Graveurs en taille-douce au burin et à l'eau-forte par Abraham Bosse, 1643.
Le terme de gravure désigne l'ensemble des techniques artistiques qui utilisent l’incision ou le creusement pour produire une image ou un texte. Le principe consiste à inciser ou à creuser à l'aide d'un outil ou d'un mordant une matrice. Après encrage, celle-ci est imprimée sur du papier ou sur un autre support. L'œuvre finale ainsi obtenue s'appelle une estampe.
Par abus de langage, « gravure », « estampe » et « tirage » sont souvent confondus.
La première technique identifiée est la xylographie, apparue en Chine au VII siècle. Parallèlement à l'invention de l'imprimerie en Europe, ces techniques connaîtront un développement considérable à partir de la Renaissance.
La technique de gravure. Illustration de l'Encyclopédie.
Les procédés de gravure
Martyre de Saint Sebastien Gravure sur bois, Allemagne du sud, vers 1470–1475 (à gauche) et estampe obtenue après impression (à droite). British Museum.
Durant la préhistoire (pétroglyphes), l'antiquité (gravure lapidaires), l'œuvre finale est l'objet gravé. Cependant, dès le Moyen Âge la gravure va être largement utilisée comme technique d'impression et de reproduction des images. Après avoir gravé le dessin sur un support dur et plat, l'artiste procède à l'encrage de la gravure et la transpose sur un nouveau support, en général une feuille de papier. Il existe trois grands procédés de gravure de reproduction, qui recouvrent des techniques diverses.
La gravure en taille d'épargne
On parle de taille d'épargne, ou de gravure en relief lorsque « la planche est creusée partout où l'impression ne doit pas avoir d'effet ; le dessin seul est conservé au niveau initial de la surface de la planche, il est épargné ». L'impression d'une gravure en taille d'épargne peut se faire à la main, ou sur une presse typographique. C'est la technique employée pour la gravure sur bois et la linogravure.
La gravure en taille-douce
Ecce Homo de Jean-Pierre Norblin de La Gourdaine. Plaque de cuivre gravée à l'eau-forte (à gauche), et estampe obtenue après impression (à droite). Musée national de Varsovie.
La gravure en taille-douce, ou gravure en creux, se pratique le plus souvent sur du cuivre. Contrairement à la taille d'épargne, l'encre va se déposer dans les creux gravés par l'artiste. L'impression de la plaque se fait sur une presse à taille-douce.
La gravure à plat
Certains auteurs ajoutent la gravure à plat (ou impression à plat, ou planographie) aux deux précédentes catégories. C'est le cas de la lithographie ou du monotype qui ne nécessitent pas de reliefs, et ne sont donc pas des « gravures » au sens strict du terme mais assimilés comme tels. Cependant, la première forme de la lithographie, inventée et lentement mise au point par Aloys Senefelder à partir de 1796, était une technique d’impression basée sur un très faible relief.
Des techniques diverses
Ces trois procédés recouvrent des techniques diverses, qui peuvent être catégorisées de la façon suivante.
La gravure manuelle utilisant un outil
Le burin, la pointe sèche, la gravure sur bois et la xylographie, la linogravure, la manière noire, le pointillé, le camaïeu.
La gravure manuelle utilisant un mordant
L'eau-forte, la gravure au lavis, l'aquatinte, la gravure au sucre, la manière de crayon, le vernis mou.
La gravure à plat (ou impression à plat, ou planographie)
La lithographie, le monotype, la sérigraphie.
La gravure photomécanique et photochimique
Le cliché-verre, la photogravure, la galvanotypie, l'héliogravure.
La gravure mécanique ou semi-mécanique
Le timbrage, la gravure au carborundum.
Résumé des différentes techniques de gravures
Histoire
La gravure sur bois
La gravure sur bois est connue depuis au moins le VII siècle en Chine, les plus anciennes traces sont vers les portes occidentales chinoises de la Route de la soie, aux grottes de Mogao, à Dunhuang. Elle étaient utilisée à l'origine pour les sutras, livres des canons bouddhiques. Les Chinois inventèrent également le papier (en -206, sous la dynastie des Han Occidentaux), ce qui permit, avec l'imprimerie de diffuser rapidement et à moindre coût des ouvrages en tout genre, puis à partir du XI siècle, sous la dynastie Song du Nord, pour imprimer les billets de banque, ou des publicités, des cartes à jouer ou divers autres objets du quotidien commencèrent à être imprimés.
