Le yaourt, yahourt, yogourt ou yoghourt, est un lait fermenté par le développement des seules bactéries lactiques thermophiles Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus et Streptococcus thermophilus qui doivent être ensemencées simultanément et se trouver vivantes dans le produit fini. C'est la définition officielle française depuis 1963 précisée par le décret de 1988. D'un pays à l'autre, les législations peuvent cependant différer.
Il fait partie des nombreux types de laits fermentés, et sont introduit par les Turcs Seldjoukides dès le début du XI siècle au Moyen-Orient, puis dans les Balkans par les Ottomans dès le XIV siècle. Très populaire encore aujourd'hui, il est fait maison par de nombreuses familles dans les pays turcophones (Turquie, Azerbaidjan, Kazakhstan...), dans les Balkans (Bulgarie, Turquie, Roumanie, Grèce...) mais aussi au Proche-Orient (Syrie, Irak, Liban...). Sa standardisation et sa production industrielle dans la seconde moitié du XX siècle, en ont fait un produit de grande consommation dans de nombreux pays du monde.
Dans les pays développés, ce mets naturellement acide est souvent additionné de sucre et de fruits pour être consommé en dessert ou au petit-déjeuner.
Spécificités du yaourt
En France, le terme « lait fermenté » est réservé à un produit à base de lait qui a subi une fermentation lactique aboutissant à la formation d'un gel. Il doit être distingué du « fromage frais à fermentation lactique » par le fait qu'il n'y a pas de fragmentation du gel suivie d'un égouttage, afin d'éliminer en partie la phase aqueuse.
Les premières productions de lait fermenté ont été faites à partir de fermentations spontanées dues au développement de la microflore naturellement présente dans le lait frais, les outres en peau de chèvre et l'environnement. Les agents de la fermentation sont principalement des bactéries lactiques qui transforment les sucres du lait en acide lactique. L'acidification du milieu déstabilise les agrégats de protéines en suspension aqueuse et entraine la formation d'un gel (le caillé). Mais la fermentation peut être aussi affectée par les micrococcus, les corynéformes, les levures et les moisissures. D'une région à l'autre, la très grande diversité des souches fermentaires et des techniques de fabrication artisanale conduit à des produits de goût, de couleur et de texture très différents. Les bactéries lactiques de nombreux genres ont été identifiées dans les laits fermentés traditionnels (Lactobacillus, Lactococcus, Leuconostoc, Pediococcus, Streptococcus, et Bifidobacterium) mais aussi des bactéries pathogènes comme Escherichia coli, Staphylococcus aureus ou Listeria monocytogenes.
Dans la seconde moitié du XX siècle, lorsque les yaourts sont devenus des produits de grande consommation vendu sur un marché de plus en plus large, le besoin s'est fait sentir de savoir à quoi référait de manière précise et constante l'étiquette « yaourt ».
Si en France, pour avoir droit à l'appellation de yaourt, le produit doit être ensemencé avec les bactéries lactiques Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus et Streptococcus thermophilus qui doivent se retrouver vivantes dans le produit consommé, la réglementation prévoit toutefois que le yaourt peut aussi contenir des morceaux de fruits, du sucre, du miel, des arômes... à raison de moins de 30 % du produit final.
Les produits laitiers contenant des additifs (colorants), des agents de texture (émulsifiants, stabilisants, épaississants ou gélifiants (amidon, pectine, gélatine)), ou ayant subi un traitement thermique après la fermentation, tuant les bactéries lactiques, n'ont plus droit à l'appellation « yaourt ». Ce sont les « laits fermentés aromatisés », « boissons à base de lait fermenté », et « laits fermentés ayant subi un traitement thermique après fermentation » et « boissons à base de lait fermenté ayant subi un traitement après fermentation ».
Le yaourt est un produit vivant très différent des produits traités thermiquement (étuvés ou pasteurisés) dont on allonge la durée de conservation en inactivant leur flore bactérienne. L'intérêt d'avoir un produit vivant tient au fait que les cultures vivantes améliorent la digestion du lactose chez les individus ayant des difficultés à les digérer.
