Premier artiste, statue de Paul Richier, 1890.
Un artiste est un individu faisant (une) œuvre, cultivant ou maîtrisant un art, un savoir, une technique, et dont on remarque entre autres la créativité, la poésie, l'originalité de sa production, de ses actes, de ses gestes. Ses œuvres sont source d'émotions, de sentiments, de réflexion, de spiritualité ou de transcendances.
Le Dictionnaire historique de la langue française publié sous la direction d'Alain Rey donne d'autres origines de ce mot au Moyen Âge, mais avec des significations différentes, qui pour certaines ne sont plus d'usage, comme « étudiant des arts libéraux à l'université ». Il a aussi été utilisé à la place d'artisan ou pour indiquer qu'un objet a été « fait avec habileté et méthode, avec art ».
Dans un sens commun, et plutôt péjorativement ou pour la disqualifier, on parle également d'artiste ou de poète à propos d'une personne étrange, marginale, oisive, rêveuse, qui fait n'importe quoi, de quelqu'un qui n'a pas le sens des réalités, des règles, et est parfois considéré comme rebelle, sot ou fou mais qui peut aussi à l'inverse être apprécié comme faisant preuve de génie.
Origine du mot artiste
L'artiste au Moyen Âge
Aristote a imposé une coupure entre science théorique (épistémè) et arts appliqués (tekhnè).
Martianus Capella
Allégorie de la grammaire dans un manuscrit du X siècle
L'université de Paris est composée de quatre facultés : faculté des arts, faculté de théologie, faculté de décret et faculté de médecine. La faculté des arts offrait aux étudiants l'enseignement nécessaire à l'entrée dans les trois autres facultés fondé sur les sept arts libéraux comprenant le trivium et le quadrivium. Cette codification s'était progressivement imposée à partir d'un rhéteur latin d'Afrique de la première moitié du V siècle, Martianus Capella dans son roman allégorique et hermétiste les Noces de Phililogie et de Mercure. Cassiodore avait appelé « arts » les trois parties du trivium qui traitent du contingent et « disciplines » les quatre dernières parties qui portent sur le nécessaire et sont la seconde partie de la philosophie. Boèce a inventé le terme de quadrivium pour ces disciplines. Isidore de Séville reprend largement les arts libéraux définis par Martianus Capella et Cassiodore dans ses Étymologies. Les arts libéraux sont considérés comme nécessaires aux hommes libres pour maîtriser l'expression orale et écrite (le trivium : grammaire, rhétorique et dialectique) et rendre compte de l'ordre du monde (le quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie et musique). Ce système est resté inchangé depuis la Haute Antiquité jusqu'à la Renaissance.
Un étudiant ou un enseignant de la faculté des arts était appelé un artiste. Il terminait ses études en obtenant la maîtrise ès arts.
Les sept arts libéraux sont représentés par sept femmes décrites par Martianus Capella.
En parallèle se développe le système des neuf Muses venues de la tradition homérique qui en fait les filles de Zeus et que Platon décrit comme les médiatrices entre le dieu et le poète ou tout créateur intellectuel. Cependant il n'y a aucune Muse pour les arts manuels comme la peinture, la sculpture ou l'architecture.
Cet enseignement ne fait aucune place aux activités manuelles qui étaient souvent pratiquées dans l'Antiquité par des esclaves. L'esclavage et le servage disparaissant au cours du Moyen Âge, des hommes vont développer leurs techniques ou artifex dans les arts manuels ou mécaniques. Le développement de la société urbaine à partir du XII siècle va transformer leur travail qui d'abord itinérant va pouvoir s'exercer dans une ville où ils peuvent se regrouper en corporations, appelées Arti en Italie. Ce sont des artisans.
Le peintre, le sculpteur, l'orfèvre exercent une activité manuelle. Ils ne vont que progressivement se détacher de la condition inférieure due ces activités. Ils sont alors pour la plupart anonymes. Pour les clercs, c'est parce qu'ils créent de la beauté à partir de la matière brute qu'ils reproduisent l'acte divin de la Création de Dieu, que saint Thomas d'Aquin décrit comme un artifex mundi. Cependant, pour saint Thomas d'Aquin, l'exécutant d'une œuvre doit la réaliser conformément aux règles définies par son commanditaire ecclésiastique.
Au XII siècle, le moine Théophile écrit une somme des arts mécaniques du Moyen Âge : Schedula de diversis artibus. Pour lui la beauté de la création et la belle âme du créateur sont indissociables.
