La colère. Détail des « Sept péchés capitaux » Jérôme Bosch 1475-1480.
En psychologie, la colère est considérée comme une émotion secondaire à une blessure physique ou psychique, un manque, une frustration. Elle est l'affirmation de sa personne et sert au maintien de son intégrité physique et psychique, ou alors elle est l'affirmation d'une volonté personnelle plus ou moins altruiste. Une colère saine est sans jugement sur autrui. Parce qu'elle peut faire souffrir celui qui l'exprime, elle peut être considérée comme une passion.
Étymologie
En français, colère descend du grec kholê, la bile, dont vient également le nom choléra. L'obsolète théorie des humeurs soutenait jadis qu'elle était causée par l'échauffement de cette bile.
Biologie
La colère provoque plusieurs modifications physiologiques et mentale préparant le corps au mouvement et à la réaction. Elle se traduit par une augmentation de l'activité cardio-respiratoire, une accélération du rythme cardiaque et un afflux de sang, notamment dans la partie supérieure du corps, ce qui peut colorer la peau. La respiration devient ample et rapide, ce qui cause notamment la hausse involontaire du volume sonore lors de l'expression de la parole. La colère provoque aussi une contraction involontaire du corps dans son ensemble et en particulier des mains, qui tendent alors à se fermer en poing, ainsi du visage dont les sourcils se froncent, et les mâchoires se serrent, donnant une expression dure au visage. Les narines se dilatent pour s'adapter à un flux d'air plus important. Le sujet ressent un échauffement de la peau et le besoin d'agir. La colère, cependant, est le plus souvent de courte durée : ses signes s'effacent lorsque l'attention se centre sur un objet neutre et ses effets s'estompent.
Psychologie
La psychologie a bien montré, et expérimente chaque jour, les effets nocifs de la censure de la colère, qui enferme l'individu dans des zones de non-dits et parasite la relation à soi-même et aux autres. Il existe pourtant des expressions positives de la colère, qu'il est possible d'apprendre, de même qu'il est possible et souvent souhaitable d'accueillir la colère des autres. Pour mémoire, « chez les Inuits, la colère s'exprime toujours en public, les deux adversaires s'insultent, s'injurient, jusqu'à ce que les rires des spectateurs et spectatrices de cette joute, où aucun coup n'est échangé mais où aucun mot n'est censuré, les départagent. »
Si la colère est une forme d'expression licite contre l'indignation et l'injustice, elle est parfois incontrôlable. Face à un mal subi, l'homme en colère ne se contente pas alors de répondre par un mal équivalent, rétablissant une sorte d'ordre de droit égalitaire, mais rend facilement au centuple le mal qu'il a subi. Pour Albert Camus, « la révolte est le refus d'une part de l'existence au nom d'une autre part qu'elle exalte. Plus cette exaltation est profonde, plus implacable est le refus. Ensuite, lorsque dans le vertige et la fureur, la révolte passe du tout ou rien, à la négation de tout être et de toute nature humaine, elle se renie à cet endroit ». La colère, lorsqu'elle est aveugle et dévastatrice, devient de la fureur et génère de la peur.
Morale
Dans la tradition catholique, la colère fait partie des sept péchés capitaux, avec l'acédie (ou la paresse spirituelle), la gourmandise, l'orgueil, la luxure, l'avarice et l'envie.
Pour les bouddhistes, la colère fait partie des trois poisons de l'esprit, avec l'avidité, ou Trishna, et l'ignorance, ou Avidyā. Le 14e dalaï-lama précise que la colère étant passagère, comme les autres défauts de l'esprit, elle n'est pas inhérente. La colère est classée dans la catégorie des poisons mentaux ou émotions perturbatrices qui ne sont pas liés à des vues déformées ou croyances. Pour l'affaiblir, la méditation sur l'amour-tendresse en constitue un antidote contrecarrant. La colère a pour origine l'ignorance et l'intelligence confuse se fixant sur l’existence indépendante des phénomènes. Ainsi, pour éliminer la colère, la sagesse de la réalisation de l'absence d’ego en est l'antidote.