On sait que les Arabes se sont appropriés cette technique lors d'une bataille avec les Chinois dans l'actuel Xinjiang.
Expansion de l'empire Mongol de 1206 à 1294
Les Mongols qui ont conquis et dirigé la Chine sous la Dynastie Yuan fondée par Kubilai Khan, au XIII siècle ont également eu accès à cette technique et avaient l'habitude de déplacer techniciens et techniques d'un bout à l'autre de leur empire, le plus vaste jamais créé, étendu jusqu'en Europe de l'Est et en Afrique du Nord à l'Ouest, et en Corée et Sibérie à l'Est.
Bien que de nombreuses techniques venues d'Orient, parmi lesquelles de nombreuses découvertes en mathématiques (chiffres dits arabes, l'algèbre), la musique, les armes (trébuchet, armes à feu, arbalète), le papier, le moulin à vent et autres techniques orientales soient arrivées en Europe à l'époque des croisades et des échanges qui ont suivi, il n'y a pas de preuve formelle que cette technique ait été introduite en Occident par la route de la soie. Certains spécialistes supposent que la technique de la xylographie a été réinventée dans la vallée du Rhin soit en Europe du Nord, la localiser plus finement est impossible.
Le Bois Protat, la plus ancienne matrice occidentale en bois, est datée autour de 1380 : plus précisément, il s'agit du fragment d'une planche en bois de noyer (0,60 x 0,23 cm), qui fut exécutée à Laives, canton de Sennecey (Saône-et-Loire) en Bourgogne et qui représente sur une face « Le Centurion et les Deux Soldats » et sur l'autre, « L'Ange de l'Annonciation ». Signalons aussi le Saint Christophe retrouvé dans la bibliothèque de Buxheim collé sur un manuscrit de 1423.
La xylographie précède l'imprimerie. Les techniques de gravure sont très liées au support, car celui-ci doit être peu onéreux pour que l'utilisation d'un original recopiable soit intéressante, d'où l'importance de l'introduction du papier. L'évolution de la production xylographique va donc suivre le développement de l'imprimerie.
La Renaissance
En Europe du nord
La gravure sur bois se développe parallèlement à l'utilisation du papier vers 1400. Elle permet de reproduire des estampes en grande quantité et touche un public populaire. La gravure sur cuivre, permettant des reproductions plus détaillées, est plus onéreuse et s'adresse à des commanditaires cultivés. Elle se généralise à partir de 1430 dans la vallée du Rhin et profite des techniques de l'orfèvrerie : Schongauer et Dürer sont orfèvres de formation.
Il est difficile avant Schongauer d'attribuer les œuvres : on désigne ces graveurs anonymes le plus souvent « par le nom de leur manière » :
Le Maître de 1446, première gravure au burin en Allemagne (Flagellation, Kulturforum, Berlin).
Le Maître E. S., actif entre 1450 et 1467 : 313 gravures sur divers thèmes. Son alphabet sera souvent imité par d'autres graveurs.
Le Maître aux Banderoles, actif de 1460 à 1467.
Le Maître des Cartes à jouer, peut-être plus peintre qu'orfèvre, développe les ombres par des hachures parallèles, soit une soixantaine d'œuvres conservées au Kupferstichkabinett (Dresde) et à la Bibliothèque nationale de France (Paris).
Le Maître du Livre de Raison (Hausbuchmeister) appelé aussi Maître du Cabinet d'Amsterdam est actif entre 1465 et 1505. Il semble inaugurer la pointe sèche sur zinc ou étain : 80 gravures sont répertoriées avec des « effets picturaux et de clair-obscur ».