De nombreux pays n'ont pas adopté cette réglementation restrictive et autorisent l'ajout d'additifs et d'autres micro-organismes ou des traitements thermiques postfermentations. Toutefois, la tendance ces dernières années est de considérer que la dénomination de « yaourt » ne peut s'appliquer qu'à un produit fini contenant des ferments actifs, comme on l'a vu d'une part au niveau des échanges mondiaux (Codex Alimentarius, 2002) et d'autre part au niveau des pays de l'Union Européenne (résolution adoptée en 2009)
Plusieurs laits fermentés traditionnels sont appelés yaourt, bien que les bactéries lactiques entrant dans leur fabrication ne soient pas les mêmes que celles du yaourt (Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus et Streptococcus thermophilus).
Étymologie
On dénombre environ quatre cents dénominations différentes des laits fermentés dans le monde : yoghourt (yoğurt) en Turquie, yaourti (γιαούρτι) en Grèce, kisselo mlyako (Кисело мляко) en Bulgarie, kisselo mleko (Кисело млеко, qui signifie lait acide) en Serbie et Macédoine, viili en Finlande, zabade en Égypte, rayeb (رَآيب) au Maghreb et Proche-Orient, madzoun en Arménie, mast (ماست) en Iran, dahi (दही) en Inde, katyk (et l’airag fait avec le lait de jument) en Mongolie... Hormis la plupart des langues européennes qui ont emprunté leur vocable au turc yoğurt, les autres langues utilisent des termes sans parenté indiquant probablement des créations locales indépendantes.
Le terme yogourt est un emprunt au turc yoğurt, mot qui lui-même dérive du verbe obsolète turc yoğmak signifiant « cailler, coaguler », yogourt signifie donc « caillé ». La lettre ğ était traditionnellement rendue par gh dans les translittérations latines d'avant 1928, époque où l'alphabet arabe fut abandonné pour l'alphabet latin-turc. En turc moderne, cette lettre est élidée devant une voyelle arrière, donnant ainsi la prononciation /joˈuɾt/, ce qui adapté au français a donné yaourt.
La première mention en turc médiéval du terme yoğurt date de l'année 1070, époque où le terme apparaît dans deux ouvrages qui décrivent l'usage du yaourt par des populations turques nomades.
En français, le terme de yogourt apparaît sous la plume de Bertrandon de la Broquière, un voyageur intrépide qui dans les années 1432-1433, après avoir visité Jérusalem, entreprend de faire le chemin de retour par voie de terre, déguisé en Turc. Dans son ouvrage "Le voyage d'outremer", il écrit : « Les Turquemans nous baillerent une grande telle de lait quaillié qu'ils appellent yogourt ».
Histoire : des laits fermentés aux yaourts
Néolithique : les premiers laits fermentés
L'histoire du yaourt remonte à celle des laits fermentés, obtenus par la fermentation spontanée des micro-organismes naturellement présents dans le lait, les outres ou l'environnement.
Depuis le Néolithique et le début de l'élevage, soit vers 8500 ans avant notre ère, les éleveurs se sont aperçus que le lait caillait spontanément sous l'influence de ses propres bactéries ou sous celle d'enzymes lorsqu'il était conservé dans des outres fabriquées avec des estomacs de bovins (par l'action de la présure). La maîtrise de la fermentation lactique permettait de conserver les laitages sans altération et d'offrir des boissons rafraîchissantes ou des aliments faciles à transporter comme le fromage (après égouttage du caillé).
Ces laits fermentés, qui existent depuis des millénaires, étaient alors confectionnés à partir de lait de jument, d'ânesse ou de chamelle.
Origine au Moyen-Orient et dans les Balkans
Même si l'origine exacte des laits fermentés est difficile à établir, les données archéologiques et historiques de l'Antiquité incitent à penser qu'elle se situe dans la zone allant du Moyen-Orient aux Balkans (Tamine et Robinson, 1999, chap.5, p. 306).
Les premiers témoignages archéologiques des techniques de fermentation lactique sont des poteries à trous avec des traces de lait caillé datant de 7000 avant notre ère (av. n.e.), des bas-reliefs sumériens (de 3000 av. n.e.) et des tombes égyptiennes (datées de 2350-2200 av. n.e.). Un bas-relief du sarcophage de la reine Kaouit (XIe dynastie égyptienne) représente un petit personnage en train de traire une vache, avec un petit veau attaché à sa patte avant, pour le tenir à l'écart de la mamelle.