Mahakala à Dag Shang Kagyu.
Dans la tradition karma-kagyu, un rituel lié à Mahakala, « Éliminer la Colère par le Feu » (tibétain : སཌང་བ་རྣམ་སྲེག,Wylie : sDang ba rnam sreg) a été écrit par le 6 karmapa à la demande du 1er Gyaltsap Rinpoché.
Dans la pratique de la patience, confronté à la colère et l'agressivité dans la vie quotidienne, il est conseillé aux bouddhistes de s'efforcer ne pas répondre par la colère, en surmontant ses émotions, qui engendrent un karma négatif.
La voie du mahamoudra et du dzogchen expose la possibilité de transmuter les émotions comme la colère, sans l'exprimer ni la réprimer, en expérimentant son essence, la clarté dynamique de l'esprit, qui permet de réaliser la « clarté-vide ».
« Les dieux sont autocrates. Ils ont confisqué l'immortalité et la colère. Seul Dieu a le droit d'être en colère » : c'est l' ire de Dieu, un flot d'ouragan, un souffle torride qui balaye tout sur son passage.
« Un esclave, un domestique, un prisonnier, désormais un salarié, ne peuvent oser la colère, il en va pour eux de leur survie (physique ou professionnelle)". "Les ébauches de législation sur le harcèlement moral dans les entreprises viennent sans doute aucun de la disparition forcée et acceptée de l'expression de la colère sur les lieux de travail, de son caractère décrété tacitement impossible, impensable. » Dans le milieu familial, à l'école, la situation n'est guère différente.
Justice
Pour Lytta Basset l'injustice est un des mobiles de la colère et "une personne en colère est une personne qui n'a pas renoncé à la justice".. La question de la justice ne se pose que dans le champ des relations interpersonnelles : la colère constitue un formidable contre-pouvoir face aux idéologies de toutes sortes. Elle est un potentiel de transformation inter-individuelle, à condition de ne pas "casser" la relation.
Tant que la recherche de la justice mobilise un individu, le processus de justification est sous-jacent. Mais cela nécessite qu'une relation soit encore possible, que le sujet en colère ne s'enferme pas à l'intérieur d'elle, et qu'un Autre puisse l'accueillir. Si ce n'est pas le cas, le sujet se met en danger. La tentation de l'auto-justification est grande, nourrissant le soupçon qu'autrui a besoin d'un coupable. La culpabilité et le sentiment de culpabilité s'entremêlent, pour le meilleur et pour le pire. Si ce n'est pas le cas, la frontière précise entre l'auto-accusation et l'accusation réelle est mince, quelle que soit la légitimité de la colère. Le processus de justification se transforme alors en hostilité et en inimitié et celui du bouc émissaire entre en scène.
Philosophie
Dans la mythologie grecque, la Colère est engendrée par Ouranos et Gaïa, l'Air et la Terre Mère, qui donnent en même temps naissance à la Terreur, l'Habileté et la Dissension.
Aristote
Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.), qui a fondé l'école du Lycée et l'école des péripatéticiens, a consacré dans la Rhétorique un chapitre sur la colère : De ceux qui excitent la colère ; des gens en colère ; des motifs de colère.
Selon Aristote, toutes nos actions se rattachent nécessairement à sept causes diverses : le hasard, la contrainte, la nature, l'habitude, le calcul, la colère et le désir passionné. La colère, au même titre que le désir, est une passion (comme le sont aussi la pitié, la terreur, la haine, l'envie, l'émulation et la dispute).
La peur est absente pendant la colère. L'hyperbole est un mode d'expression courante pendant une colère.
Contrairement à la volonté qui est le désir d'un bien accompagné de raison, la colère est irraisonnée. Elle est un désir de vengeance, secondaire à une marque de mépris, et, comme tout désir de vengeance, elle s'adresse toujours à quelqu'un en particulier : On n'agit jamais avec colère contre une personne sur qui l'on ne peut exercer sa vengeance. Le plaisir qui l'accompagne vient de l'espoir de cette vengeance.
