La désinformation est un ensemble de techniques de communication visant à donner une fausse image de la réalité, dans le but de protéger des intérêts privés et/ou d'influencer l'opinion publique. Elle est parfois employée dans le cadre des relations publiques. Le sens de ce mot, apparu au dernier quart du XX siècle et proche du terme propagande, connaît des variantes importantes selon les auteurs. Le principe de protection des sources d'information des journalistes permet de décourager la désinformation, en facilitant le recoupement et la vérification des informations diffusées, par le questionnement d'autres sources d'information, dont l'identité est également vérifiée, mais pas divulguée.
Définitions
En France, Vladimir Volkoff est le premier à avoir révélé au grand public les principaux mécanismes de la désinformation. C'est dans Le montage, Grand prix du roman de l'Académie française en 1982, qu'il essaie de cerner les principales méthodes pour amener l'opinion publique à agir dans une certaine direction. En 1997, Volkoff dans Petite histoire de la désinformation entreprend d'en donner une définition précise et aussi par conséquent de définir ce qu'elle ne peut être : « La désinformation est une manipulation de l'opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés. » Il la distingue de la manipulation des dirigeants considérant qu'elle relève plus de l'intoxication psychologique, et de la manipulation avec des moyens directs qu'il appelle plutôt propagande. Selon ces définitions, la publicité ne peut être de la désinformation puisqu'elle n'a pas de visées politiques directes et qu'elle se pratique au grand jour.
La manipulation de l'opinion publique a fait l'objet de livres dès le début du XX siècle. Le journaliste américain Walter Lippmann en parle dans son livre Public Opinion (1922), ainsi qu'Edward Bernays dans Propaganda (1928). Alors que Lippmann emploie le terme fabrication du consentement, Bernays emploie le terme de propagande.
Une désinformation est un simple transfert d'information qui comporte en lui-même une transformation de l'information initiale. Il ne s'agit pas ici de discuter pour savoir si tout transfert d'information est une transformation de cette information, mais de comprendre qu'il existe une certaine forme de transfert qui nie l'information initiale (en la dénaturant) ou les informations (en les regroupant de manière intempestive et non raisonnée). Par exemple, faire passer les agresseurs pour des victimes et les victimes pour des agresseurs, ou bien mélanger les informations pour les rendre incompréhensibles.
Kevin Bronstein donne une définition "faible" parce que générale du concept : la désinformation consiste en une inversion du trajet de la communication défini par Adrian Mc Donough dans Information Economics. Ce trajet va de l'information factuelle ou observation, aux inférences tirées à partir des informations et enfin au jugement porté sur les inférences. La voie inverse consiste à partir d'un jugement a priori pour forger des inférences incorrectes à partir de faits manipulés. La théorie de la dissonance cognitive de Leon Festinger montre que la désinformation est un processus plus ou moins conscient de réduction de la contradiction entre les jugements et les faits. Lorsque Bertrand Russell indique que Thomas d'Aquin, en fixant dès le départ de sa démarche les textes de foi comme des sources non contestables, "ne se comporte pas en philosophe", ce propos revient à accuser l'écrivain médiéval de désinformation.
François-Bernard Huyghe en donne une définition plus restrictive dans L'Ennemi à l'ère numérique. Pour lui, « la désinformation consiste à propager délibérément des informations fausses en les faisant apparaître comme venant de source neutre ou amie pour influencer une opinion et affaiblir un adversaire. »
Cas d'espèces
Une désinformation n'implique pas nécessairement un complot ni même une visée consciente. Mais il est possible que des désinformations conscientes soient exercées, par exemple comme technique de propagande. Ce type de désinformation « planifiée » est exercée principalement par l'influence des autorités étatiques, des groupes financiers ou industriels et des lobbys, avec ou sans la complicité des responsables médiatiques, en fonction du degré de démocratie.