Ainsi, il existe des preuves de l’existence de produits laitiers fermentés dans un but alimentaire depuis au moins le III millénaire av. n.e.
Dès le VIII siècle avant notre ère, en Grèce, Homère rapporte dans l'Odyssée que le cyclope, après avoir trait avec soin les brebis et les chèvres bêlantes « fit cailler la moitié du lait, éclatant de blancheur, le recueillit et le déposa dans des corbeilles de jonc ; puis, il versa l'autre moitié dans des vases, pour la boire ensuite et en faire son repas du soir », évoquant ainsi le caillé (résultant probablement d'une fermentation spontanée) et le petit-lait.
Au V siècle avant notre ère, Hérodote décrit une technique des Scythes, consistant à « remuer et agiter » le lait dans des vases de bois, pour séparer le beurre du babeurre.
Outre en peau de chèvre, guerba, pour conserver le lait et baratter le lait caillé (Aurès, Algérie)
Les premiers témoignages évoquant les yaourts tels qu'on les connaît remontent au I siècle avec les descriptions de Pline. Dans ses écrits encyclopédiques, Pline l'Ancien avait remarqué que certaines tribus savaient « faire prendre le lait pour en former une liqueur d'une acidité agréable ». Il la décrit comme une "essence divine" servant de remède à de nombreux maux.
Les premiers laits fermentés résultent probablement d’une fermentation spontanée, comme la fabrication traditionnelle du rayeb au Proche-Orient peut nous le laisser penser : le lait fraîchement trait est laissé dans un vase en terre à l'air libre jusqu'à ce qu'il caille (tourne) spontanément (en 24 à 72 heures selon la température du local). Il est ensuite conservé dans une outre en peau de chèvre et additionné de sel marin. Un morceau de ce vieux « caillé spontané » peut servir ensuite à ensemencer du lait tiédi. Par ré-ensemencements successifs, les souches les plus aptes à supporter la compétition d'autres micro-organismes et capables de donner les meilleurs produits dans une région donnée ont été sélectionnées.
« Aujourd'hui, plusieurs pays prétendent être les inventeurs du yaourt, mais aucune donnée claire ne permet de le savoir et il est possible qu'il ait été découvert indépendamment plusieurs fois » (Yildiz, 2010).
Rapide essor mondial à la fin du XX siècle
Le yaourt fait sa première apparition en France grâce à François I, qui souffrait de problèmes digestifs, et qui en aurait été guéri en 1542, grâce à un « yaourt » à base de lait de brebis préparé par un médecin turc, envoyé par Soliman le Magnifique, son allié diplomatique. Le roi fut guéri mais le médecin refusa de livrer son secret de préparation et son usage fut sans lendemain. Il semble qu'en Europe, avant le XX siècle, seuls les Balkans (Bulgarie, Grèce) et les pays Scandinaves (depuis l'époque des Vikings) consommaient couramment le yaourt.
Il fallut attendre plus de 400 ans et la découverte des micro-organismes à l'origine des fermentations par Pasteur, pour que le yaourt fasse son retour en France.
Stamen Grigorov, un jeune chercheur bulgare, découvre en 1905 à Genève, dans des échantillons de yaourts provenant de son pays, la bactérie qui donne l'acidité au yaourt (par transformation du sucre du lait, le lactose, en acide lactique). Invité à l'Institut Pasteur à Paris, Stamen Grigorov présente ses travaux qui reçoivent un accueil favorable. Elie Metchnikoff se charge de vérifier la découverte et de la présenter à la communauté scientifique, ce qu'il fait trois ans plus tard devant l'Académie des sciences. Le micro-organisme est appelé Bacillus bulgaricus Grigorov, puis renommé Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus, nom toujours utilisé aujourd'hui.
