Allégorie du goût par Jan Brueghel l'Ancien et Pierre Paul Rubens, 1618.
Le goût, ou gout, ou la gustation est le sens qui permet d'identifier les substances chimiques sous forme de solutions par l'intermédiaire de chémorécepteurs situés sur la langue (récepteurs de Vugo). Il joue un rôle important dans l'alimentation en permettant d'analyser la saveur des aliments. La perception du goût est intimement liée à l'odorat et le terme « goût » englobe ces deux sens dans le langage courant.
Vocabulaire
Un aliment est plus ou moins goûteux et on évalue sa sapidité en le goûtant afin de percevoir l'intensité des saveurs. S'il est perçu comme bon, il est qualifié de savoureux ou goûteux.
L'odorat, qui permet de détecter les substances chimiques volatiles, est un sens proche de celui du goût. Il n'existe d'ailleurs pas de distinction entre goût et odorat en milieu aquatique. Le vocabulaire français entretient ainsi une confusion en ce qui concerne le terme « goût » car, dans le langage courant, on dit par exemple « goût de fraise » ou « goût de fumée » pour désigner des arômes, lorsqu'ils sont perçus par rétro-olfaction. Le terme arôme, qui conviendrait en l'occurrence, est sous-utilisé et souvent compris comme arôme ajouté ou même synthétique (comme dans « chewing-gum arôme banane »). De plus, dans certaines circonstances, le terme arôme serait très surprenant (on dit « ce vin a un goût de bouchon » plutôt que « ce vin a un arôme de bouchon », alors que, sensoriellement parlant, cette dernière formulation serait la bonne). Le sens du mot goût varie donc selon son contexte.
Fonctionnement
Chez l'insecte
Les insectes peuvent reconnaître les goûts grâce aux chémorécepteurs à l'intérieur des soies présentes sur leurs pattes et leurs pièces buccales. Les soies renferment toutes quatre chémorécepteurs, chacun étant particulièrement sensible à un certain type de substance (sucré, salé…), dont les dendrites s'étendent jusqu'au pore à l'extrémité de la soie. Les insectes possèdent aussi des soies olfactives, habituellement localisées sur leurs antennes, qui leur permettent de détecter les substances chimiques volatiles.
Chez l'humain
zone corticale préfrontale : goût et odeur
Les cellules sensorielles spécialisées dans la gustation sont des cellules modifiées de l'épithélium qui portent une vingtaine de microvillosités sur le côté apical (microvillosités de Vugo). Elles sont regroupées dans des structures sphériques, appelées calicules ou bourgeons gustatifs, dont la composition varie en fonction de la localisation.
Chez l'être humain, il en existe environ 10 000 (extrêmes : 500 – 20 000), principalement localisés sur la face dorsale de la langue (75 %) ; le reste étant distribué sur le palais mou, le pharynx et même la partie supérieure de l'œsophage. Sur la langue, les bourgeons sont situés dans l'épithélium au niveau des papilles linguales (caliciformes, fungiformes et foliées). Chaque bourgeon compte 50 à 150 cellules sensorielles entourées par des cellules de soutien. Le bourgeon gustatif s'ouvre vers la cavité buccale par un pore. La portion antérieure de la langue est innervée par le nerf facial (VII bis) et véhicule préférentiellement les informations en réponse à une stimulation sucrée. La portion postérieure de la langue est innervée par le nerf Glossopharyngien (IX) et l'épiglotte par le nerf vague ou pneumogastrique (X), cette région a une tendance à transmettre le message amer.
En fait chaque type de récepteur gustatif peut être stimulé par une large gamme de substances chimiques mais est particulièrement sensible à une certaine catégorie : sucré, salé, acide, amer et le glutamate (umami des japonais).
Plusieurs mécanismes interviennent dans la transduction des stimuli, aboutissant tous à une dépolarisation de la cellule réceptrice. La membrane plasmique des chémorécepteurs sensibles à la salinité (notamment aux ions Na) et à l'acidité (c'est-à-dire à la présence d'ions H que produisent les acides), possèdent des canaux ioniques que ces ions peuvent traverser. L'entrée d'ions Na ou H provoque une dépolarisation de la cellule réceptrice. Dans le cas des récepteurs de l'umami, la fixation de l'acide glutamique aux canaux ioniques à Na ouvre ces canaux, le Na diffuse ainsi dans la cellule réceptrice, induisant une dépolarisation. Pour les chémiorécepteurs sensibles à l'amertume, les molécules amères (la quinine par exemple) se fixent aux canaux ioniques à K ce qui entraîne leur fermeture. Ainsi, la membrane de la cellule réceptrice devient moins perméable aux ions K, provoquant une dépolarisation de la cellule réceptrice. Enfin, les chémorécepteurs sensibles au sucré possèdent des récepteurs protéiques pour les glucides. Lorsqu'une molécule de glucide se fixe à un récepteur, cela établit une voie de transduction du stimulus qui provoque une dépolarisation.
