Une paire de lunettes
Les lunettes sont un instrument permettant de pallier les défauts visuels. Une paire de lunettes est constituée d'une monture sur laquelle sont fixés des verres correcteurs et reposant sur le nez par deux supports de nez et sur les oreilles par deux branches (80 % du poids des lunettes reposant sur le nez).
Description et typologie
Moine aux lunettes, sculpture de la cathédrale de Meaux
Les verres correcteurs sont enchâssés sur une monture reposant sur le nez. La monture est une armature composée de la face et de deux branches. La face est constituée de deux cercles et d'un pont muni de plaquettes, appelé aussi nez. Les branches, posées sur les oreilles, assurent la stabilité des lunettes : équipées de charnières pour être repliées, elles sont munies à leur extrémité d'un embout ou manchon formant le crochet (partie recourbée et flexible) destiné à protéger la peau derrière l'oreille.
Dans une monture plastique, la face est constituée d'une seule partie. Dans une monture en métal, les verres sont montés au niveau du drageoir des cercles ménisqués. Sur le côté des faces sont fixées les charnières qui lient le cercle et la branche ou le tenon (appelé aussi oreille, cet élément s'ajoute au cercle pour que la largeur des lunettes soit équivalente à la largeur du crâne) et la branche. Le nez joignant les deux cercles sert éventuellement d'appui sur le nez (nez-pont, nez-selle ou 2 plaquettes).
La monture peut être faite de divers matériaux : acier, alliage de type maillechort ou cupro-nickel, plastique ou matériau naturel de type corne ou écaille. Il existe trois types de montage des verres :
monture classique ou « cerclée » : le cercle entoure totalement le verre ;
monture Nylor : le cercle n’entoure pas totalement le verre, qui est retenu par un fil de nylon très solide sur une partie du verre ;
lunettes percées dites « sans monture » : les branches et le pont sont reliés aux verres par un système de perçage.
Par le passé, il existait des lunettes sans branches (peu courantes aujourd'hui, sauf cas d'excentricité) :
le lorgnon monocle ;
le lorgnon binocle, appelé pince-nez lorsqu'il est maintenu sur le nez par un ressort ;
le face-à-main et la lorgnette de théâtre qui sont pourvus d'un manche.
Nettoyage des verres
Le rinçage à l'eau sans toucher les verres retire les particules. La mise de quelques gouttes de produit nettoyant entre le pouce et l'index d'une main permet d'appliquer sur les verres mouillés le produit sans crissement. Le rinçage à l'eau du produit puis le soufflage qui retire les gouttes d'eau permettent la propreté sans aucune rayure.
Le nettoyage avec toutes les sortes de tissu des verres correcteurs sont à l'origine des rayures à cause des frottements.
Histoire
De l'Antiquité au Moyen Âge
Dignitaire dominicain (Hugues de Saint-Cher) portant des lunettes pour la lecture, par Tommaso da Modena (1352), Trévise
Anachronisme de l'apôtre « aux lunettes » de Conrad von Soest (1404).
« Besicles clouantes » au Moyen Âge (1466), retable des 12 apôtres (Rothenburg, Allemagne)
Dès le I siècle, le philosophe Sénèque constate qu'un objet observé à travers un ballon de verre rempli d'eau apparaît plus gros. À la même époque, Pline l'Ancien décrit l'utilisation d'une émeraude par l'empereur Néron pour suivre les combats de gladiateurs ; il est possible que ce soit là une lentille optique pour corriger la myopie, mais l'usage de l'émeraude peut s'expliquer également par la croyance en la vertu de la couleur, voire de la pierre elle-même.
Le Moyen Âge voit se développer, dans les monastères en particulier, l'usage de la pierre de lecture, loupe grossissante posée sur le texte écrit, destinée à combattre les effets de la presbytie. Leur invention est parfois attribuée à Abbas Ibn Firnas, berbère andalou du IX siècle, connu pour avoir mis au point la technique de taille du cristal de roche. Les travaux d'Alhazen, fondateur de l'optique physiologique, autour de l'an mille, donnent un fondement scientifique à cette technologie. Son traité a été traduit en latin au XII siècle, peu avant l'invention des lunettes de correction de la vue en Italie, sans que le lien entre les deux évènements soit cependant clairement attesté. Avant d'être en verre, les « pierres de lecture » étaient réalisées en pierre semi-précieuse (lentille surfacée de béryl) ou en cristal de roche, la technique de fabrication du verre produisant encore trop de bulles et d'impuretés.