Parallèlement, Élie Metchnikoff (1845-1916), Prix Nobel de physiologie ou médecine en 1908 et vice-directeur de l'Institut Pasteur, s'intéresse à la population des Balkans consommatrice de yaourt. Le scientifique s’interroge alors sur le lien attribuant au yaourt la longévité des montagnards en Bulgarie. Son idée était que l'on peut annuler les effets pathogènes de certaines bactéries par l’absorption de bactéries lactiques provenant de lait aigri, de yahourth des Balkans, de prostokwacha russe etc (suivant ses propres termes). Il découvre les effets positifs du yaourt sur les désordres intestinaux des nourrissons. Ces hypothèses éveillèrent un intérêt totalement nouveau pour les effets bénéfiques sur la santé de micro-organismes vivants apportés par les aliments, intérêt qui ne s'est toujours pas démenti puisque le nombre d'études sur les probiotiques ne cesse d'augmenter depuis deux décennies.
Si la notoriété de Metchnikoff contribua à faire reconnaître la valeur nutritive du yaourt, ce sont deux industriels (venus eux aussi s'installer en France comme Metchnikoff), Aram et Carosso, qui en firent un produit de grande consommation, fabriqué non plus à la maison mais en usine.
En 1912, un arménien d'Istanbul, du nom de Deukmedjian Aram, après avoir fait ses études à la Sorbonne à Paris, ouvre un restaurant Au rendez-vous des étudiants associé à une boutique « Cure de yogourt », au 8 rue de la Sorbonne. Pour sa spécialité de yogourt Aram, il obtient le label du savant de l'Institut Pasteur « seul fournisseur du P Metchnikoff ». En 1921, Aram décide de passer au stade supérieur et investit dans une usine de fabrication de yaourts à Montrouge. Plusieurs fois médaillé, il contribue à faire connaître les bienfaits du yaourt. Mais celui-ci reste surtout considéré comme un préparation à visée thérapeutique vendu en pharmacie.
Publicité pour le yoghurt et kéfir Danone en 1919
Comme Aram, Carosso est lui aussi, à l'origine, un sujet de l'Empire ottoman. Venu s'installer à Barcelone, Isaac Carasso, ouvre dès 1919, en Espagne, un atelier de fabrication en utilisant des ferments issus de l'Institut Pasteur. Les yaourts ainsi produits sont vendus dans les pharmacies comme préparations médicinales. Ils portent le nom de « Danone », inspiré de Danon, diminutif affectueux donné par Isaac Carasso à son fils Daniel. Après des études en France, ce dernier fonde en 1929 la Société du yoghourt Danone. Sur un petit terrain acquis à Levallois, il construit une usine et « comme en Espagne, la vente des yaourts Danone se fit, avec des arguments commerciaux de santé, [et] une bonne petite place dans les pharmacies de la région parisienne... Les premiers récipients à yaourt étaient en porcelaine, la partie intérieure colorée en marron, le reste en blanc crème ». Puis, il installe une première boutique de vente et lance le premier yaourt aux fruits en 1937. Dans les années cinquante, les yaourts parfumés sont vendus dans des pots en carton. En 1963, c'est au tour du yaourt brassé auquel seront ajoutés des fruits l'année suivante.
La marque Danone fait également une percée aux États-Unis sous le nom de Dannon. La fabrication du yaourt y est également reprise par la compagnie General Mills.
À partir des années 1950, la consommation de yaourt na va pas cesser de croître en Europe, en Amérique et va même finalement atteindre l'Asie Orientale, réputée lactophobe. Jusqu'à la fin du XX siècle, les produits laitiers ne faisaient pas partie du régime alimentaire canonique des Chinois, composé de riz et de blé, accompagnés de légumes et de viande. Mais ces deux dernières décennies, on a assisté à un bond spectaculaire de la consommation des produits laitiers dans les grandes villes chinoises.
En Chine, le yaourt a été introduit au début des années 1990 par Danone.
En mars 2015, l'Autorité de la concurrence française impose une amende de 192 millions d'euros au cartel du yaourt.
Fabrication
Yaourtière pour fabriquer des yaourts à la maison
À l'heure actuelle, en Occident, la fabrication du yaourt s'effectue artisanalement, à la maison ou industriellement.
Le yaourt est fabriqué à partir de lait (entier, demi-écrémé ou écrémé), généralement de vache mais aussi d'autres mammifères : brebis, chèvre, etc. Ce lait est pasteurisé, et souvent enrichi avec du lait en poudre. Le yaourt aura ainsi une teneur en protéines et en calcium plus importante que du lait normal.