Martin Schongauer, actif entre 1471 et 1491, est le premier monogrammiste auquel on peut associer un nom. Il innove dans la technique du burin. Ses œuvres sont remarquables pour la prédominance de la ligne de contour et l'alternance des zones claires et sombres (la Montée au Calvaire, Fondo Corsini, Rome).
Israhel van Meckenem (1450-1503) « ...figure parmi les burinistes les plus prolifiques de l'époque avec six cents gravures dont trois quarts sont des copies ». (Jésus et les docteurs de la foi, Pinacoteca Nazionale, Bologne)
Daniel Hopfer
Albrecht Dürer, formé par Martin Schongauer, sera le plus innovant des graveurs rhénans.
Hans Baldung grave sur bois Les Sorcières en 1510. Il se distingue par la netteté du trait et le ton dramatique de ses compositions. On lui doit un portrait de Martin Luther en 1521 (Chevaux sauvages, Fondo Corsini, Rome).
Urs Graf (1485-1528), originaire de Suisse, est l'un des premiers à utiliser l'eau-forte dont le procédé est attribué à Wenceslas d'Olmütz (1496). « Avide d'expérimentation, il reprend la "manière criblée", nouvelle appellation de l'opus interrasile. »
Albrecht Altdorfer (1480-1538), élève le paysage au rang d'entité artistique autonome. Il est le premier à utiliser l'eau-forte pour accentuer les variations de la lumière.
Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) sera peintre et graveur : il invente la technique du camaïeu à deux bois. Les bois gravés lui serviront pour la propagande luthérienne et pour les illustrations de livres (Repos pendant la fuite en Égypte, Fondo Corsini, Rome).
Lucas van Leyden (1494-1533) fait une synthèse des éléments nordiques et italianisants (Saint Georges). Il est également novateur dans la technique
Pierre Bruegel l'Ancien (1525-1569) apprend la gravure dans l'atelier de Hieronymus Cock.
Au nord-est de l'Italie
La Vénétie, Dalmatie, Émilie, Lombardie voient la xylographie et la gravure sur cuivre se développer dans la première moitié du XV siècle : voir à ce propos la collection d'images de dévotion du notaire Jacopo Rubieri (né à Parme en 1430). L'Italien
Maso Finiguerra trouva, en 1452, le moyen de tirer une épreuve d'une plaque qu'il avait gravée pour l'église Saint-Jean à Florence. « Les premiers graveurs sur cuivre, à la suite de Finiguera, sont des orfèvres, nielleurs, damasquineurs […]. Ils sont localisés, d'une part, en Toscane […], Padoue et la Vénétie formant l'autre grande sphère. »
Andrea Mantegna (1431-1506) renouvelle les sujets et la technique (Triomphe de César, Fondo Corsini, Rome ).
Baccio Baldini (1436-1487) orfèvre et nielleur (Dante, Virgile et la vision de Béatrice, Fogg Art Museum, Cambridge-Mass-).
Sandro Botticelli.
Antonio del Pollaiuolo (1431-1496).
Francesco Francia.
Parmigianino (1503-1540) domine le procédé de l'eau-forte (Le Tombeau du Christ, Fondo Corsini, Rome). Les traits épais se croisent et donnent un aspect voilé, le tout rehaussé de quelques retouches à la pointe sèche.
Francesco Rosselli (1498-1513) : représentant de la « manière large ».
Nicoletto da Modena reconnaissable à la dureté du trait et à ses formes rigides (Allégorie de la Fortune, Fondo Corsini, Rome).
Girolamo Mocetta (1454-1531) travaille sur les effets chromatiques et dans un style monumental. Il se caractérise par un trait fin, quelquefois courbe.
Benedetto Montagna travaille dans le style de Dürer : hachures croisées et lignes courbes. Il cherche à traduire sur ses plaques le sfumato.
Giulio Campagnola (1482-1515) introduit la technique du pointillé. Avec lui la gravure devient un genre artistique autonome.
