînes, et combiner les deux enregistrements lors du montage » ? ». Les deux méthodes deviendront finalement la procédure standard pour la réalisation populaire.
L'un des premiers films commerciaux à prendre parti des nouvelles opportunités amenées par le son fut Le Million, réalisé par René Clair et produit par la division française de la Tobis. Il fut d'abord projeté à Paris en avril 1931, puis à New York un mois plus tard, le long métrage remporta un grand succès tant du public que de la critique. Une comédie musicale avec une intrigue des plus simples, c'est ce qui est remarquable pour de tels accomplissements, particulièrement son traitement emphatique et artificiel du son. Comme le décrit Donald Crafton,
« Le Million ne nous laisse jamais oublier que le composant acoustique est autant une construction qu'un décor blanchi. [Il] a remplacé les dialogues par des couplets chantés et des paroles en rimes. [René] Clair créa des confusions amusantes dans le son lors de la projection. Il a également expérimenté des ruses audio asynchrones, comme avec la célèbre scène dans laquelle une poursuite après un manteau est synchronisée avec les acclamations d'un public regardant un match de football (ou de rugby) »
Celles-ci et des techniques similaires sont venues se faire une place dans le vocabulaire du film de comédie sonore. Cependant comme les effets spéciaux et la couleur, le design non-naturaliste fut réussi par René Clair, ce qui ne fut pas le cas pour la compréhension des bases. En dehors du domaine comique, le genre de pièce audacieuse avec son amplifié comme Melodie der Welt et Le Million serait rarement suivie par une production. Hollywood, en particulier, incorpora le son dans un solide système de réalisation basée sur le genre, dans lequel les possibilités fondamentales du nouveau moyen furent soumises aux buts traditionnels, c'est-à-dire la révélation de célébrités et le principe pur et simple de raconter une histoire. Comme ce fut fidèlement prédit en 1928 par Frank E. Woods, secrétaire de l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences, « Les films parlants du futur suivront la ligne générale de traitement jusqu'ici développée par le drame muet … Les scènes parlantes auront besoin d'une manipulation différente, mais la construction générale d'une histoire sera sensiblement la même. »