Les protéines du lait jouent un rôle essentiel dans la coagulation à la base de la formation du yaourt et des fromages. Il faut distinguer deux grandes catégories :
les caséines, rassemblées en agrégats nommés micelles. Elles représentent la majorité des constituants protéiques (82 % pour le lait de vaches). Ce sont elles qui seront déstabilisées par l'acidification du milieu lors de la fermentation et qui permettront la coagulation ;
les protéines sériques (ou protéines solubles) qui ne précipitent pas sous l'effet de l'acidification.
En production industrielle, le processus de fabrication est divisé en quatre grandes phases. Selon le type de yaourt désiré, yaourt ferme ou brassé, l'étape de la fermentation se situe différemment par rapport à celle du conditionnement.
Diagramme de fabrication du yaourt, à gauche yaourt ferme, à droite yaourt brassé, d'après Béal et Sodini, 2003
Préparation du lait : après une standardisation en matières grasses, le lait est enrichi en matière sèche, généralement par rajout de poudre de lait écrémé ou de protéines de lactosérum ou caséinates. S'ensuit une homogénéisation sous une pression élevée et à 70 ° C et éventuellement un rajout de sucre.
Traitement thermique : le chauffage à 90 à 95 °C pendant 3 à 5 minutes détruit les micro-organismes pathogènes et indésirables. Il dénature aussi environ 85 % des protéines solubles du lait qui vont ensuite se fixer sur les micelles de caséine. Ces modifications se traduisent après fermentation par une amélioration de la fermeté des gels.
Ensemencement : après refroidissement de la température de fermentation à 42-45 °C (optimal pour le développement symbiotique des bactéries lactiques), l'ensemencement s'effectue avec une souche de Streptococcus thermophilus (ST) et de Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus (LB) dans un rapport de ST/LB=1,2 à 2 pour les yaourts nature et pouvant atteindre 10 pour les yaourts aux fruits.
Fermentation et conditionnement : les bactéries lactiques absorbent le sucre du lait (le lactose) qu'elles transforment en acide lactique, entraînant une baisse du pH et la coagulation du milieu. Elles produisent par ailleurs des composés carbonylés volatils qui participent à la richesse aromatique : acétaldéhyde (éthanal) à l'odeur fruitée, le diacétyle à odeur de fromage et d'aisselles, l'acétoïne et l'acétate d'éthyle rappelant le dissolvant de vernis à ongles. Selon la texture recherchée, les opérations de fermentation et de conditionnement ne sont pas effectuées dans le même ordre :
Yaourt ferme : immédiatement après l'ensemencement, le lait est conditionné en pots et ceux-ci sont placés dans une étuve réglée à la température de 42 à 45 °C, pendant 2 à 3 heures, jusqu'à obtention d'environ 1 % d'acidité. La fermentation est stoppée par refroidissement des pots dans des chambres froides fortement ventilées. Ils sont ensuite stockés à 2-4 °C.
Yaourt brassé : après ensemencement, le lait reste dans le tank à la température de 42 à 45 °C. La fermentation se déroule dans le tank jusqu'à ce que l'acidité de 1 % soit atteinte. Le lait coagulé est ensuite brassé puis refroidi et conditionné dans des pots stockés à 2-4 °C.
Pendant la phase de commercialisation, les yaourts doivent être maintenus dans la chaîne du froid entre 4 et 8 °C. Durant cette période, les bactéries lactiques ne se multiplient pas mais continuent toutefois à produire de l'acide lactique et donc à augmenter la saveur acide du yaourt.
Le lait de soja ne contenant pas de lactose pour nourrir des bactéries, ne peut devenir un yaourt au sens strict du terme. Cependant, il fermente et on obtient, dans une yaourtière, un résultat proche de celui du yaourt ordinaire.
Rappelons que les préparations laitières réalisées selon le même principe mais sans Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus ou Streptococcus thermophilus, mais avec d'autres bactéries (bifidus...) ne peuvent porter l'appellation yaourt en France et en Union européenne.
Le yaourt peut être brassé, aromatisé, sucré, mélangé à différents fruits…
La plupart des yaourts sont de couleur blanche à l’exception de celui réalisé artisanalement dans le village d’Orban. Confectionné à partir de lait de bufflonne, il présente une coloration naturellement rosée.
