Un village néolithique sur palafittes reconstitué sur le lac de Constance près de Unteruhldingen en Allemagne.
Le Néolithique est une période de la Préhistoire marquée par de profondes mutations techniques, économiques et sociales, liées à l’adoption par les groupes humains d’un modèle de subsistance fondé sur l’agriculture et l’élevage, et impliquant le plus souvent une sédentarisation. Les principales innovations techniques sont la généralisation de l'outillage en pierre polie, la poterie, ainsi que le développement de l'architecture. Dans certaines régions, ces mutations sont telles que certains auteurs considèrent le Néolithique comme le début de la Protohistoire.
Selon les aires géographiques considérées, ces importantes mutations sont relativement rapides et certains auteurs ont pu parler de « révolution néolithique ». La néolithisation est toutefois un phénomène progressif, survenu à des dates différentes selon les régions. Au Proche-Orient, le Néolithique débute vers 9 000 ans av. J.-C. dans le Croissant fertile. Il prend fin avec la généralisation de la métallurgie et l’invention de l’écriture, vers 3 300 ans av. J.-C.
Apparition du concept et définition
Hache polie en diorite – Environs de Reims, France – Collection d’Alexis Damour – Muséum de Toulouse.
Le mot « Néolithique » (du grec νέος, néos, nouveau, et λίθος, líthos, pierre) désigne littéralement l'« âge de la pierre nouvelle». Ce terme a été proposé en 1865 par le préhistorien John Lubbock.
Le Néolithique a également été souvent qualifié d’« âge de la pierre polie » puisque dans de nombreuses régions il est marqué par la systématisation du polissage de certains outils de pierre. Il convient toutefois de souligner que le polissage est déjà connu au Paléolithique supérieur même s’il est très rare. Par ailleurs, les outils polis ne sont pas les seuls utilisés au Néolithique et le polissage suit presque toujours une phase de façonnage par percussion.
Si la définition initiale est fondée sur une innovation technique, elle cède progressivement la place à une définition socio-économique : au Néolithique, les groupes humains n’exploitent plus exclusivement les ressources naturellement disponibles mais commencent à en produire une partie. La chasse et la cueillette continuent souvent à fournir une part substantielle des ressources alimentaires mais l’agriculture et l’élevage jouent un rôle de plus en plus important. L’agriculture implique le plus souvent l’adoption d’un habitat sédentaire et l’abandon du nomadisme des groupes de chasseurs-cueilleurs paléolithiques et mésolithiques.
Cette mutation a souvent été présentée comme un affranchissement vis-à-vis des contraintes environnementales : les groupes humains contrôleraient l’environnement et seraient à l’abri des disettes liées aux aléas climatiques. La néolithisation conduirait à une véritable explosion démographique. Les travaux d’ethnologues tels que Marshall Sahlins incitent à relativiser ces points de vue : une économie basée sur l’agriculture implique souvent un surcroît de travail et l’abondance des récoltes reste dépendante des conditions climatiques, d'où la continuation des pratiques de chasse, pêche et cueillette pour pallier d'éventuels manques de nourriture liés à de mauvaises récoltes, ainsi que pour varier les goûts d'un régime alimentaire peut-être trop homogène. La forte croissance démographique liée à l'adoption de l'agriculture reste avant tout théorique et difficilement démontrable scientifiquement, bien que certains chercheurs soutiennent cette hypothèse sur la base des données fournies par l'étude des squelettes découverts dans les plus anciens sites néolithiques.
Le concept de neolithic package (paquet néolithique) correspond aux innovations techniques, espèces domestiquées (mouton, chèvre, bœuf) et culture matérielle (en) caractéristiques de la période néolithique en Europe et Asie de l'Ouest. Toutefois, ce concept ne peut être appliqué de manière systématique puisqu'il tend à amoindrir les particularités socio-culturelles créées par les interactions entre groupes à l'échelle locale et micro-régionale.
La « révolution néolithique »
Chèvre domestique.
L’expression « révolution néolithique » a été introduite par l’archéologue australien Vere Gordon Childe. Elle fait référence à un changement radical et rapide, marqué par le passage d’une économie de prédation (chasse, cueillette) à une économie de production (agriculture, élevage).
Cette hypothèse d'un changement rapide, si elle est encore largement discutée par les préhistoriens, s'oppose aujourd'hui à la théorie d'une évolution plus progressive. En effet, l’adoption de l’agriculture ne s’avère pas aussi rapide qu’on pouvait le croire durant la première moitié du XX siècle. De plus, elle n’est ni synchrone à l’échelle des différents continents, ni universelle. Les premiers agriculteurs exploitaient encore les ressources naturelles et certains groupes ont conservé une économie de chasseur-cueilleur jusqu’à nos jours. Il existe également des exemples de groupes de pasteurs nomades. L'adoption d'une économie de production semble être un phénomène progressif, initié selon certains auteurs dès le début du Mésolithique.