Le moine franciscain Roger Bacon s'appuie sur les travaux d'Alhazen pour expérimenter des « pierres de lecture » en verre : dans son Opus Majus de 1268, il apporte la preuve scientifique que le surfaçage particulier de verres lenticulaires permet d'agrandir les petites lettres. Son invention aurait été vulgarisée par les moines dominicains Spina et Giordano rencontrés lors de son séjour à Pise. C'est au XIII siècle à Florence que le physicien Salvino degli Armati met au point une paire de verres enchassée dans un cercle de bois, dont l'épaisseur et la courbure permettent de grossir les objets et les textes. La lunetterie et l'ophtalmologie se développent dès lors en Italie. Les premières besicles, lunettes sans branches et qui se fixent sur le nez, apparaissent à Venise à la fin du XIII siècle. Elles consistent en deux lentilles convexes rondes, en verre de Murano aux qualités optiques supérieures, enchâssées dans des cercles en bois, en corne ou en cuir, et attachées individuellement à des manchons rivetés par un clou : ces lourdes « besicles clouantes », principalement utilisées par les moines copistes, permettent ainsi la vision binoculaire mais n'améliorent que la presbytie. Les besicles clouantes symbolisent progressivement l'érudition, de nombreuses œuvres d'art représentant philosophes, moines ou médecins portant ces « clouants ». L’invention de l’imprimerie accroît la demande en lunettes. Au XV siècle, les besicles évoluent avec le remplacement du clou par un pont qui peut être en bois, en métal, en corne, en cuir, en écaille de tortue ou en fanon de baleine : ce sont les « besicles à pont arrondi ». Elles seront munies, dans les siècles suivants, d'un ruban noué derrière le crâne ou d'une ficelle autour de l'oreille pour assurer un meilleur maintien.
Après le Moyen Âge
Lunettes du XVI siècle
Le chef indien Raoni portant des lunettes.
Les verres concaves apparaissent pour les myopes à Florence en 1440 et leur première description se trouve dans l'ouvrage De Beryllo de Nicolas de Cues. En 1**5, Jacques Bourgeois améliore les besicles en imaginant des verres concaves d'un côté de l'œil et convexes de l'autre. En 1728, l'opticien anglais Edward Scarlett (en) crée les premières montures avec de courtes branches terminées par un anneau métallique (parfois recouvert de velours) qui se plaque sur les tempes : ces « lunettes à tempes » sont portées essentiellement par les nobles, les courtes branches permettant le retrait des lunettes sans déranger la perruque. Lorsque la perruque cesse d'être à la mode, Scarlett innove encore en rallongeant les branches et en les courbant aux extrémités de façon qu'elles se fixent derrière les oreilles : les lunettes modernes sont nées.
Les bourgeois quant à eux utilisent plutôt le binocle au XVII siècle puis le face à main au XVIII siècle, ce dernier étant concurrencé par le monocle et le pince-nez au XIX siècle. En France, sieur Thomin, miroitier lunetier parisien, fabrique en 1746 ces « lunettes à tempes » appelées « lunettes à tempes permettant de respirer à l'aise » car elles remplacent les pince-nez. Toutefois, leur pression provoque des maux de tête. En 1752, l'opticien anglais James Ayscough (en) crée les premières lunettes à verres teintés. Ce sont pour lui des lunettes correctrices et non des lunettes de soleil car il pensait que les teintes bleues ou vertes corrigeaient la vision. Elles sont munies de branches articulées par une charnière, ce qui diminue l'inconfort de la pression des branches sur le nez et les tempes. Ces lunettes dont les branches passent par-dessus les oreilles sont appelées « lunettes à oreilles ».