Microbiologie de la fermentation
Symbiose bactérienne, d'après Branger, 2004
La fermentation lactique est l'étape décisive assurant la transformation du lait liquide en un gel. Les deux bactéries lactiques employées : Streptococcus thermophilus et Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus (abr. Lb. bulgaricus) (initialement retenues pour des raisons historiques parce que fréquemment trouvées dans les laits fermentés traditionnels du Moyen-Orient) interagissent en synergie.
En début de fermentation, les S. thermophilus se développent rapidement. Ils absorbent le lactose et le transforment en L(+) acide lactique, ce qui provoque une baisse du pH (acidification). Ils amorcent aussi le développement de la population de Lb. bulgaricus en produisant des composants capables de stimuler leur croissance, comme l'acide formique et le gaz carbonique.
En retour, Lb. bulgaricus hydrolyse la caséine grâce à une protéinase fixée sur ses parois, qui après d'autres réactions enzymatiques donnent des acides aminés (en particulier la valine). Ces composés indispensables à la croissance des bactéries ne sont pas en quantités suffisantes dans le lait en début de fermentation. Les S. thermophilus qui ont une activité protéinase plus faible, bénéficient donc de la présence du lactobacille.
Grâce à cette action conjointe, les deux espèces croissent rapidement et métabolisent suffisamment de lactose en acide lactique pour que la fermentation soit terminée en 3 à 4 heures, là où chacune aurait passé 12 à 16 heures pour obtenir la même acidité.
Ces deux espèces bactériennes synthétisent aussi des polysaccharides qu'elles excrètent à l'extérieur de la cellule (nommés exopolysaccharides). Ce sont des polymères de galactose, glucose et rhamnose, produits en quantité variable suivant les souches. La présence de ces composés est très recherchée car ils augmentent la viscosité du yaourt et donnent une sensation d'onctuosité au produit, appréciée des consommateurs.
Les souches bactériennes produisant le plus d'exopolysaccharides ont été sélectionnées afin de se dispenser d'ajouter des épaississants et gélifiants au produit.
Coagulation lactique du lait
Modèle de la micelle de caséine, de Horne :
- les sous-micelles sont liées par des ponts phospho-calciques,
- les sous-micelles riches en caséine kappa sont en surface
Mode d'agrégation des micelles
Le lait est une émulsion formée par un mélange aqueux de lactosérum, dans lequel sont dispersés des micelles de caséines et des globules gras. La micelle de caséine est un agrégat sphérique (de 120 nm en moyenne) qui est constitué de 10 à 100 sous-micelles reliées entre elles par des ponts phospho-calciques. Elle est très hydratée. L'eau est fixée au chevelu micellaire sous la forme d'une couche d'hydratation en surface.
Les micelles de caséines portent initialement une charge négative nette (quand le lait est encore au pH 6,7).
La précipitation de la caséine résulte de l'abaissement du pH lié à la formation d'acide lactique par les bactéries lactiques. L'acide lactique porte des charges positives qui neutralisent les charges négatives des colloïdes. À pH 4,6 les charges positives et négatives s'équilibrent. C'est ce qu'on appelle le point isoélectrique de la caséine. La neutralisation des charges de surface permet aux micelles de se rapprocher (pour un pH de 5,8 - 5,5) puis de s'agréger par des liaisons électrostatiques et hydrophobes (dès un pH de 5,2). La solubilisation du calcium est totale à pH 5,0 suivie par une gélification totale à pH 4,9.
Pour le lait ayant subi un traitement thermique à 90 °C, la coagulation du lait se fait cependant à pH~5,3. Cette élévation du pH se comprend par le fait que les protéines du lactosérum (des β-lactoglobulines), dénaturées par le traitement thermique, ont un point isoélectrique de 5,3 et qu'elles vont s'associer aux caséines kappa des micelles. De cette association, il résulte une augmentation de la valeur du pH où se fait l'agrégation.
Consommation
Avec plus de 21 kilos de yaourt par personne en 2005, les Français, qui ont augmenté de 20 % en dix ans leur consommation, sont les deuxièmes plus gros consommateurs en Europe, derrière les Allemands. Le Programme national nutrition santé lancé en 2001 par le gouvernement français recommande la consommation de trois produits laitiers par jour.