Si la néolithisation est une des étapes majeures de l'aventure humaine, au même titre que la domestication du feu ou la révolution industrielle, le fait de la qualifier de révolution a été critiqué, dans la mesure où l'adoption des innovations qui la caractérisent n'est ni brutale, ni simultanée.
Chronologie
La chronologie du Néolithique est particulièrement délicate à établir puisqu'elle diffère en fonction des régions du monde et en fonction des critères de définition que l'on retient. Plutôt qu'une époque, le Néolithique est considéré par certains auteurs comme un stade culturel défini par un ensemble de traits techniques, économiques et sociaux.
Il existe toutefois un consensus assez large pour reconnaître que le foyer de néolithisation le plus ancien se situe dans le croissant fertile du Proche-Orient, dans le sud-est de l'Anatolie, le nord de la Mésopotamie et le Levant. Vers le milieu du IX millénaire av. J.-C., les groupes humains, déjà en partie sédentaires, commencent à y domestiquer les animaux (mouton, chèvre, bovin), et les plantes (blé, orge suivis de légumineuses comme les pois, les fèves et les lentilles) dans un but alimentaire. Au cours du VIII millénaire av. J.-C., les premières poteries apparaissent, elles se généralisent au cours des millénaires suivants.
Les nouvelles connaissances et les nouvelles pratiques qui caractérisent le Néolithique du Proche-Orient vont progressivement gagner l'Europe et le nord de la Méditerranée dans un premier temps, à partir de 7 000-6 500 av. J.-C., puis au sud de la Méditerranée et vers le sous-continent indien et le sud de l'Asie centrale. Elles suivent différentes voies et différents moyens de propagation, il s'agit dans un premier temps essentiellement de migrations de populations issues du Croissant fertile. D'autres régions du monde connaissent ensuite un processus de néolithisation qui semble plus ou moins indépendant du Proche-Orient et de l'Europe, par exemple en Asie de l'est et du Sud-Est, en Océanie, en Afrique subsaharienne et sur le continent américain.
D'autres foyers de domestication des plantes et des animaux :
Indus (buffle, volaille) ;
Extrême-Orient (riz, millet) vers 6 000 av. J.-C. ;
Mexique (maïs, cucurbitacées) vers 5 000 à 4 000 av. J.-C. ;
Pérou (maïs, haricot, pomme de terre, camélidés) vers 5 000 à 3 000 av. J.-C. ;
Afrique subsaharienne (mil, sorgho, igname) entre 5 000 av. J.-C. et 2 000 av. J.-C. (selon la céréale et le lieu).
En Europe la diffusion des espèces domestiques issues du Croissant fertile se déroule précocement à partir de 7 000 av. J.-C. en passant par les Balkans et la Méditerranée.
Variétés péruviennes de maïs.
La datation de la fin du Néolithique est également problématique. Si l'on ne considère que la période chronologique, elle prend fin avec le développement de l'utilisation technique des métaux et le début de l'âge du bronze, soit vers 2 100 av. J.-C. en Europe occidentale. Le Chalcolithique est une période intermédiaire marquée par l'émergence du travail de certains métaux (cuivre, or, argent) mais encore rattachée au Néolithique par de nombreux aspects (industrie lithique et osseuse, céramique, mégalithisme).