On peut aussi considérer que la plus grande partie de la désinformation quotidienne dans les médias est latente et banalisée. Elle s'exerce sous forme d'autocensure ou de sujets promotionnels (motifs politiques et commerciaux), et la course à l'audimat dans les chaînes de télévision, média de loin le plus influent, privilégie fréquemment des sujets moins informatifs mais plus populaires. La désinformation médiatique n'est parfois pas intentionnelle, en particulier quand un journaliste n'a pas vérifié ses sources, écrit un article aguicheur sans se baser sur des faits, ou parlé sur un sujet technique pour lequel il n'est pas compétent.
Internet et les nouvelles technologies de communication multiplient de manière exponentielle l'échange d'informations plus ou moins importantes. Si certains considèrent que ces nouveaux moyens permettent de construire des médias alternatifs qui seraient capables de contrer la désinformation institutionnelle, on doit tout de même faire un tri, ce qui peut prendre du temps, puisque pour chaque sujet différentes interprétations sont proposées. Ainsi, Internet véhicule un large éventail de rumeurs, canulars et donne de nouvelles possibilités à différents types de propagande, y compris par des petits groupes politiques.
Exemples de désinformations
Propagande
En temps de crise et surtout de guerre, les belligérants (étatiques ou non-étatiques) usent souvent de propagande pour servir leurs intérêts. La création de fausses informations est relativement courante, l'un des exemples récents étant l'affaire des couveuses au Koweït où un faux témoignage devant une commission du Congrès des États-Unis organisé par une compagnie de relations publiques a contribué à ce que l'opinion publique internationale soutienne l'action des puissances occidentales).
Les « faux »
L'utilisation de faux documents, destinés à semer des doutes ou à accréditer une thèse, est l'une des méthodes de désinformation la plus répandue. Au Moyen Âge, la fausse donation de Constantin a permis au Pape Sylvestre I de se prévaloir de territoires et de privilèges sur la base d'un document apocryphe. Pendant l'affaire Dreyfus, le colonel Henry falsifie des documents et en crée de toute pièce, comme le fameux « faux Henry », pour accabler indûment Alfred Dreyfus.
Au début du XX siècle, la propagande russe rédige puis publie les Protocoles des Sages de Sion pour prouver que les Juifs avaient mis au point un programme pour anéantir la chrétienté et dominer le monde. Ce texte est utilisé pour la propagande antisémite du Troisième Reich et l'est encore par des intégristes musulmans. Dans la mesure où on a remplacé par le mot « juifs » l'expression « milieux financiers » de l'ouvrage de Maurice Joly Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu (les Protocoles n'en conservent que les tirades de Machiavel), il s'agit même d'une double désinformation.
La grande époque de la désinformation moderne commence après-guerre avec les agents d'influence et les campagnes médiatiques de la guerre froide, comme l'affaire Victor Kravtchenko et celles des époux Rosenberg, certains officiers traitants allant même jusqu'à fournir les brouillons d'articles aux journalistes ou écrivains, compagnons de route des partis communistes.
La "seconde" guerre du Golfe mentionnait des preuves de l'existence d'armes de destruction massive en Irak qu'on n'y trouva jamais.
Plus récemment, c'est un fichier bancaire falsifié qui est au centre de l'affaire Clearstream 2, destinée à mettre en cause des personnalités politiques françaises.
Des sites se présentant comme des agences de presse, tel AWD News, présentent des articles mensongers reliés par les réseaux sociaux dans un but de propagande ou de manipulation de particuliers et d’États
Ces faux documents, présentés par leurs instigateurs comme authentiques, ont pour but de désinformer leur cible en s'appuyant sur des éléments fictifs ou sur des contrevérités.
La question de l'indépendance des médias
Le fait qu'un média soit indépendant ou non d'un groupe (ou d'une mouvance) ne garantit pas pour autant la véracité de ses informations. De plus, le fait que les médias s'inspirent les uns des autres rend la notion d'indépendance réelle difficile à évaluer.