En Occident, le yaourt est généralement consommé sucré, au petit-déjeuner ou en dessert. Il ne doit pas être confondu avec la smantana, une crème épaisse utilisée en Grèce et en Europe de l'Est, ni avec le dough (دوغ) persan ou son équivalent turc, l'ayran, ou le lassi indien (लस्सी), qui sont des boissons préparées à partir de yaourt et d'eau, généralement agrémentées de sel, d'épices et de feuilles de menthe séchées.
Le yaourt est également utilisé dans tous les pays du Golfe persique ainsi qu'en Turquie, en Grèce et en Arménie, en sauce, coupé avec de l’eau, du sel et des épices, consommée en cours de repas ou comme composante des plats. La forme la plus connue est la sauce tzatziki (τζατζίκι) grecque, le plat en sauce persan qui mêle yaourts et concombres, le mast-o-khiar iranien, ou le raïta indien.
Le yaourt (dahi) est très utilisé dans la cuisine du Sous-continent indien, à la fois pour la préparation de chutneys, de sauces ou de marinades, par exemple pour le dahi baingan (aubergines au yaourt).
Propriétés biologiques
Valeur nutritionnelle
En plus d’être apprécié pour son goût et sa texture, le yaourt a une valeur nutritionnelle remarquable : un apport énergétique relativement faible (en moyenne 90 kcal pour un pot de 125 g de yaourt nature classique). La composition d'un yaourt nature non sucré est proche de celle du lait de vache, l'apport en calcium, phosphore, riboflavine (vitamine B2) et en vitamine B12 représente un certain intérêt nutritionnel.
Teneur en nutriments du yaourt nature (valeurs pour 100 g de yaourt et pour un yaourt de 125 g) :
Vitamine Yaourt entier non sucré 100g % des Apports de Référence Yaourt de 125 g % des A.R. Eau 87.90 g -- 109.88 g -- Energie 61 kcal 3 % 76.25 kcal 3.8% Lipides 3.25 g 4.** % 4.06 g 5.80 % Glucides 4.66 g 5.18 % 5.83 g 6.47 % Protéines 3.47 g 6.94 % 4.34 g 8.66 % Sel 0.12 g 2.00 % 0.14 g 2.40 % Calcium 121 mg 15.13 % 151.25 mg 18.91 % Phosphore 95 mg 13.57 % 118.75 mg 16.96 % Potassium 155 mg 7.75 % 193.75 mg 9.69 % Vitamine A totale 27 μg 3.37 % 33,75 μg 4.22 % Riboflavine (B2) 0,142 mg 11 % 0,178 mg 12.71 % Vitamine B12 0,37 μg 14.80 % 0,46 μg 18.50 %
Beaucoup de yaourts sont vendus accompagnés de fruits, arômatisés et/ou sucrés. Il est alors courant que la teneur en glucides (saccharose essentiellement) atteigne 15 g pour 100 grammes de produit. D'autres spécialités (la plupart des brassés et des veloutés par exemple) contiennent plus de lipides parce qu'on a ajouté de la crème au lait avant fermentation. Certains sont gélifiés, contenant de l'amidon qui a été ajouté dans ce but. D'autres encore comme le yaourt à la grecque contiennent plus de protéines (c'est un yaourt égoutté), et éventuellement plus de crème également, selon la recette exacte du fabricant. Il convient de vérifier le tableau d'information nutritionnelle.
Les bienfaits sur la santé
La présence de 100 à 1 050 millions de bactéries vivantes par millilitre de yaourt aurait un impact positif sur la santé de l'humain. Les nombreuses recherches menées, pour certaines par les producteurs de yaourt, pour d'autres par des agences de santé, apportent à ce sujet des résultats contradictoires. Le yaourt reste, avec la levure de bière, un produit couramment recommandé par les médecins et les pharmaciens lors d'un traitement antibiotique afin de reconstituer la flore intestinale et éviter les diarrhées médicamenteuses.
Une demande déposée par Danone auprès de l'EFSA pour citer les « bienfaits pour la santé » de ses produits Activia et Actimel, a finalement été retirée en avril 2010 par cette firme, le niveau de preuve de ces affirmations étant jugé non satisfaisant par l'Agence européenne de sécurité alimentaire. Parallèlement, Danone a été condamné en 2009 pour publicité abusive pour les mêmes produits aux États-Unis, et n'utilise plus certaines allégations.