Le Néolithique dans le monde
Néolithique du Proche-Orient Natoufien (Épipaléolithique avec début de sédentarisation) Khiamien : El Khiam PPNA : Jéricho, Shanidar, Ganj-i Dareh, Göbekli Tepe PPNB : Jéricho, Jarmo, Çatal Hüyük, Göbekli Tepe Mésopotamie: Période de Hassuna, Période de Samarra, Période de Halaf, Culture d'Obeïd Çatal Hüyük Chalcolithique
Natoufien (Épipaléolithique avec début de sédentarisation)
Khiamien : El Khiam
PPNA : Jéricho, Shanidar, Ganj-i Dareh, Göbekli Tepe
PPNB : Jéricho, Jarmo, Çatal Hüyük, Göbekli Tepe
Mésopotamie: Période de Hassuna, Période de Samarra, Période de Halaf, Culture d'Obeïd
Çatal Hüyük
Chalcolithique
Europe néolithique Culture de la céramique imprimée Culture de la céramique cardiale Culture de Starčevo Culture de la céramique rubanée Culture de Serra d'Alto Chasséen Culture de Michelsberg Culture du lac de Mondsee Culture de Narva Culture d'Ertebolle Culture de Karanovo Culture de Vinča Culture de Lengyel Culture des vases à bouche carrée Culture des vases à entonnoir Mégalithisme européen Culture de Cucuteni-Trypillia Culture de Sredny Stog Chalcolithique
Culture de la céramique imprimée
Culture de la céramique cardiale
Culture de Starčevo
Culture de la céramique rubanée
Culture de Serra d'Alto
Chasséen
Culture de Michelsberg
Culture du lac de Mondsee
Culture de Narva
Culture d'Ertebolle
Culture de Karanovo
Culture de Vinča
Culture de Lengyel
Culture des vases à bouche carrée
Culture des vases à entonnoir
Mégalithisme européen
Culture de Cucuteni-Trypillia
Culture de Sredny Stog
Chalcolithique
Asie Jōmon (Japon) Chine : Yangshao : Banpo, Pré-Yangshao : Peiligang, Cishan Chine : Culture de Hongshan, Dawenkou, Majiayao, Longshan
Jōmon (Japon)
Chine : Yangshao : Banpo, Pré-Yangshao : Peiligang, Cishan
Chine : Culture de Hongshan, Dawenkou, Majiayao, Longshan
Maghreb Art rupestre du Sahara
Art rupestre du Sahara
Amériques Mexique préhispanique
Mexique préhispanique
Innovations techniques
Haches polies découvertes dans le dépôt de Bernon (Arzon, Morbihan). Ces pièces de grandes dimensions (15 à 28 cm) datent du V millénaire av. J.-C.. Certaines sont en fibrolite locale, d'autres sont en roches vertes alpines et ont probablement été obtenues par échange.
Pierre polie
Préforme de hache en pierre avant polissage.
Hache en pierre partiellement polie : la phase de façonnage est encore perceptible.
La technique du polissage est utilisée dès le Paléolithique supérieur pour le travail des matières dures animales (os, bois, ivoire) mais aussi, plus rarement, de la pierre, notamment au Japon et en Chine. Elle est également attestée ponctuellement dans des sociétés de chasseurs-cueilleurs, comme dans le Mésolithique de la plaine russe ou chez les aborigènes d'Australie.
Toutefois la généralisation du polissage n’intervient qu’au Néolithique avec le développement des travaux de défrichage liés à l’agriculture. Cette technique permet en effet d’obtenir des haches et des herminettes aux tranchants réguliers et très résistants, qui pourront trancher les fibres du bois sans s'esquiller. Il est important de souligner que le polissage n’est que la dernière étape de la fabrication de la lame de hache et qu’elle intervient après un façonnage généralement bifacial.
Les outils de pierre polie sont réalisés à partir de roches dures (silex) ou de roches vertes tenaces, éruptives (basaltes, dolérites…) ou métamorphiques (amphibolites, éclogites, jadéites…). Les roches tenaces sont parfois travaillées par sciage ou bouchardage avant d’être polies. Le polissage s’effectue par frottement sur un polissoir dormant ou mobile (grès, granite, silex…).
L'archéologie expérimentale a permis de montrer que le rendement du polissage à la main sur certaines roches très dures était de l'ordre de 5 à 20 g par heure, soit jusqu'à une centaine d'heures de travail pour certaines grandes haches. Dans ces conditions, il peut paraître surprenant que le polissage s'étende à toute la surface de l'outil et pas seulement la zone active. Le soin apporté à la confection des outils polis n'a donc pas seulement des motivations techniques mais également esthétiques et sociales. Ce dernier point est appuyé par des études réalisées en contexte ethnographique.
Débitage et retouche par pression
Parallèlement au polissage, d’autres méthodes sont développées pour produire des outils et des armes de chasse. C’est le cas du débitage par pression, qui permet d’obtenir des lames et des lamelles très régulières. La retouche par pression, employée dès le Solutréen en Europe mais aussi beaucoup plus tôt dans le Middle Stone Age sud-africain, revêt une grande importance au Néolithique pour la finition de certaines armatures telles que les pointes de flèches à pédoncule et ailerons.
Céramique
Poterie du Jōmon naissant, environ 10 000 à 8 000 ans av. J.-C.
La poterie en céramique est considérée comme une des inventions les plus importantes du Néolithique, elle marque presque partout dans le monde le mode de vie agricole et sédentaire. Il n'existe cependant pas de lien exclusif entre les deux, il y a eu des groupes de chasseurs-cueilleurs fabriquant de la poterie (mais faisant souvent suite à une influence venant d'autres groupes agricoles et sédentaires) et des populations d'agriculteurs qui n'en produisaient pas encore.