Progressivement, les chroniqueurs vont montrer les qualités morales des créateurs des œuvres. Pour Hugues de Saint-Victor les arts mécaniques sont trop souvent méprisés et doivent acquérir un statut de science. Il les groupe en sept sciences mécaniques en reprenant la division des arts libéraux. Dans le second ensemble qu'il appelle l' armatura, il a placé l'architecture, la peinture, la sculpture et les arts mineurs. Dans son De divisione philosophiae, Dominique Gundissalvi soutient l'égalité des arts libéraux et des arts mécaniques. Dans le Defensor pacis, Marsile de Padoue distingue les arts mécaniques servant aux nécessités matérielles de ceux qui sont de l'ordre du plaisir et de l'agrément : la peinture, la sculpture et l'architecture. Il considère que ces derniers ont un statut intermédiaire entre les arts manuels et les arts libéraux.
L'artiste de la Renaissance
Dans la littérature, la plus ancienne mention du mot artiste apparaît dans La Divine Comédie de Dante Alighieri. La première mention se trouve dans le chant XIII du Paradis :
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Si la cire était ductile à point,
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et que le ciel fût dans sa plus haute vertu,
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la lumière du sceau apparaîtrait toute entière;
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mais toujours amoindrie la rend la nature,
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opérant comme l'artiste,
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qui a l’habitude de l’art et une main qui tremble
Le mot réapparaît dans le chant XVIII du Paradis où il évoque l'âme d'un de ses ancêtres :
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Puis, se mêlant et se mouvant avec les autres lumières,
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l’âme qui m’avait parlé me montra
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quel artiste elle était parmi les chantres célestes.
Enfin, au chant XXX , où arrivé au terme de son voyage, sous la conduite de Béatrice, il ne peut décrire la beauté avec la parole humaine :
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mais il faut maintenant que je renonce à suivre davantage,
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derrière sa beauté, en poésie,
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comme un artiste après son dernier effort.
Dante fait de l'artiste celui qui a le pouvoir de montrer la beauté jusqu'à la révélation de la splendeur céleste. Dante introduit le mot dans la langue italienne, invente la figure de l'artiste et en fait l'égal du poète.
Le mot a été peu utilisé dans le sens donné par Dante pendant les deux siècles qui ont suivi. On le retrouve en 1360 sous la plume de Franco Sacchetti, puis Francesco Albertini, élève de Ghirlandaio, connu entre 1493 et 1510, qui l'utilise à propos d'ex-voto de cire, « facte per mano di optimi artisti ».
C'est Michel-Ange qui va introduire définitivement le mot par son sonnet l'« Ottimo artista » :
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Le grand artiste ne conçoit nulle idée
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qu'un bloc de marbre en soi ne circonscrive
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de sa gangue et seule la concrétise
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la main obéissant à l'intellect.
Le philosophe florentin, Benedetto Varchi, dans deux conférences faites en 1546 devant l'Académie florentine des lettres, publiées en 1549, discute la signification du mot artista. Dans ces conférences, Varchi rappelle l'usage des morts artifice venant du latin artifex, et artigiano qui correspond au français artisan.
Dans ses Mémoires, Benvenuto Cellini rapporte une discussion orageuse avec Cosme I de Médicis au sujet du Persée, vers 1548. Aux propos de Cosme de Médicis qui prétend parler de l'œuvre en connaisseur, Cellini lui répondit : « Vous vous y entendez comme un prince, mais moi comme un artiste ». Cellini devait connaître le sonnet de Michel-Ange car il était intervenu à la demande de Varchi pour les conférences publiées en 1549.
Définition
Les caractères utilisés à propos des artistes sont particulièrement variables dans l'histoire et n'ont pas de définitions universelles (de même que pour l'art, un « faux concept » anhistorique). Ils ont comme origine une expérience, une appréciation personnelle, un regard et sont la conséquence d'un intérêt collectif propre à une culture. De plus, la notion d'artiste – ou son absence – et l'imaginaire qui l'accompagne, est liée à l'idée de sujet et d'altérité chez un groupe humain, à une époque déterminée.
Certains usages traditionnels distinguent l'artiste de l'artisan en se fondant sur la condition d'auteur, ou d'interprète, du premier. Soit un producteur de créations de l’esprit en opposition aux travailleurs manuels, aux exécutants anonymes, à ce qui est utile ou fonctionnel.
Depuis le XVIII siècle, ces activités concernent principalement les accomplissements de l'humanité différents des sciences et du droit, qui ne prétendent ni « dire le vrai », ni établir des règles. Cependant, pour l'anthropologue Lévi-Strauss, la démarche de l'artiste relève à la fois de celle du bricoleur et du scientifique.