D'autre part, la teneur en calcium dans l'organisme qui est souvent mise en avant comme un facteur positif n'a pas de valeur protectrice prouvée scientifiquement contre l'ostéoporose, il n'existe aucune corrélation entre les deux. La consommation élevée de produits laitiers pourrait même favoriser l'ostéoporose, c'est un sujet controversé. Il faut savoir que l'essentiel de l'humanité se satisfait de 350 mg de calcium par jour, et que la teneur en calcium du lait maternel est beaucoup plus faible que celle du lait de vache.
Le yaourt à base de lait de chèvre ou de brebis est un élément du régime crétois, censément très bénéfique pour la santé.
Digestibilité du lait
Environ 65 % des adultes dans le monde digèrent mal le lactose, contenu en grandes quantités dans le lait. En général, cette indigestibilité du lactose apparaît avec l’âge : l’enzyme bêta-galactosidase, nécessaire pour digérer le lactose, devient isofonctionnelle. Cela a pour effet des douleurs abdominales, des gaz et/ou des diarrhées lors d’une consommation de lait, voire des réactions cutanées (irritations, rougeurs ou boutons).
Des chercheurs ont réussi à démontrer que l’ingestion de yaourt, plutôt que du lait, diminuait la production d’hydrogène et atténuait les symptômes. Cet effet est associé aux bactéries vivantes qui, lors de la fermentation du yaourt, consomment une grande partie du lactose présent dans le lait pour le transformer en glucose et en galactose et produire de l’acide lactique ou L-lactate qui n'entraîne pas de symptômes. La teneur en enzyme aide également à la digestion du lactose dans les intestins. Enfin, la texture du yaourt et sa viscosité permettent un transit plus lent, laissant plus de temps aux enzymes pour la digestion.
Dans la médecine persane, cet effet du yaourt est connu depuis longtemps. L'association yaourt-riz boulli ("katé-mâst") pour le traitement des diarrhées aiguës est utilisé de manière ancestrale.
Dans les cas d’allergie aux protéines du lait, quelques articles font état d’une induction de la tolérance grâce à l’introduction de doses croissantes de protéines de lait dans l’alimentation. La quantité de lait consommée est au départ infime, et augmente petit à petit. Cette « guérison » n’est possible que chez des enfants tolérant la dose minimale du départ, et n’est pas automatique. En outre, les personnes allergiques aux protéines de lait ayant acquis une tolérance doivent continuer à consommer des produits laitiers, sinon la tolérance disparaît.
Guérison de diarrhées
Le yaourt est un probiotique car il diminue la durée de certains types de diarrhées, en particulier chez l’enfant. L’Organisation mondiale de la santé recommande de remplacer le lait par le yaourt, dans la mesure du possible, au cours du traitement de la diarrhée car il est mieux toléré que le lait et peut contribuer à la prévention de la malnutrition ou à rétablir une nutrition suffisante.
Incidence sur les risques de cancer
Une étude épidémiologique récente conduite en France a montré que les personnes consommant du yaourt présentent un risque plus faible de développer des adénomes colorectaux importants mais une autre montre une augmentation des cancers de la prostate.
Taux de cholestérol dans le sang
Des études ont montré que la consommation régulière de yaourt n’augmente pas la concentration plasmatique en cholestérol.
Sens figurés
Dans le milieu musical, on qualifie de « yaourt » le fait de chanter en imitant le phrasé anglophone : les sonorités y sont reconnaissables même si le sens général des phrases reste flou ou méconnaissable. Le but de ce procédé étant de chanter librement sans réfléchir à des mots ou à des idées qui pourraient ralentir l'expression immédiate du chanteur. Par la suite, le parolier/chanteur pourra calquer son texte (anglais) sur son yaourt afin d'accoucher d'une chanson qui lui semblera fluide et naturelle à chanter. En littérature, on pourrait comparer ce concept à une écriture automatique qui serait par la suite révisée afin de donner un sens logique au texte.
À propos d'un apéritif, on peut qualifier de « yaourt » une dose de pastis très peu diluée dans l'eau.