La fabrication d'objets en terre cuite est en réalité une technique plus ancienne et est attestée dès le Paléolithique supérieur, comme pour la Vénus de Dolní Věstonice datant de 29 000 à 25 000 av. J.-C. (Gravettien), un exemplaire parmi d'autres déjà produit en quantité dans des fours importants sur certains sites. Des figurines animales en terre cuite très anciennes sont également connues dans des sites ibéromaurusiens d'Afrique du Nord, dont l'âge est estimé à 20 000 ans BP.
La poterie (au sens originel de fabrication de récipients en terre cuite) fait son apparition chez plusieurs groupes de chasseurs-cueilleurs en Russie, en Scandinavie, en Chine et surtout au Japon, durant la période Jōmon. La poterie Jōmon apparaît entre 15 000 et 12 000 ans av. J.-C..
Poterie peinte de la Période d'Obeïd, Irak, 4 000-4 500 av. J.-C.
Vase pré-dynastique égyptien, Nagada I, entre -3800 et -3600 avant notre ère.
La poterie a enfin été inventée indépendamment au Proche-Orient durant le Néolithique et se répandra en devenant une des productions artisanales majeures de très nombreuses cultures néolithiques de l'Ancien monde, les poteries sont des objets utilitaires lourds mais elles deviennent très fonctionnelles pour des populations sédentarisées pratiquant l'agriculture qui doivent conserver des denrées. Elle est attestée à Ganj-i Dareh (Iran) vers 7 000 ans av. J.-C., à Tell Mureybet (Syrie) entre 7 000 et 8 000 ans av. J.-C. Il existe cependant en Syrie et en Palestine un Néolithique précéramique qui perdure jusqu'au début du VI millénaire av. J.-C.. La poterie est définitivement adoptée autour de 6 000 ans av. J.-C. en Syrie ; elle est attestée à Jarmo (Irak) vers 5 400 av. J.-C. et peu après en Asie mineure. Les groupes néolithiques les plus avancés du Proche-Orient se lancent dans la colonisation de l'Europe et ils y apportent la porterie en même temps que la néolithisation, qui se répand alors très rapidement en Europe dès la seconde moitié du VII millénaire av. J.-C., avec la culture de la céramique cardiale en Méditerranée et la culture de la céramique rubanée en Europe continentale.
Tessons de poterie typiques de la culture de la céramique rubanée, Autriche.
La généralisation de la céramique est une étape majeure dans le développement des techniques humaines. Il s'agit d'un matériau dont la transformation est irréversible, on ne peut pas obtenir de nouvelle argile à partir d'une terre cuite, car la structure moléculaire en a été irrémédiablement modifiée, alors que les outils en métal, même des alliages, peuvent à nouveau fournir les métaux qui les constituent. Elle est à la fois relativement simple à fabriquer et assez fragile, mais ses restes (tessons) se conservent généralement très bien. La céramique est donc une source d'information précieuse pour les archéologues qui en trouvent de grandes quantités sur les sites archéologiques. Le style de la céramique va se renouveler et évoluer rapidement, donnant lieu à d'innombrables variantes en termes de formes et de décors, et ainsi servir d'un des principaux marqueurs des différents courants culturels du Néolithique, qui sont souvent nommés et définis selon des styles de céramiques.
Métallurgie
La fin du Néolithique est également marquée par l'émergence de la métallurgie. La production d'objet en métal est attestée dès le VIII millénaire au Proche-Orient et en Anatolie. Il s'agit de petits objets en cuivre réalisés par martelage à froid. La fusion du métal est plus tardive et n'est attestée jusqu'à présent qu'à la fin du VI millénaire. Longtemps, l'apparition et le développement des objets en métal définissait le début de l'Âge des métaux qui débutait par l'Âge du Cuivre, et était suivi par l'Âge du Bronze et l'Âge du Fer. Dans de nombreuses régions, l'utilisation de l'expression « Âge du Cuivre », ou « Chalcolithique » ou parfois « Énéolithique » tend à disparaître au profit d'expressions comme « Néolithique final » car en dehors de l'apparition et du développement très progressif des objets en métal, l'organisation sociale ne semble pas marquer de ruptures fondamentales par rapport aux autres sous-périodes du Néolithique.
Débuts de l'agriculture et changements dans la société
Épillets d'engrain.
L'apparition de l'agriculture est l'une des innovations néolithiques les plus lourdes de conséquences en ce qui concerne l'organisation sociale. La sédentarisation a longtemps été considérée comme une conséquence de l'agriculture ; il est désormais acquis qu'elle l'a au contraire précédée, notamment au Natoufien. Le climat particulièrement favorable du croissant fertile permettait à des groupes de chasseurs-cueilleurs d'assurer leur subsistance grâce aux abondantes céréales sauvages de la région. La pression démographique aurait conduit ces groupes à s'étendre vers des régions moins favorables où il était nécessaire de prendre soin des céréales et des légumineuses pour en tirer pleinement parti.