Statut
Dans l'Antiquité gréco-romaine ceux que l'on nomme aujourd'hui artistes « ont cherché à s'élever au-dessus de cette condition commune [...] en écrivant des traités sur leur art » (Agnès Rouveret). Aristote, évoquant « ceux qui furent exceptionnels », les caractérisait par leur mélancolie. Plus tard, du XIII siècle au XV siècle européen, le statut social de l'artiste se résume essentiellement à celui de simples artisans ou domestiques de cour.
Mais, au cours de la Renaissance italienne, l'image des artistes est façonnée par des personnalités telles que Léonard de Vinci, Raphaël et Michel-Ange, dont l'influence sur leurs contemporains dépasse ce qui a précédé, ainsi que par l'apport de théoriciens comme Castiglione, Dante, Cennini, Ghiberti et Alberti inscrivant le « pouvoir créateur de l'esprit humain » au cœur de la culture humaniste.
Points de repères notables
En 1571, un fait marquant est le décret pris par Côme de Médicis exemptant les peintres et sculpteurs florentins d'appartenir à une corporation. Cela est, huit ans après la fondation de l'Accademia del Disegno par Giorgio Vasari, un des prémices de la fin du système médiéval des guildes d'artistes et de leurs accès au rang d'hommes de science.
De même, trois personnages sont significatifs de la transformation du statut des artistes en occident, entre le Moyen Âge et la période contemporaine : Albrecht Dürer affirmant la « valeur ajoutée » qu'il apporte à l'œuvre, au-delà de la qualité des matériaux ; Nicolas Poussin, avec sa célébrité inédite, obligé de fuir ses commanditaires ; et Pierre Paul Rubens pour l'importance prise par la vie sociale et intellectuelle, autour de l'artiste, désormais concurrente de l'œuvre elle-même.
Avec Vincent van Gogh, la représentation que l'on se fait de l'artiste se combine avec l'ancien mythe du poète maudit, très vivant depuis le XIX siècle, vers une figure de l'artiste en martyr, en marginal. Cela alors que dès les années 1920, Marcel Duchamp, tirant les conséquences de la mort d'une certaine conception de l'art, voire du discrédit des artistes concernés, envisage que « chacun serait un artiste, mais méconnu en tant qu'artiste ».
Sociétés modernes
La sociologue Nathalie Heinich propose plusieurs angles pour comprendre la place des artistes dans les sociétés modernes : « conditions de travail, statut juridique, encadrement institutionnel, position hiérarchique, catégorie d'appartenance, fortune, mode de vie, accès à la notoriété, critères d'excellence, représentation qu'eux-mêmes, et les autres, se font de leur position – et jusqu'à leur caractère ou leur aspect physique... »
La France, par le code général des impôts et les organismes de sécurité sociale (La Maison des artistes et AGESSA), définit administrativement une ébauche de statut professionnel social et fiscal de l'artiste actuel. En date de 2012, en France, l'artiste est un indépendant soumis à un régime social et fiscal original.
Histoire francophone du terme
Avant le XVIII siècle, le terme concernait les étudiants des arts libéraux, les artisans, etc. Du Bos, en 1719, utilisait toujours l'expression « artisan illustre » pour un membre de la famille des peintres et poètes.
Après diverses variantes et en rupture avec le passé, « artiste » prend le sens moderne de praticien des beaux-arts à la fin du XVIII siècle. C'est au début du XIX siècle qu'il concernera aussi les musiciens et les comédiens, puis tout autre créateur et interprète. Au même moment apparaît l'adjectif « artistique ».
Certains constateront que le terme artiste « finira par équivaloir, dans la modernité, à une sorte de titre nobiliaire », alors que les frontières délimitant le monde de l'art, dans les faits, sont fondées selon l'activité (art et métiers d'art) ou l'implication de la personne (amateur ou professionnel), bien qu'une conception « vocationnelle » (donc individualiste) se soit imposée en France, par exemple.