Par mépris, il faut entendre le dédain, la vexation et l'outrage. Le mépris n'assigne aucune valeur à celui qui en est l'objet. La vexation consiste à obtenir que la volonté d'autrui ne s'accomplisse pas. L'outrage est de causer de la honte à quelqu'un, et d'y trouver de la jouissance, en se fondant dans la croyance qu'il y a un avantage sur celui qui est déshonoré.
On pense devoir être honoré, de ceux qui sont inférieurs dans un système hiérarchisé (richesse, rang de naissance, pouvoir…) ou de ceux dont on croit devoir attendre un bon office. Ainsi on ne peut ressentir une colère contre ceux qui peuvent nous être supérieurs ; dans ce cas, ou bien on n'agit pas avec colère, ou bien on le fait d'une manière moins énergique.
La colère est le contraire du fait d'être calme. Le calme est un retour de l'âme à l'état normal et un apaisement de la colère.
Ce qui fait tomber la colère est l'acte de repentance, d'humiliation, ou le fait d'agir avec considération. On devient calme après avoir épuisé sa colère contre un autre. Ou lorsqu'une personne qui nous a fait du tort se trouve condamnée.
La colère a son origine dans ce qui nous touche personnellement, tandis que la haine est indépendante de ce qui se rattache à notre personne. La colère peut guérir avec le temps, pas la haine. La haine s'attaque plus à une classe de gens. La colère s'accompagne de peine, non la haine. La colère peut porter à la haine. La colère, comme l'inimitié, peut inspirer la crainte, par le pouvoir et la volonté qu'elle procure. Il y a de l'assurance dans le sentiment de la colère, du fait de l'impression de subir une injustice.
Sénèque
Sénèque (v. 4 av. J.-C. - 65 ap. J.-C.) est un philosophe stoïcien qui, comme tel, prône le contrôle des passions et l'appui de la raison contre les influences brutales des émotions. Son traité De la colère (De Ira) explicite sa position de stoïcien sur la passion de colère. Il la considère comme une folie temporaire, nuisible et dangereuse, commune aux femmes, aux hommes et aux enfants, qui au lieu de s'opposer au mal et à l'injustice, peut y pousser. En cela, elle n'est pas noble car elle ne pousse pas uniquement à la justice et n'est pas une émotion raisonnable et raisonnée. Parce qu'elle obscurcit le jugement et remplace la considération raisonnée, elle peut également mener à la peur ou à la cupidité et détourner l'homme de son but. De plus la colère n'est pas apaisée par la vérité et peut au contraire y trouver de nouveaux griefs.
Sénèque n'accorde de plus aucune valeur militaire à la colère où elle ne supplée pas au courage, mais fait au contraire remarquer que malgré leur férocité et leur furie, les troupes germaniques sont régulièrement défaites par l'armée romaine professionnelle et disciplinée. Il s'oppose à toute prise de décision sous son influence et déconseille d'accéder aux désirs des enfants qui s'emportent.
Tradition chrétienne
Évagre le Pontique
Évagre le Pontique est le premier à définir la colère comme un péché capital, c'est-à-dire source d'autres péchés. On lit par exemple, dans une formulation empruntée largement au stoïcisme (voir le commentaire de l'éditeur) : « La colère est une passion très prompte. On dit, en effet, qu'elle est un bouillonnement de la partie irascible et un mouvement contre celui qui a fait du tort ou paraît en avoir fait. » Ce tort causé engendre d'abord une autre passion, la tristesse, d'où procède donc la colère. On lit ainsi : « Ne t'abandonne pas à la pensée de la colère, en combattant intérieurement celui qui t'a contristé, ni à celle de la fornication, en imaginant continuellement le plaisir. D'un côté, l'âme est obscurcie, de l'autre, elle est invitée à laisser s'embraser sa passion; dans les deux cas, l'intellect est souillé… comme un chien fait d'une jeune biche. »
Mais de manière générale, comme on le voit aussi dans la tradition latine à la suite de Cassien, la tristesse est placée après la colère : « La tristesse… provient des pensées de la colère; en effet, la colère est un désir de vengeance, et la vengeance non satisfaite produit la tristesse. » La clef du succès contre cette passion est de mépriser aussi bien la gloire que l'infamie:
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Il faut prendre soin des passions, et ainsi nous surmonterons facilement les pensées. Par exemple, contre la fornication (utiliser) épuisement du corps, jeûne, veille, retraite; contre la colère et la tristesse, mépriser la matière, la gloire et l'infamie.