On note toutefois que les médias traditionnels, généralement en perte d'audience depuis l'essor de l'Internet, appartiennent le plus souvent (et de plus en plus) à des groupes industriels, des holdings ou à l'État, ou sont proches d'un mouvement politique et sont donc soumis à des pressions de la part de leurs propriétaires ou à du lobbyisme. Les intérêts financiers ou politiques de ces acteurs peuvent contraindre ces médias à biaiser, parfois déformer des informations. Cela a été étudié dans le modèle de propagande par Noam Chomsky et Edward Hermann.
La Pravda (La Vérité) du temps de l'Union des républiques socialistes soviétiques est souvent cité comme l'un des exemples de désinformation et de propagande le plus évident. Cependant un journal appartenant à un parti ou à une mouvance politique avancera sans fard et diffusera plus sûrement de la propagande que de la désinformation. Une information ayant pour source la Pravda suscitera des doutes quant à sa véracité, on la jugera de facto avec sévérité on lui accordera moins de crédit qu'une source reconnue comme plus neutre (neutre ne signifiant pas indépendante). Pour le désinformateur habile la mention d'une source politisée pourra suffire à décrédibiliser l'information elle-même.
Il a souvent été reproché à la chaîne de télévision TF1 d'être soumise aux pressions de son propriétaire, le groupe BTP Bouygues dont les intérêts passent par une bonne entente avec les hommes d'État, notamment pour obtenir des contrats de travaux publics. Les remarques de Serge Dassault, patron du Groupe Dassault et propriétaire du quotidien Le Figaro depuis 2004, selon laquelle son groupe devait « posséder un journal ou un hebdomadaire pour y exprimer son opinion » et que son journal devait produire « un certain nombre d'idées saines » a provoqué un tollé en 2005.
Le plus grand magnat international des médias, l'Australien Rupert Murdoch, entretient d'excellentes relations avec Tony Blair et George W. Bush, et le ton vis-à-vis de ces dirigeants dans les journaux et les chaînes de télévision qu'il possède (dont The Times, The Sun et Fox News), leur est plus favorable que par rapport aux autres médias. Par ailleurs, l'armée américaine a reconnu en 2005 que ses services de communication écrivaient des articles pour les journaux irakiens.
Les nouveaux médias alternatifs tels les sites d'informations « citoyens » (Indymédia, AgoraVox et le Réseau Voltaire étant parmi des plus connus), les sites d'associations ou les blogs diffusent de leur côté des informations ou des affirmations traitant de tous les sujets, de l'ufologie à la géopolitique en passant par la médecine (SIDA ou vaccination entre autres) qui, repris en boucle par d'autres sites, rendent leur authentification difficile à vérifier.
Le cinéma est aussi utilisé comme outil de désinformation. Staline, grand amateur de cinéma, a déclaré en 1924 : « le cinéma est le plus efficace outil pour l’agitation des masses. Notre seul problème, c’est de savoir tenir cet outil bien en main » et l'État soviétique a influencé les scénarios de films comme Octobre ou Alexandre Nevski pour montrer sa vision de l'Histoire. Pendant la montée du nazisme et la seconde guerre mondiale, de nombreux films antisémites ont été produits en Allemagne Nazie.
Trois films furent également tournés après la Libération de 1945 pour faciliter la réconciliation nationale : La Bataille du rail, La Traversée de Paris et Le Père tranquille. Il s'agissait d'oeuvres de fiction et non de documentaires, mais elles donnaient un petit coup de pouce à l'histoire dans le sens souhaité.
A contrario, le documentaire Le Chagrin et la pitié montre des foules acclamant dans la même ville Pétain pour la première, puis quelque temps plus tard de Gaulle pour la seconde. Rien dans le commentaire ne souligne que ces foules n'étaient pas forcément composées des mêmes personnes, ce qui contribue à présenter "la" foule comme versatile.