Définition internationale
L'Unesco a proposé une définition ouverte, déterminée par la conscience individuelle, dans sa Recommandation relative à la condition de l'artiste (adoptée à Belgrade, le 27 octobre 1980) :
« On entend par artiste toute personne qui crée ou participe par son interprétation à la création ou à la recréation d'œuvres d'art, qui considère sa création artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui, ainsi, contribue au développement de l'art et de la culture, qui est reconnue ou cherche à être reconnue en tant qu'artiste, qu'elle soit liée ou non par une relation de travail ou d'association quelconque. »
Citations
Des esthéticiens, auteurs d'un rapport académique sur ce thème, rappellent : « Si par « être un artiste », on entend plutôt un statut, la question peut alors relever d’une approche objective, à la fois historique et sociologique. On sait bien que le statut de l'artiste a une histoire, où se succèdent de grandes figures sans que jamais aucune ne soit entièrement abolie ou périmée par celles qui l'ont remplacée. [...] Cependant, le statut de l'artiste est toujours associé à une valeur. Car soutenir que tel individu est un artiste, c'est afficher la reconnaissance publique de quelque chose dont le nom a varié au fil des époques et n'est jamais très sûr : aptitude, compétence, puissance, don... » C'est sur ce plan de la valeur que Kant a repris la vieille question du génie, développée dans les oppositions de l’artiste et du savant, du talent et du cerveau, de la manière et de la méthode ; oppositions contestées presque terme à terme par Valéry dans son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci. Enfin, il [paraît] difficile de passer sous silence la critique opérée par Dubuffet, non seulement du génie unique, mais aussi de l'idéalisme créateur et du métier qui l'accompagne, en vertu duquel une œuvre résulte d'un plan intellectuel dont elle ne serait que la simple mise en application. Le théoricien italien Luigi Pareyson a finement montré que la création est le lieu sensible d'un débat dialectique entre la « volonté de l'artiste » et la « volonté de l'œuvre », entre liberté et nécessité : « l'artiste est d'autant plus créateur qu'il est plus soumis à la volonté de l'œuvre » (Conversations sur l'esthétique), attentif en somme à la résistance de la matière, comme à ses potentialités. »
Balzac, dans Le Curé de village de 1841, observe l'ignorance des sociétés sur l'origine du génie : « L'homme de génie se révélera toujours en dehors des écoles spéciales. Dans les sciences dont s'occupent ces écoles, le génie n'obéit qu'à ses propres lois, il ne se développe que par des circonstances sur lesquelles l'homme ne peut rien : ni l'État, ni la science de l'homme, l'anthropologie, ne les connaissent. Riquet, Perronet, Léonard de Vinci, Cachin, Palladio, Brunelleschi, Michel-Ange, Bramante, Vauban, Vicat tiennent leur génie de causes inobservées et préparatoires auxquelles nous donnons le nom de « hasard », le grand mot des sots. »
Pierre Bourdieu termine sa conférence Mais qui a créé les créateurs ? (p. 221) par : « Bref, il s'agit de montrer comment s'est constitué historiquement le champ de production artistique qui, en tant que tel, produit la croyance dans la valeur de l'art et dans le pouvoir créateur de valeur de l'artiste. Et l'on aura ainsi fondé ce qui avait été posé au départ, au titre de postulat méthodologique, à savoir que le « sujet » de la production artistique et de son produit n'est pas l'artiste mais l'ensemble des agents qui ont partie liée avec l'art, qui sont intéressés par l'art, qui ont intérêt à l'art et à l'existence de l'art, qui vivent de l'art et pour l'art, producteurs d'œuvres considérées comme artistiques (grands ou petit, célèbres, c'est-à-dire célébrés, ou inconnus), critiques, collectionneurs, intermédiaires, conservateurs, historiens de l'art, etc. »
En conclusion de son chapitre sur les Professionnels intégrés, francs-tireurs, artistes populaires et naïfs, Howard Becker (p. 275) récapitule : « Ce ne sont pas les différences de qualité qui séparent toutes ces sortes d'art. On trouve des œuvres plus ou moins intéressantes dans chaque catégorie. Mais nous considérons toujours les œuvres hétérodoxes (celles qui ne sont pas réalisées sous les auspices d'un monde de l'art) selon une esthétique qui émane d'un monde, probablement un monde de l'art, auquel nous participons. C'est cette esthétique qui nous permet d'opérer une sélection dans l'énorme production de toutes les personnes qui ne sont pas des professionnels intégrés, de reconnaître que quelques œuvres sont dignes d'intérêt et méritent de sortir de la marginalité. À un autre moment, les membres d'un autre monde de l'art feront une sélection différente, si tant est que les mécanismes de conservation permettent aux œuvres de survivre pour pouvoir être choisies (cf. Moulin, 1978, p. 244-247). »
Jean-Loïc Le Quellec note (en référence à Richard Borshay Lee) après sa Petite histoire de la lecture chamanique de l’art préhistorique : « Le réductionnisme biologique ne sachant voir dans l’art que le produit d’une alchimie cérébrale provoquée par la transe conduit à dénier aux artistes la possibilité d’une expression libre, originale, portant sur des thématiques variées et non inféodées à des lois neuropsychologiques universelles, contrairement à ce qui est généralement admis pour les autres cultures. » Matt Crepinofsky, romancier russe, dans son ouvrage "La pendaison par l'amour" définit la notion d'artiste : " Est artiste celui qui succombe aux charmes de la philanthropie. Seul le vrai philanthrope peut espérer plonger au coeur de la sensibilité artistique par l'amour qu'il porte à l'humanité"