Titien (1490-1576) : ses xylographies sont monumentales (Le Passage de la mer Rouge en 12 blocs, 1549). « Les Noces mystiques de sainte Catherine présentent des hachures croisées faites par une incision profonde, délicate, plus proche de ce qui se fait à la même période pour les eaux-fortes. »
Marc-Antoine Raimondi (1470 ? - 1534 ?). Les premières gravures s'inspirent de la nielle, et son œuvre va évoluer vers une maîtrise du clair-obscur (Le Songe de Raphaël, 1507). Sa collaboration avec Raphaël marque la naissance de l'estampe de traduction. « Techniquement, la façon d'utiliser le burin apparaît révolutionnaire, car les hachures simples s'accompagnent de hachures croisées, qui créent un clair-obscur bien plus réel avec ajouts d'incisions au burin et de pointillés. »
Hugo de Carpi ; peintre médiocre, mais graveur de génie. Il innove avec le camaïeu ou xylographie chromatique (Raphaël et son amante, Albertina, Vienne). C'est au cours de ses années vénitiennes qu'il expérimente divers procédés : en 1516, il supplie le Sénat et le Doge de protéger son procédé contre les faussaires.
Le baroque
Au cours de cette période, la gravure oscille entre la reproduction et le genre autonome qui puise l'essentiel de son inspiration dans le libertinage, et les fêtes.
Deux précurseurs du mouvement baroque :
Cornelis Cort (1533-1578), né en Hollande, s'installe définitivement à Rome en 1572. Il révolutionne la technique du burin en obtenant des modulations tonales (Noces de Cana, Bibliothèque nationale, Paris), grâce aux variations de forme et à l'épaisseur des traits.
Hendrick Goltzius (1558-1617) connu pour son œuvre gravé ; environ cinq cents estampes gravées au burin (Icare, Fondo Corsini, Rome).
En Italie
Avec les artistes suivants, le baroque s'affirme tant dans les sujets que dans la technique :
L'Annonciation par Federico Barocci (vers 1585)
Federico Barocci dit le Baroche (1528?-1612) associe eau-forte et burin (L'Annonciation, Fondo Corsini, Rome). « Le Baroche applique un vernis à la cire, après la première morsure, sur la partie de paysage formée de traits fins, presque calligraphiques. Il renonce ainsi à plusieurs passages à l'acide qui creuseraient les sillons dans la matrice. Le résultat, appelé procédé à morsures multiples, est totalement révolutionnaire. À cela s'ajoute une façon particulière de graver : les parallèles croisent les transversales dans plusieurs directions, avec des ajouts de pointillés, pour obtenir des effets de lumière vibrante »
Augustin Carrache (1557-1602) est considéré comme l'un des plus grands graveurs du XVII siècle italien (L'Adoration des Mages en sept gravures sur cuivre, 1579). Le travail du burin n'est pas sans rappeler Cort et Goltzius. À partir de 1590, il entreprend des eaux-fortes : les Intermezzi en l'honneur des noces de Ferdinand de Médicis et Christine de Lorraine.
Jusepe de Ribera est considéré comme un grand maître de la gravure du XVII siècle ; cependant sa production s'étale sur un laps de temps très court (1616-1630). Son domaine de prédilection est l'eau-forte avec une prédominance du trait irrégulier (Le Poète, 1620, Rome, ING).
Stefano della Bella (1610-1644) a une production impressionnante : plus de mille gravures, dont la majeure partie sont des eaux-fortes rehaussées au burin et à la pointe sèche (Les Caprices de la mort, c.1648).
Giovanni Benedetto Castiglione (1609-1665) a toujours été considéré comme un autodidacte. « Sa technique de graveur est axée sur la ligne... Il serait l'inventeur de la technique du monotype peut-être liée à ses essais pour créer des effets de lumière ». Castiglione utilisait non le monotype sur fond noir, mais le monotype sur fond blanc (l'Allégorie de l'eucharistie).
En Europe du nord
Anvers et les Flandres sont de véritables pépinières d'artistes ; ces derniers feront, presque tous, le voyage en Italie afin de parfaire leur technique.