Pour J. Cauvin, l'explication de l'apparition de l'agriculture ne peut toutefois se résumer à des pressions environnementales ou démographiques mais est plus vraisemblablement socio-culturelle. Pour la première fois, les groupes humains ne se scindent pas lorsqu'ils atteignent le seuil critique au-delà duquel des tensions internes apparaissent : l'agriculture serait une solution pour créer de nouveaux rapports sociaux. Ces nouvelles structures sociales seraient même entraînées par un changement cognitif apparent chez l'humain, impliquant une évolution de son rapport avec son environnement naturel, ce que J. Cauvin identifie dans une « révolution des symboles ».
Il est peu probable qu'il existe une explication unique à l'adoption de l'agriculture dans les différents foyers de néolithisation à travers le monde : le mil est domestiqué au Sahara, l'orge, le blé et l'engrain au Moyen-Orient, le chanvre en Asie (montagnes de l'Inde et du Pakistan, plaines de l'Asie centrale ou région moyenne du fleuve Jaune), le millet (Setaria italica) dans le bassin du fleuve Jaune, le riz dans le bassin du Yangzi Jiang en Chine, des plantes à tubercule en Asie du Sud-Est, le sorgho au Sahel, etc. Le radoucissement climatique consécutif à la fin de la dernière glaciation favorise la croissance des plantes, et la réussite de cette stratégie de subsistance. La chasse et la pêche sont cependant encore longtemps utilisées parallèlement à la culture et à l'élevage.
Si le chien a été domestiqué dès le Paléolithique par des chasseurs-cueilleurs, au Néolithique, les animaux commencent à être domestiqués pour leur viande, mais aussi pour leurs productions complémentaires (lait, laine, cuir). L'utilisation de leur force de travail, comme animaux de trait, de bât ou de selle, intervient plus tardivement. Le choix se porte sur quelques espèces, les plus dociles ou les plus prisées. Au tout début du Néolithique, il est évidemment souvent très délicat de déterminer si des restes osseux appartiennent à un animal sauvage ou à un animal domestique, tant ils sont encore proches. Les dates de domestication des différentes espèces sont donc sujettes à de nombreux débats (voir dates et lieux de domestication).
Apparition de la hiérarchisation, de la guerre et des États
L'apparition et le développement de la différenciation sociale et de la hiérarchisation font encore l'objet de nombreuses conjectures. Aucun consensus clair ne se dégage dans la communauté scientifique. Certains suggèrent que l'apparition du stockage des aliments et la constitution de réserves ont eu pour effet indirect un début de hiérarchisation de la société, avec la mise en place progressive d'une classe de guerriers pour protéger les champs et les réserves de la convoitise des groupes voisins. Le niveau supérieur de l'hypogée de Roaix (Vaucluse), daté de 2 090 ± 140 av. J.-C., a livré les squelettes imbriqués d'une quarantaine d'individus, hommes, femmes ou nouveau-nés, dont certains présentaient des pointes de flèches fichées dans les os du bassin ou au milieu du thorax : il s'agirait de l'une des plus anciennes preuves d'inhumation collective à la suite d'un massacre et de l'un des premiers témoignages de guerre. Courtin lui-même précise, dans son interview, que « cette version est maintenant contestée par une thèse récente (ce serait une couche de mortalité normale d'un village)… ». Il faut parler, de toute façon, de combats sporadiques, s'ils ont vraiment eu lieu. Les connaissances des préhistoriens ne permettent pas aujourd'hui de parler de « guerre » au Néolithique. Inférer sur des causes de massacres tout à fait putatifs ne peut conduire à considérer que les hommes du Néolithique étaient guerriers et encore moins qu'ils nous auraient légués une sorte de violence génétique. Il semble que les conditions sociales, la culture et l'apprentissage aient, par contre, joué un rôle déterminant dans les évolutions de la période. L'absence ou la réalité de conflits éventuels entre groupes humains semblent, durant cette période comme aujourd'hui, indissociables de ces trois éléments.
Sédentarisation, apparition des premières villes et de l'architecture
Reconstitution de Maydanets, vers 4000 av. J.-C., en Ukraine, une des grandes villes de la culture de Cucuteni-Trypillia.
Comme évoqué précédemment, dans certaines régions la sédentarisation a précédé la découverte de l'agriculture, lorsque l'environnement apportait une subsistance suffisante tout au long des saisons. Par ailleurs, celle-ci n'entraîne pas toujours la sédentarisation complète, certains groupes de pasteurs étant également nomades. Il existe également, en Inde et en Amazonie, des exemples de groupes d'agriculteurs nomades qui ne restent sur un territoire donné que le temps d'une récolte.