Une seule colère est légitime : « Il n'y a pas de colère juste, sauf celle qui est dirigée contre les démons; les autres (colères) sont contre nature; car "pour ceux qui font preuve de toute douceur envers tous les hommes" (Tite 3, 2) se mettre en colère est contre nature. »
Thomas d'Aquin
Thomas d'Aquin, 1225, 1274 est un philosophe scolastique, fondateur du thomisme. Dans le traité la Somme théologique, il a consacré trois questions à la colère : Partie 2a, Questions 46, 47 et 48.
Baruch Spinoza
Les doctrines de Baruch Spinoza, 1632-1677, font partie des courants du Rationalisme, du Panthéisme et de l'Eudémonisme. La philosophie classique des affects ou sentiments distingue la colère de la haine. En effet, Spinoza définit la haine (odium) comme une tristesse accompagnée de l'idée d'une cause, donc ce qui correspondrait à un mécontentement attribué à un objet précis tandis que la colère (ira) est définie comme l'effort de causer du mal à l'objet de notre haine. « Mal », ici signifie tout ce que nous imaginons pouvoir diminuer notre puissance d'exister propre. Spinoza rejoint en ce sens le stoïcien Cicéron qui définissait la colère comme « désir (libido) de punir celui qui semble nous avoir causé un dommage injustement ». La colère serait alors la conséquence immédiate de la haine, elle-même causée par différents sentiments négatifs comme la sensation d'être menacé, une offense, une humiliation, etc. Et en tant que désir de faire subir un mal à ce qui nous en a fait subir auparavant, elle est à son tour cause de violence, de conflit, puis de haine et de colère en retour.
Spinoza oppose à la colère l' animositas, non pas l'animosité dans le sens de colère ou hostilité durable contre une personne, mais d'"ardeur, fermeté, courage". Avec la générosité, il fait de l'animositas une des deux vertus fondamentales ou forces de l'âme.
Pour lutter contre tout ce qui peut nous détruire, Spinoza oppose à la colère aveugle, le courage de l' animositas, «désir qui porte chacun de nous à faire effort pour conserver son être en vertu des seuls commandements de la raison. »
Dans la fiction
Les premiers mots du Chant I de l'Odyssée introduisent le récit fondateur comme un chant sur la colère d'Achille ("Mênin aiede, thea, Peleiadeo Achileos") :
« Chante, déesse, la colère d'Achille, fils de Pélée ; détestable colère, qui aux Achéens valut des souffrances sans nombre et jeta en pâture à Hadès tant d'âmes fières de héros, tandis que de ces héros mêmes elle faisait la proie des chiens et de tous les oiseaux du ciel - pour l'achèvement du dessein de Zeus »
— Odyssée, chant I, v. 1-5, trad. Paul Mazon, éd. Belles Lettres, 1937).
Dans le manga Fullmetal Alchemist de Hiromu Arakawa, l'un des sept Homonculus représente la colère. Son nom est Wrath, qui signifie « Colère » en anglais.
Dans le manga Judge de Yoshiki Tonogai, Ryuhei - le jeune homme au masque de cheval - représente la colère.
Dans la saga de la "Guerre des Étoiles" de George Lucas, la colère est considérée comme étant une composante du chemin vers le Côté Obscur de la Force.
Dans le manga Seven Deadly Sins (ce qui signifie « Les sept péchés capitaux » en français) de Nakaba Suzuki, le personnage principal, Meliodas, représente le péché de la colère, symbolisé par un dragon tatoué sur son corps.