Les verres étaient ronds jusqu'à la fin du XVIII siècle, qui voit alors se développer la mode des verres ovales venue d'Angleterre : plus petits et de meilleure qualité optique, ces verres allègent considérablement la monture. Les lunettes à double foyer sont créées en Angleterre à la fin du XVIII siècle. En 1796, Pierre-Hyacinthe Caseaux maître-cloutier à Morez s'inspire des Anglais qui produisent déjà des montures en métal et adapte des techniques propres à l'art du métal pour réaliser une fine monture : du fil de fer encercle les verres et des tenons (faisant également office de charnière) soudés de chaque côté des cercles de la monture sont traversés par une vis qui permet de serrer les cercles autour du verre. Ces lunettes « fils » ont un grand succès et Morez est depuis devenue la capitale de la lunetterie française, représentant à elle seule 55 % de son chiffre d'affaires. Ensemble, les villes de Morez et Oyonnax, cette dernière étant spécialisée dans les montures plastiques, représentent 80 % de la lunetterie française.
Au XIX siècle, les lunettes se démocratisent mais sont encore jugées inesthétiques. Leur production en masse grâce à la mécanisation supplante désormais la fabrication artisanale jusqu'alors effectuée par des orfèvres et forgerons qui créaient des lunettes sur mesure ou en série et qui étaient vendues par des colporteurs. En 1825, le physicien George Airy invente les verres correcteurs corrigeant l'astigmatisme. Cinq cents ans après l'apparition des besicles fixées sur le nez, on voit apparaître aux alentours de 1840 des pince-nez plus légers. Portés par les femmes comme par les hommes, ces objets statutaires appelés aussi « lunettes en fil de fer de Nuremberg » sont populaires et portés jusque vers 1935. Les « lunettes à oreilles » sont vendues jusqu'en 1857, année au cours de laquelle l'opticien parisien Poulot invente le support nasal.
En 1959, Bernard Maitenaz crée Varilux, le premier verre progressif pour corriger la presbytie.
Au milieu des années 1950, le design fait son apparition dans le domaine de la lunetterie, qui fait alors appel aux plastiques dont le moulage et les propriétés se prêtent à l'inventivité des créateurs : la lunette n'est désormais plus simplement une prothèse médicale. Ce mouvement s'accentue dans les années 1980-1990, de nombreux designers lançant leur collection, et les lunettes deviennent un accessoire de mode, mêlant ergonomie et esthétique. Chaque année, les nouvelles collections de montures sont présentées lors de salons internationaux de l'optique, tels le SILMO à Paris ou le MIDO à Milan.
Avec le développement du dépistage, de la fatigue oculaire et le remboursement des lunettes par les mutuelles, leur marché est devenu important dans les pays développés. Ainsi selon l'UFC-Que Choisir, en France, 13 millions de paires de lunettes sont vendues en 2012, représentant un marché de 4,7 milliards d'euros (1,38 milliard pour les montures et 3,29 pour les verres) avec une fréquence de renouvellement moyenne de 3,5 ans et des marges importantes puisque la vente des équipements correspond à 3,3 fois leur prix d'achat par les magasins d'opticiens. Des niches à valeur ajoutés (options tels que verres durcis, amincis, traitement des verres antirelflet, antisalissure, antibuée) ou le développement de nouvelles niches (lunettes pour enfants) font que le marché de l'optique pèse dix fois plus que les dépenses de santé ophtalmologique.
Lunettes pour pays en voie de développement
Plus d'un milliard de personnes ont besoin de lunettes dans les pays en voie de développement. Mais, en Afrique subsaharienne, les opticiens sont rares : parfois un seul professionnel pour un million d'habitants. Joshua Silver, professeur de physique à l'université d'Oxford, a trouvé une solution : des lunettes adaptables à la vue et d'un coût de 13,7 euros. De l'huile de silicone est injectée ou retirée entre deux feuilles de plastique, jusqu'à ce que la vision soit nette. La correction peut même s'avérer meilleure qu'avec les lunettes préfabriquées du commerce. Joshua Silver prévoit de fournir ainsi un milliard de paires de lunettes d'ici 2020. Pour le moment, 30 000 sont utilisées en Afrique et en Europe de l'Est, les deux tiers d'entre elles étant distribuées par des programmes humanitaires.