Mais l'agriculture impose généralement de se fixer quelques mois, le temps de faire les récoltes, à quelques années, le temps que la terre s'épuise. Des constructions durables apparaissent, en torchis et en pierre, remplaçant les huttes de peaux des chasseurs-cueilleurs. Quand ces constructions se regroupent, naît alors le village. L'une des plus anciennes agglomérations est celle de Jéricho : les premières constructions de pierre y sont datées d'environ 9 000 ans av. J.-C. Elles sont légèrement antérieures à celles de Jarmo et de Choirokoitia, à Chypre. L'agglomération de Çatal Hüyük, en Anatolie, est l'exemple le plus éclatant d'une sédentarisation aboutie : extension sur 12 hectares, maisons à un étage en briques crues, toits en terrasses, peintures murales, il y a environ 8 500 ans. Dans la mesure où elle ne présente pas de véritable plan urbanistique, il convient toutefois de la considérer comme un grand village plutôt que comme une ville ou une proto-ville. De véritables villes apparaissent plus tard, préparant l’avènement futur des civilisations, notamment avec la culture de Cucuteni-Trypillia à la fin du V et le début du IV millénaire av. J.-C., en Europe entre l'Ukraine, la Moldavie et la Roumanie, ces villes très organisées et planifiées en plan elliptique concentrique pouvaient atteindre plusieurs kilomètres carrés et entre 10 000 et 20 000 habitants, elles sont les plus anciennes villes de cette ampleur connues au monde, cette culture a également élaboré une proto-écriture (ne servant pas encore à écrire de long texte, il ne s'agit pas d'une écriture proprement dit) dont certains signes sont communs avec ceux de l’écriture sumérienne qui apparait plus tard.
Le cairn de Barnenez, daté de 4 600 av. J.-C., du début du Néolithique breton, est l'une des plus anciennes tombes monumentales au monde.
La fin du Néolithique en Europe est également connue pour ses « cités lacustres ». Il apparaît que si elles étaient parfois effectivement édifiées sur pilotis, elles étaient souvent aussi construites en bordure de lacs et n'ont été submergées que bien plus tard. Ces sites sont caractérisés par une conservation exceptionnelle des matériaux organiques. L'un des plus célèbres est celui situé au bord du lac de Chalain dans le Jura. Il existe de nombreux sites témoignant de ce type d'habitats lacustre dans l'arc alpin, en Suisse (site de Bevaix et d'Auvernier à Neuchâtel).
L'art
Combat d'archers dans un abri de Morella, Espagne.
L'art néolithique est extrêmement diversifié dans ses expressions. Les artistes du Néolithique s'expriment à travers la décoration des objets utilitaires (céramique, haches polies) mais aussi par la réalisation de sculptures, de parures et d'œuvres rupestres.
L'art néolithique vu par Élie Faure
Le passage du Paléolithique au Néolithique nous est raconté, du point de vue artistique, par un des plus grands auteurs d'histoire de l'art, Élie Faure. « Au début, tout, pour le primitif, est naturel, et le surnaturel n’apparaît qu’avec le savoir », nous dit-il.
Mais la religion estompe l'art pour établir sa supériorité. C’est sans doute ce qui arrivera au Néolithique, environ 6 000 ans après l’engloutissement, sous les eaux du déluge, de la civilisation du renne. Des changements climatiques interviennent, la planète à nouveau se réchauffe, les glaciers fondent et les eaux montent.
Quand enfin de nouvelles conditions climatiques se stabilisent et que renaît la civilisation, c’est sous une autre forme. Celle du chasseur de renne est morte à jamais car les rennes ont migré vers le grand Nord (Sibérie, Scandinavie) et les cervidés les ont remplacés autant dans l'art rupestre et pariétal que dans le quotidien. Nous sommes au Néolithique, l’homme est plus agriculteur que chasseur. Graines et animaux sont domestiqués, les tribus reconstituées se sédentarisent, les premières grandes cités apparaissent au Moyen-Orient et en Asie mineure.
Figurine anthropomorphe, Grèce.
Voici surgir l'aube d’une nouvelle civilisation, « glacée par une industrie plus positive, une vie moins puissante, une religion déjà détournée de la source naturelle », dit Élie Faure. « Une civilisation à tendance scientifique prédominante », n'est-ce pas déjà la nôtre ?