Parmi eux, retenons :
Pierre Paul Rubens (1577-1640). « Il a le grand mérite d'avoir fondé l'école des burinistes d'Anvers... Pour lui, l'estampe est un moyen de diffusion et de connaissance... Il utilise essentiellement la gravure comme moyen de traduction. » Deux estampes ont l'inscription de P. Paul Rubens fecit (Vieille femme à la chandelle, Rome, Fondo Corsini).
Cristoffel Jegher (1596-1652) est un grand spécialiste de la gravure sur bois au XVII siècle, technique alors en déclin (Le Jardin d'amour, Waddesdon Manor, Buckinghamshire).
Pieter Claesz Soutman (1580-1657) développe la technique du pointillé au burin ce qui permet de créer des clairs-obscurs.
Hercules Seghers (c. 1590-1638) invente l'eau-forte colorée et l'aquatinte à vernis noir.
Rembrandt Van Rijn (1606-1669) utilise d'abord l'eau-forte puis la pointe sèche. Dans un dernier temps il mélange les deux techniques et joue avec les effets de papier (papier Japon ou parchemin).
En France
La foire de l'Impruneta par Jacques Callot, 1620
Jacques Callot (1592 ? - 1635), formé à Florence, développe l'eau-forte dans d'importantes séries (Les Foires, Les Supplices, Les Misères de la Guerre).Il veut exploiter le maximum de possibilités de la technique et « il décide de remplacer par le vernis dur des maîtres ébénistes florentins, le traditionnel « vernis mou » des aquafortistes. La surface se dilate, les détails apparaissent au sein de grandes perspectives qui créent l'illusion d'un espace à trois dimensions. »
Abraham Bosse (1604-1676), théoricien de la gravure, est l'archétype du graveur baroque français. Son livre est une somme des techniques de gravure de l'époque : tout est décrit minutieusement depuis « la manière de faire le vernis mol », en passant par « la manière de manier les échoppes » et de « se servir de l'eau-forte », avec pour finir « la manière d'imprimer les planches en taille-douce ensemble du moyen d'en construire la presse. »
Jean-Baptiste Réville, (1767-1825)
Le néoclassicisme
L'engouement des collectionneurs du XVIII siècle pour les vues de paysages italiens oriente la production des graveurs tels Vanvitelli (1653-1736), Giuseppe Vasi (1710-1782), Luca Carlevarijs (1663-1730), Marco Ricci (1617-1730). Ce dernier dans ses eaux-fortes introduira les traits minuscules et dentelés afin de traduire les effets de lumière et le mouvement des frondaisons.
Canaletto (1697-1768) essaie de traduire dans ses eaux-fortes les vibrations de la lumière (Caprice avec balcon et galerie sur la lagune, 1763, Windsor Castle, Royal Collection).
Giambattista Tiepolo (1696-1770) et son fils Giandomenico (1727-1804), sont de fabuleux techniciens : hachures, contre-taille, courbes aux ondulations parallèles, pointillisme, lignes parallèles.
L'atelier de Giuseppe Wagner (1706-1786) est important tant au niveau des artistes qui le fréquenteront (Brustolon, Baratti, Zucchi...), que des nouvelles techniques qui y seront mises au point : en particulier la belle manière de graver au burin avec une pointe douce capable de produire un trait net et profond.
Giovanni Battista Piranesi dit Piranese (1720-1778).
Les illustrations de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert montrent combien cet art contribua à populariser la culture.
Au XVIII siècle, la gravure sur cuivre sous ses diverses formes (taille-douce, eau-forte, etc) prédomine. La gravure sur bois se cantonne à l'imagerie populaire.
L'époque moderne
La gravure de reproduction et d'interprétation au XIX siècle : procédure d'impression d'une page illustrée pour un livre ou un journal. L'illustrateur réalise un dessin. Celui-ci est éventuellement une copie d'une peinture ou d'une photographie, ou est éventuellement réalisé à partir d'un croquis envoyé par un correspondant. Ce dessin est ensuite transposé (décalqué) sur un bloc de bois très dur, coupé perpendiculairement aux fibres (bois « de bout »), le plus souvent du buis. Le graveur se charge alors de graver le dessin. Il utilise un burin pour enlever les parties qui ne devront pas être imprimées (les blancs) et « épargne » les parties qui devront être imprimées (les noirs). Il s'agit d'une gravure en relief (taille d'épargne) qui possède le très grand avantage de permettre une impression « typographique », c'est à dire que l'on peut placer le bloc de bois gravé en relief avec les blocs de texte composés de caractères en plomb, eux aussi en relief. On pouvait ainsi imprimer en une seule passe le texte et les illustrations contenus sur une page. On remarque que l'impression inverse l'image (effet miroir).