La télévision n'est pas en reste : l'émission Arrêt sur images de Daniel Schneidermann se spécialisait sur l'analyse de petites désinformations prises dans les émissions : bande-son d'une vidéo modifiée pour la rendre plus dramatique (cris ou vent), images d'une session parlementaire intercalées dans une autre, la bande son procurant une illusion d'être dans la même, images "en direct" de lieux à deux jours d'intervalle, où les nuages situés derrière le présentateur étaient les mêmes et à la même place, présentation d'un événement comme étant un autre, etc. Dans son film documentaire Enfin pris ?, Pierre Carles utilise l'exemple de l'émission Arrêt sur image et le parcours de Daniel Schneidermann afin de montrer la difficulté de critiquer la télévision à la télévision, et met au jour l'autocensure et la connivence qu'implique progressivement le fait d'y travailler.
L'association française de critique des médias Acrimed fait de la question de l'indépendance des médias l'une de ses priorités.
Les sondages
Les limites de la méthodologie des sondages pourraient être utilisées à des fins de désinformation : les biais d'échantillonnage, les « effets de halo », et effets de cadrage (formulation des questions), et l'impossibilité théorique de calculer une précision lorsque l'on ne dispose pas d'une base de recensement, rendent en effet leurs résultats imprécis.
Les canulars informatiques
Ce sont de fausses nouvelles propagées sur Internet. Le phénomène est tellement important qu'il a permis le développement de sites de référence sur les rumeurs (HoaxBuster.com...), dédiés à la classification des récits qui circulent sur internet et à la vérification de ces informations. Beaucoup de sites de référence ont aujourd'hui des audiences impressionnantes.
Les rumeurs
Les rumeurs, dont l'origine et l'authenticité sont sujettes à caution, sont souvent utilisées pour tromper l'opinion et l'amener à justifier des actions ou des décisions politiques. Un des exemples les plus célèbres concerne le régime nazi, qui utilisera des fausses rumeurs pour lancer la « Nuit des Longs Couteaux », inventant d'abord une tentative de coup d'État pour justifier l'opération contre les SA, puis une affaire de haute trahison.
Plus récemment, à la suite d'une vraisemblable erreur de traduction de l'agence d'information officielle iranienne, certains médias occidentaux et responsables politiques ont continué à propager une rumeur selon laquelle le président iranien Mahmoud Ahmadinejad aurait déclaré lors d'un discours le 25 octobre 2005 à Téhéran qu'il fallait « rayer Israël de la carte ».
Dans les milieux économiques, les rumeurs peuvent servir à faire monter ou baisser artificiellement le cours des actions. Ainsi une rumeur en fin de compte infondée selon laquelle le médicament Lantus (en), antidiabétique dont le brevet était détenu par Sanofi serait cancérigène a abaissé le cours de l'action Sanofi pendant plusieurs mois.
Affaires célèbres
Les articles listés dans Catégorie:Désinformation
Critique de l'usage de cette notion
Guillaume Weill-Raynal, dans un ouvrage polémique, Une haine imaginaire : contre-enquête sur le nouvel antisémitisme, dénonce un usage extensif de cette notion. Selon lui, « l'usage du mot n'est plus aujourd'hui qu'un passe-partout vulgaire, un réflexe aussi automatique que le mouvement de la main qui écarte lorsque l'on ne veut pas entendre. [...] Par un ironique retour des choses, le terme qui désignait une méthode de fabrication du réel semble désormais n'être plus utilisé que pour le fuir ». Évoquant l'usage du terme dans les débats en France autour du conflit israélo-palestinien, Guillaume Weill-Raynal parle d'un « fantasme, au sens littéral du terme : une production de l'esprit par laquelle l'individu tente d'échapper à la réalité » qui « conduit, en définitive, à poser sur le réel une présomption irréfragable de fausseté. A considérer l'apparence du vrai comme le signe même du mensonge ». L'auteur poursuit cette critique dans un second ouvrage : Les nouveaux désinformateurs.