En mathématiques, une fonction multivaluée (aussi appelée correspondance, fonction multiforme, fonction multivoque ou simplement multifonction) est une relation binaire quelconque, improprement appelée fonction car non fonctionnelle : à chaque élément d'un ensemble elle associe, non pas au plus un élément mais possiblement zéro, un ou plusieurs éléments d'un second ensemble. On peut néanmoins voir une multifonction comme une fonction classique prenant ses valeurs dans l'ensemble des parties du second ensemble. Par contraste, si l'image de chaque point est un singleton, on dit que la fonction est univoque.
Un exemple simple de fonction multivaluée est la fonction réciproque d'une application non injective : à tout point dans son image on fait correspondre l'image réciproque formée des antécédents de ce point.
Les fonctions multivaluées apparaissent en analyse complexe où l'on peut en considérer des déterminations, c'est-à-dire des restrictions sur ces relations qui en font des fonctions et qui permettent de calculer certaines intégrales réelles par le biais du théorème des résidus comme ce sera illustré plus bas ; l'utilisation en est cependant malaisée et a été remplacée par la considération plus abstraite de fonctions (univaluées) sur des surfaces de Riemann.
Les multifonctions se rencontrent également en analyse convexe et non lisse : les cônes tangent et normal à un ensemble, le sous-différentiel d'une fonction, un processus convexe sont des multifonctions. Cette observation et d'autres ont donné une nouvelle impulsion au développement de l'analyse multifonctionnelle (voir la bibliographie).
Exemples
La racine carrée
Dans les réels, à chaque élément positif x, la relation "racine carrée" fait correspondre deux éléments et avec . On se restreint de manière habituelle à la valeur positive pour avoir alors la fonction racine carrée.
Dans les complexes, en définissant un élément z du plan complexe par avec l'argument de z, les racines carrées de z sont les nombres () donnés par :
-
-
on vérifie en effet que puisque vaut l'unité pour tout entier k.
Le logarithme complexe
En définissant un élément z du plan complexe comme précédemment, le logarithme complexe de z sont les nombres () donnés par :
-
on vérifie en effet que puisque, comme précédemment, vaut l'unité pour tout entier k.
Définitions
Multifonction
Soient et deux ensembles. Une multifonction est une application qui à un élément fait correspondre une partie de . Il s'agit donc d'une fonction de dans l'ensemble des parties de .
Ce n'est cependant pas le point de vue de fonction à valeurs dans qui prime dans certaines définitions. Ainsi, on appelle graphe de le graphe de cette relation binaire, c'est-à-dire la partie de , et non pas de , suivante
En fait, toute partie de est le graphe de la multifonction définie par . Il y a donc une bijection entre les multifonctions et les parties de .
Domaine, image, sélection
Le domaine — ou ensemble de définition — et l'image — ou ensemble des valeurs (ou ensemble des images) — de se définissent respectivement par
où et sont les projections canoniques sur et .
L'image d'une partie est définie par
Clairement, .
Une sélection de est une fonction telle que, pour tout , on a .
Multifonction réciproque
La multifonction réciproque de la multifonction est sa relation binaire réciproque, définie en par
Pour et , on a
ce qui s'exprime aussi par
Ceci permet de voir que
et pour une partie :
Quelques multifonctions particulières
Si et sont des espaces topologiques, on dit qu'une multifonction est fermée si son graphe est fermé dans l'espace topologique produit .
Si et sont des espaces vectoriels réels, on dit qu'une multifonction est convexe si son graphe est convexe dans l'espace vectoriel produit .
Si et sont des espaces vectoriels réels, on dit qu'une multifonction est un processus convexe si son graphe est un cône convexe pointé dans l'espace vectoriel produit .
Si est un espace préhilbertien dont le produit scalaire est noté , on dit qu'une multifonction est un opérateur monotone s'il vérifie la propriété de monotonie suivante : pour tout et tout .
Analyse multifonctionnelle
L'analyse multifonctionnelle s'intéresse à l'étude des multifonctions, à leur hémicontinuité, à leur caractère borné, à leur lipschitzianité, aux multifonctions polyédriques, à la recherche de leurs zéros (des points qui contiennent zéro dans leur image), etc.
Certaines propriétés s'étendent naturellement aux multifonctions, comme la convexité, l'ouverture, la monotonie, l'accrétivité, etc.
Théorème de l'application ouverte pour les multifonctions
Soient et des espaces de Banach, dont on note respectivement et les boules-unités ouvertes, et une multifonction.
Le résultat ci-dessous affirme que si est une multifonction convexe fermée et si est intérieur à son image , alors est intérieur à l'image par de toute boule ouverte centrée en un point arbitraire de l'image réciproque de par On retrouve bien le théorème de l'application ouverte dans le cas où est une application linéaire continue (d'où son nom), lequel affirme que est intérieur à l'image de la boule-unité . En effet, dans ce cas est une multifonction convexe (son graphe est un sous-espace vectoriel) et fermée (sens évident du théorème du graphe fermé), est bien dans l'intérieur de (car est surjective) ; le théorème ci-dessous affirme alors que est intérieur à l'image par de toute boule de rayon non nul centrée en (ou tout autre point de d'ailleurs). On note l'intérieur d'une partie
Théorème de l'application ouverte pour les multifonctions — On suppose que et sont des espaces de Banach, que est une multifonction convexe et fermée et que Alors
Multifonction ouverte ou métriquement régulière
Soient et des espaces de Banach, dont on note respectivement et les boules-unités ouvertes, et une multifonction.
On dit que est ouverte en , avec un taux , s'il existe un rayon maximal et un voisinage de dans , tels que pour tout et tout , on a
Pour une application convexe, on peut se restreindre à une condition en seulement.
est ouverte en ,
il existe et tels que .