Reproduction d'une photographie par la gravure. À gauche la photographie originale. À droite la gravure sur bois de bout réalisée d'après la photographie. Gravure publiée dans « Le Monde illustré » en 1875. Dessin : Étienne Bocourt (1821–après 1905), gravure : Léon Chapon (1836–1918), photographie : Géruzet Frères (Bruxelles).
Vue du quartier ancien de la ville de Vesoul au XIX siècle, gravure sur bois debout.
D'une part, l'invention de la lithographie par Aloys Senefelder. La lithographie, basée sur un principe totalement nouveau (l'antagonisme eau-encre grasse, et non plus le relief), permet de dessiner directement, sans avoir à apprendre une technique de gravure ardue. De nombreux peintres et illustrateurs vont ainsi accéder à l'estampe, largement diffusée en Allemagne, en Italie, en France et en Grande-Bretagne.
D'autre part, le Britannique Thomas Bewick remet au goût du jour la gravure sur bois, en mettant au point la gravure sur bois de bout (ou debout). Le bois est gravé au burin, comme le cuivre, ce qui permet toutes les finesses, et qui présente l'avantage d'être une technique en relief : on peut donc imprimer les gravures sur une presse typographique, en même temps que le texte.
Introduite en France par Charles Thompson vers 1818, cette technique est utilisée de manière universelle par l'édition et la presse. Des centaines de graveurs, desquels se détachent de grands noms, comme Héliodore Pisan, François Pannemaker et fils, Hippolyte Lavoignat, travaillent quotidiennement pour interpréter les œuvres des grands illustrateurs comme Honoré Daumier, Gustave Doré, Grandville, entre autres. Avec la croissance de la presse, la gravure sur bois tend à devenir une industrie de reproduction, servie par des techniciens virtuoses, mais souvent dépourvue de créativité.
Les tentatives de retour à une gravure sur bois originale, avec des graveurs comme Auguste Lepère, arrive trop tard à la fin du XIX siècle, la gravure étant supplantée par les techniques basées sur la photographie (similigravure).
La création de sociétés regroupant les graveurs est un des événements importants de la seconde moitié du XIX siècle : Société des aquafortistes en 1862, Société des peintres-graveurs français en 1889. Le modèle en est la Society of Engravers fondée à Londres en 1802.
L'école de Barbizon est à l'initiative de la revue Eau-forte, et expérimente de nouvelles techniques comme le cliché-verre. Millet et Corot vont adopter cette nouvelle technique (Le Petit Berger, Corot, Milan, 1855, A. Bertarelli). Antonio Fontanesi redécouvre l'eau-forte d'invention : il a recours à la morsure à répétition (effets de lumière). Il utilise aussi le cliché-verre.
Quelques noms
Giovanni Fattori (1825-1908) est un des grands maîtres de l'eau-forte, ce qui fera dire à Baudelaire : « parmi les expressions de l'art plastique, l'eau-forte est celle qui se rapproche le plus de l'expression littéraire et qui est la mieux faite pour l'homme spontané. »
Whistler (1834-1903) est initié à la gravure avec Fantin-Latour, Courbet, et Legros. Il débutera par l'eau-forte pour ensuite travailler la pointe sèche en 1871 (Portrait de la famille Leyland). Francis Hayden (1818-1910), mixera les techniques pour traduire les effets d'atmosphère : pointe sèche, brunissoir, morsure, aquatinte.