Les belles formes mouvantes peintes sur les parois des cavernes du Paléolithique disparaissent à jamais. Dans ce monde de la pierre polie qui succède à celui de la pierre simplement éclatée déjà se profile le rationalisme du futur âge industriel. Il y a comme une marque de réprobation et probablement d’interdiction religieuse dans ce tabou vis-à-vis des formes humaines et animales. La religion nouvelle, outre à faire naître autant de dieux que d'hommes, se base sur l'astronomie davantage que sur la vie. L'esprit est tout, la forme dédaignée, avant d'être maudite parce qu'on y voit quelque « mauvais esprit » ou « mauvais œil », obstacle à la libération morale à venir au cours des millénaires jusqu'à nous, héritiers directs du Néolithique.
« Une silhouette de mammouth à demi effacée sur la paroi d’une caverne nous en dit plus sur l’esprit de l’homme qui l’y a gravée en quelques heures, qu’une plaine couverte de mégalithes sur des foules qui ont mis des siècles à les dresser », dira Élie Faure.
Génétique
La question de savoir si l'agriculture s'est répandue au gré des migrations humaines ou par la diffusion des idées et des techniques agricoles a été longtemps débattue mais depuis récemment, d'importants progrès de la génétique sont venus confirmer l’existence d'une grande migration néolithique au moins en Europe pour le moment.
Expansion néolithique de la culture cardiale et de la culture rubanée en Europe d’après l'archéologie.
Les études fondées sur l'ADN ancien, issu de restes humains datant du Néolithique, se sont enfin développées à partir des années 2000, grâce à d’importants progrès dans l’extraction, le séquençage et l'analyse de l'ADN ancien très fragmenté et altéré. C'est d'abord l'ADN mitochondrial qui est le plus souvent étudié dans un premier temps, car il est le plus facile à extraire et à multiplier en laboratoire, et plus rarement c'est l'ADN du chromosome Y qui sera ensuite extrait, le but dans les deux cas est de déterminer les haplogroupes d'un certain nombre d'individus anciens de diverses cultures archéologiques pour les comparer aux populations actuelles et ainsi tenter de déterminer l'histoire du peuplement de l'Europe. Mais ces portions infimes de l'ADN étant relativement isolées du reste du génome et sujettes à la dérive génétique et aux effets fondateurs, l'interprétation reste très délicate, chaque marqueur ayant sa propre histoire généalogique. Les nombreuses études génétiques de ces années apportent des interprétations diverses et souvent très contradictoires entre elles. La synthèse de ces données permettait alors de mettre en évidence l’existence d'une importante discontinuité génétique entre le Mésolithique et le Néolithique en Europe, interprété comme l'effet d'importants mouvements de population lors de la néolithisation de l'Europe, probablement en provenance d'une ancienne population du Proche-Orient.
Les années 2010 connaissent une révolution des études génétiques sur l'ADN ancien, puisque le séquençage de l'ADN autosomal (c'est à dire la quasi totalité du génome humain) est désormais accessible pour l’archéologie. L'ADN autosomal permet enfin de mesurer précisément le degré de parenté génétique des populations entre elles, anciennes ou actuelles, ce qui permet de déterminer l'histoire des migrations humaines. La principale limite pour l'interprétation est cependant le manque de référentiel du fait du nombre encore limité de génomes anciens séquencés et les grandes lacunes qui persistent alors, qui se comblent peu à peu par l'apport de nouveaux échantillons.
C'est entre 2010 et 2012 qu'est enfin séquencé le génome d'Ötzi, l'« Homme des glaces » découvert congelé dans un glacier des Alpes, vieux de 5300 ans c'est-à-dire de la fin du Néolithique européen. Ötzi a alors révélé pour la première fois la grande parenté entre la population européenne ancienne du Néolithique et les populations actuelles du sud-ouest de l'Europe et en particulier la Sardaigne qui semble être restée un refuge actuel où l'ancienne population du Néolithique européen a perduré jusqu'à nos jours. Son haplogroupe Y G2a2b confirme également cette parenté, cet haplogroupe aujourd'hui minoritaire en Europe avait déjà été précédemment trouvé comme le plus fréquent à l'époque du Néolithique européen, il est de nos jours encore très fréquent en Corse et en Sardaigne.