Pour une application convexe fermée, le théorème de l'application ouverte permet de simplifier encore l'expression de l'ouverture de en .
est ouverte en ,
.
Ce concept d'ouverture d'une multifonction est en réalité identique à celui de régularité métrique.
On dit que est métriquement régulière en , avec un taux , s'il existe un voisinage de dans , tels que pour tout , on a
On rappelle que la distance à un ensemble est définie par, et que celle-ci vaut si .
est métriquement régulière en avec un taux ,
est ouverte en avec un taux .
Déterminations
Pour la racine carrée complexe et le logarithme complexe, on appelle détermination une restriction sur l'argument de la valeur correspondante. Plus explicitement, une détermination pour la racine carrée est donnée par :
-
avec un angle quelconque caractérisant la détermination.
De même, une détermination pour le logarithme complexe est donnée par :
-
On appelle détermination principale du logarithme la restriction de l'argument à l'intervalle semi-ouvert ]–π, π].
Remarquons que, à une détermination près, la fonction racine carrée complexe et le logarithme complexe sont des fonctions holomorphes sur tout le plan complexe excepté la demi-droite partant de l'origine et d'angle par rapport à l'axe des abscisses. Dans le cas de la détermination principale, les deux fonctions sont holomorphes sur . La discontinuité sur l'axe réel négatif est illustrée sur les deux figures ci-dessous.
Détermination principale
Figure 1 : Illustration de la détermination principale du logarithme complexe.
Figure 2 : Illustration de la détermination principale de la racine carrée complexe.
Application au calcul d'intégrales réelles
Considérer une détermination particulière permet, en s'aidant du théorème des résidus, de calculer certaines intégrales réelles qu'il serait autrement ardu de calculer.
Remarque : la relation suivante est souvent utilisée comme ce sera illustré dans l'exemple ci-dessous : .
Exemple avec le logarithme complexe
Figure 3
: Illustration du contour
(en bleu) employé pour le premier exemple. Les deux pôles simples
±i sont représentés en rouge. La partie
représente le cercle extérieur de rayon
R, la partie
représente le demi-cercle intérieur de rayon
.
sont les deux segments restants.
Problème : calculer l'intégrale suivante :
-
pour .
Solution : en considérant le contour illustré à la figure 3 ainsi que la détermination suivante du logarithme :
-
(le contour « entoure » donc la discontinuité de la détermination que nous avons choisie), on obtient :
Développement La fonction f définie par a deux pôles simples () tous deux d'indice +1 par rapport à (pour et ). À la limite et , le théorème des résidus nous donne donc : En décomposant l'intégrale curviligne en ses quatre parties principales et en appliquant le lemme d'estimation pour montrer que l'intégrale le long de et celle le long de tendent vers zéro à la limite, il reste : En utilisant la détermination choisie ci-dessus, on a À la limite , le long du chemin , l'argument tend vers zéro ; le long du chemin , l'argument tend vers , on a donc : et On a donc : Il nous reste à calculer via les résidus de la fonction en : et où l'on a utilisé que, dans la détermination choisie, l'argument de +i (resp. –i) est (resp. ). On obtient donc : et finalement pour : Cette formule reste vraie pour , par passage à la limite ou par un calcul classique.
Exemple avec la racine carrée complexe
Figure 4 : Illustration du contour (en bleu) employé pour le second exemple. Les deux points de branchement sont représentés en rouge. Le pôle simple restant (l'origine) est représenté en vert. représente le cercle extérieur de rayon R, et son homologue représentent les demi-cercles intérieurs de rayon , les sont les segments restants.
Problème : calculer l'intégrale suivante par la méthode des résidus :
-
(la fonction est uniformisée par la coupure le long de l'axe réel reliant à -1 et 1 à .)
Solution : l'intégrande a une primitive (à savoir ) et on a donc immédiatement . On obtient ce même résultat en considérant le contour illustré à la figure 4 ci-contre et en utilisant :
-
Pour le premier terme du produit, on considèrera la détermination suivante :
-
,
pour l'autre, on considérera la détermination principale :
-
.
sous ces déterminations, la fonction est holomorphe sur .
Développement La fonction f définie par a trois singularités : les deux points de branchement (±1) et le pôle simple (l'origine) qui est la seule singularité d'indice non nul par rapport au contour ; à la limite et , le théorème des résidus nous donne donc : et , on a donc En décomposant l'intégrale curviligne en ses sept parties principales et en appliquant le lemme d'estimation pour montrer que l'intégrale le long de , et tendent vers zéro à la limite, il nous reste : à la limite , le long du chemin , l'argument tend vers zéro pour les deux déterminations, le long du chemin , l'argument tend vers (resp. zéro) pour la première détermination (resp. la détermination principale), le long du chemin l'argument tend vers pour les deux déterminations et pour , l'argument tend vers (resp. ) pour la première détermination (resp. la détermination principale). On a donc en notant symboliquement (resp. ) l'argument dans la première détermination (resp. la détermination principale) : avec pour la partie . On a de même : avec , et . Finalement on a aussi : où on a utilisé dans les deux égalités précédentes que la fonction est paire et que l'intégrale sur est égale à l'intégrale sur . On a donc : et finalement, ainsi que prévu.
Surfaces de Riemann
Surface de Riemann associée à la fonction racine carrée.
La théorie peu opérante des fonctions multivaluées pour les fonctions de la variable complexe est remplacée dans les mathématiques modernes par le concept plus abstrait de fonction (univaluée) définie sur une surface de Riemann.
Ce point de vue consiste à considérer le domaine de définition d'une fonction multivaluée comme un objet plus élaboré que le plan complexe : une variété complexe de dimension 1.