Les impressionnistes, comme Manet vont utiliser gravure et lithographie afin de traduire une atmosphère (la danseuse Lola de Valence, Paris, Bibliothèque nationale). Degas fera de même en y ajoutant le monotype (Femme à sa toilette, 1885, Paris, bibliothèque d'Art et d'Archéologie). Pissarro est plus amateur de gravure sur bois (Femmes faisant de l'herbe, 1895). Il ne faut pas oublier Pierre Renoir, Paul Cézanne, Vincent van Gogh. Quant à Paul Gauguin (1848-1903), il a une prédilection pour la gravure sur bois (Te Faruru, 1893, Chicago, Art Institute).
Mont-Blanc par Félix Vallotton (1892).
Débarrassée de ses contraintes utilitaires, la gravure revient à un pur domaine artistique, retrouvant et modernisant les techniques traditionnelles. Le XX siècle redécouvre le bois de fil, sa simplicité et sa valeur expressive, avec des artistes comme Félix Vallotton (La Manifestation, Lausanne, galerie Vallotton) et Edvard Munch.
Les artistes des mouvements Die Brücke et du Blaue Reiter sont attirés par la gravure sur bois où ils peuvent jouer avec la simplification des formes.
Matisse expérimente toutes les techniques : xylogravure, eau-forte, pointe sèche (Henri Matisse gravant, 1900), lithographie (Grande Odalisque avec pantalon à bayadère, 1925, Berne, E.W.K. collection), aquatinte et linogravure.
Giorgio Morandi (1890-1964) « parvient à fusionner une lumière génératrice de la forme, un volume qui la construit plastiquement et une couleur qui permet de la distinguer en se plaçant comme ton ou "couleur position". » Maîtrise du trait, morsure unique grâce au mordant hollandais lui permettent de transcrire les flots de lumière.
Picasso (1881-1973) a énormément gravé : pas moins de deux mille œuvres connues. Initié par Roger Lacourière en 1933 au burin et à l'aquatinte avec du sucre, il créera la Suite Vollard. Il essaie tous les procédés et les renouvelle : les différents états nous montrent un artiste perfectionniste.
Georges Gimel (1898-1962), à partir de 1921, réalise de nombreux bois gravés au burin et des aquatintes au sel pour des illustrations : Musiciens, préface d’André Cœuroy, portrait de Déodat de Séverac, retenu par la Bibliothèque nationale de France. Il met au point des xylographies avec lesquelles il exécute des tissus imprimés pour la décoration et pour la haute couture.
Claude Jumelet (1946- ) Ancien élève de l'École Estienne. Graveur taille-doucier très récompensé, maître-graveur à l'Imprimerie des Timbres-poste de Périgueux. Membre d'Art du timbre gravé.
Jacky Larrivière (1946- ) Idem ci-dessus.
L'utilisation de nouveaux matériaux et de nouveaux procédés, notamment dans les œuvres de Jean Fautrier, Raoul Ubac, Johnny Friedlaender, Stanley Hayter, Henri-Georges Adam, Roger Vieillard, Marcel Fiorini, Louttre.B ou Pierre Courtin, libère la gravure de toute subordination au dessin ou à la peinture et, l'engageant dans la reconnaissance de ses moyens spécifiques, assure l'entière autonomie de son expression.
La gravure contemporaine en France
Les ateliers de gravure, comme celui de Stanley William Hayter (Atelier 17), de Joëlle Serve (atelier 63), de tirage comme l'atelier Lacourière-Frélaut vont participer au renouveau de la gravure. Philippe Mohlitz ou Érik Desmazières remettent à l'honneur le burin, Mario Avati la manière noire, Philippe Favier la pointe sèche, et de nombreux artistes jeunes et moins jeunes s'intéressent à la gravure pour la variété des techniques et leurs multiples combinaisons. Un débouché existe dans la gravure en taille-douce de certains timbres-poste avec les anciens élèves issus de l'École Estienne groupés dans l'association Art du timbre gravé.
La gravure au cinéma
2012 : Goltzius et la Compagnie du Pélican de Peter Greenaway, raconte l'histoire du peintre et graveur néerlandais Hendrik Goltzius.
2014 : Visite à Hokusai de Jean-Pierre Limosin. Documentaire de 51 minutes produit par Arte et Zadig Productions.