Ensuite d'autres génomes anciens de diverses cultures archéologiques, issus de nombreuses régions d'Europe et de périodes différentes, seront peu à peu séquencés, permettant d'avoir un entr'aperçu de plus en plus affiné de l'histoire du peuplement de l'Europe au Néolithique. La principale découverte en ce qui concerne le mouvement de néolithisation est alors que tous les échantillons issus de fermiers européens du Néolithique ancien et moyen, que ce soit en Hongrie (culture de Starčevo), en Allemagne (culture rubanée), en Espagne (culture cardiale et dérivés) ou encore en Suède (culture des vases à entonnoir), entre autres, semblent tous être très semblables génétiquement entre eux et très semblables à Ötzi, et forment une seule et même population génétique (cluster) baptisée EEF (pour Early Europeans Farmers), qui est étonnamment semblable à la population de la Sardaigne actuelle, et dans une moindre mesure très proche de toute l'Europe du Sud-Ouest actuelle. Cette population est bien distincte des anciens chasseurs-cueilleurs mésolithiques, ces derniers ont d'ailleurs persisté un nomment à leurs cotés. Dans un premier temps cette population EEF était perçue comme étant issue d'un mélange éventuellement complexe entre les anciens chasseurs-cueilleurs mésolithiques autochtones, divers, et une ancienne population d'agriculteurs initiaux originaires du Proche-Orient, mais la principale faiblesse de cette interprétation résidait dans l’absence totale d'ADN ancien issu du Néolithique du Proche-Orient lui-même, afin de comparer.
De même il existe une discontinuité partielle entre cette population du Néolithique et la population actuelle de l'Europe, attribuée principalement à l'arrivée des Indo-européens venus des steppes d'Europe de l'Est, durant les âges des métaux, et qui se sont mélangés à cette population du Néolithique pour donner les Européens actuels. Le mélange indo-européen est beaucoup plus important en Europe du Nord tandis que l'Europe du Sud, surtout du sud-ouest, est restée plus proche de l'ancienne population du Néolithique.
En 2015, grâce à l'augmentation du nombre d'échantillons disponibles permettant de plus fines comparaisons, Olalde et al. ont pu déterminer que les anciens fermiers néolithiques européens étaient en réalité une population très homogène, et que, comme cela avait déjà été seulement supposé auparavant, les deux grands courants de néolithisation de l'Europe, le courant danubien (culture rubanée) et le courant méditerranéen (culture cardiale), sont en réalité le fait d'une seule et unique population colonisatrice issue d'une seule et même source commune qui à conquis la majeure partie de l'Europe presque sans mélange avec les chasseurs-cueilleurs rencontrés sur le chemin, même longtemps après la séparation des deux courants et ce jusqu'à l’atteinte des côtes atlantiques. On a pu ainsi déterminer que, si mélange conséquent il y aurait eu avec les anciens chasseurs-cueilleurs, celui-ci aurait alors plutôt eu lieu dans les Balkans, en amont de la séparation des deux grands courants, de sorte que les deux courants sont issus du même mélange génétique de départ. Cependant il manque encore une pièce majeure au dossier: des échantillons du Proche-Orient ancien pour vérifier l'origine des agriculteurs initiaux arrivés dans les Balkans et pour comparer et estimer la proportion de leur mélange avec les chasseurs-cueilleurs européens s'il a eu lieu.
Ce n'est qu'en fin 2015 que les premiers échantillons du Néolithique du Proche-orient sont enfin disponibles, plus précisément d'Anatolie. Avec surprise ceux-ci montrent une différence génétique très marquée vis-à-vis de la population actuelle du Proche-Orient, cette dernière est donc issue de migrations et d'importants remplacements de population plus récents dans cette région du monde. La population ancienne du Néolithique d'Anatolie était en revanche plus proche des Européens actuels, elle était surtout très étroitement apparentée aux anciens fermiers européens du Néolithique (les EEF) qui étaient très semblables aux actuels Sardes. Cela confirme par ailleurs l'origine orientale des EEF. À leur entrée en Europe ces premiers agriculteurs n'ont connu en fait qu'un mélange très limité (7 à 11%) avec les chasseurs-cueilleurs européens avant de coloniser et peupler une grande partie de l'Europe.
En fin 2015 également, le premier génome ancien de chasseur-cueilleur d'Afrique subsaharienne est disponible, il est issu d'une grotte éthiopienne et date d'environ 2500 av. J.-C.. La comparaison de ce génome avec les génomes des populations actuelles et anciennes d'Afrique et d'Eurasie a permis de déterminer précisément que les Africains subsahariens modernes ont tous reçu dans les derniers millénaires (pendant ou après le Néolithique) un apport génétique plus ou moins léger à important (selon les ethnies) en provenance d'Eurasie de l'Ouest. Parmi les populations eurasiennes anciennes et modernes, cette petite part supplémentaire d'ADN eurasien qu'on trouve chez les Africains subsahariens modernes a le plus d'affinités avec la population actuelle de la Sardaigne et avec les anciens fermiers néolithiques européens (les EEF). Cela suggère que l'Afrique subsaharienne a également été touchée de manière significative par les migrations néolithiques dont les EEF, génétiquement très proches des actuels Sardes, étaient les porteurs.