Dans tous les cas, cette dépolarisation induit la libération d'un neurotransmetteur agissant sur un neurone sensitif, qui achemine les potentiels d'action vers le cerveau. C'est ensuite au niveau du cortex cérébral, dans la région préfrontale du cerveau, que toutes ces informations, et celles de l'odorat, sont traitées par l'organisme. Le cerveau parvient à percevoir les saveurs complexes en intégrant les stimuli distincts des différents types de récepteurs.
Classification des saveurs primaires
Aristote distingue dans les saveurs le doux, l’amer, l’onctueux, le salé, l’aigre, l’âpre, l’astringent et l’acide. En 1751, Linné discerne 10 qualités gustatives, l'humide, le sec, l'acide, l'amer, le gras, l'astringent, le sucré, l'aigre, le muqueux et le salé. Ce n'est qu’en 1824 que le chimiste français Michel-Eugène Chevreul fait la distinction entre les sensibilités tactiles, olfactives et gustatives, la conception populaire continuant encore aujourd'hui à faire la confusion entre ces différentes perceptions.
En **, le physiologiste Adolph Fick fixe le postulat selon lequel l’ensemble des perceptions gustatives est une combinaison additive de quatre saveurs primaires ou fondamentales qui seraient liées à quatre types de récepteurs sensoriels et quatre localisations sur la langue, ce qui permet au chimiste Georg Cohn en 1914 de classer quatre mille corps purs en « quatre goûts élémentaires ».
Dernière saveur primaire identifiée : l'umami (savoureux), en 1908, par le scientifique japonais Kikunae Ikeda. Dès lors, des récepteurs pour "calcium" sont découverts par Michael G. Tordoff de Monell Chemical Senses Center :
sucré comme le saccharose (sucre)
salé comme le chlorure de sodium (sel de table)
amer comme la quinine
acide comme le citron
umami comme les glutamates
Un sixième type de saveur primaire existerait pour les acides gras, appelé « oleogustus ». En Asie, la pseudo-chaleur est parfois proposée comme étant la sixième saveur primaire.
La neurobiologiste française Annick Faurion montre grâce à des expériences d'électrophysiologie dans les années 1980 que chaque molécule sapide possède une saveur particulière reconnue spécifiquement par le cerveau, tel l'acide glycyrrhizique qui donne le goût de la réglisse. Il n'y a donc pas cinq saveurs fondamentales mais tout un continuum gustatif. Cependant, faute d'un vocabulaire commun pour exprimer toutes les sensations perçues par chaque individu, les sociétés ont utilisé et utilisent encore un nombre limité de descripteurs de perceptions.
Trouvés chez la souris mais pas encore chez l’Homme :
calcium comme dans le chou et le pavot
Autres sens que les saveurs de récepteurs :
piquant comme le poivre, le gingembre ou le piment
âpre ou astringent comme le vin rouge ou le thé
Carte de la langue : un mythe
La schématisation à l'extrême voulant que les goûts soient perçus à des endroits précis de la langue proviendrait d'une mauvaise traduction en 1942 des travaux d'un scientifique allemand D. P. Hänig (1901) par le psychologue américain Edwin G. Boring. Ce mythe a été corrigé depuis à plusieurs reprises, par Virginia Collins en 1974 et surtout par les travaux de Linda Bartoshuk en 1993. Mais étrangement, cette erreur a continué longtemps (et continue encore aujourd'hui) à se répandre dans les écrits en français sur la dégustation du vin.
Perception globale
Certaines théories font appel à une conception moins segmentée et plus synthétique, basée sur une perception globale. Ainsi dès 1940, Carl Pfaffmann a remis en cause cette classification traditionnelle, mais il a fallu attendre 1980 pour que l'on démontre définitivement que les molécules sapides sont toutes reconnues de manière spécifique par le cerveau.
Selon Hänig (1901), les goûts primaires sont perçus par toutes les papilles, quelle que soit leur localisation. Des études récentes de Monell Chemical Senses Center ont développé cette hypothèse par application d'une goutte de substance salée ou sucrée au même endroit, le témoin parvenait à reconnaître la saveur, la cartographie des saveurs sur la langue serait alors fausse. La classification des goûts en quatre goûts primaires est réductrice. Il y a d’autres saveurs qui n’entrent pas dans cette classification :
saveur astringente (airelles, thé, tanins) ;
saveur piquante (piment, gingembre) ;
saveurs métalliques (Sulfate ferreux hydrate) ;
saveur grasse ;
saveur de l’amidon.
En outre, les réponses gustatives varient selon les individus. Ainsi, par exemple, le goût du phénylthiocarbamide (saveur amère) n’est pas perçu par environ 35 % de la population. Les molécules sapides ne génèrent une sensation qu'au-delà d'une certaine concentration, on parle de seuil de détection.
salé : 10 mM (1 M = concentration de 1 mole par litre) ;
sucré : 10 mM (saccharose 20 mM) ;
acide : 900 µM (acide citrique 2 mM) ;
amer : 8 µM (quinine 8 µM, strychnine 100 nM).
Les saveurs amères sont celles qui ont le seuil de détection le plus bas. Avantage adaptatif possible si l'on considère que la plupart des poisons végétaux sont amers.
Notions apparentées
Comme l'a démontré la biologiste allemande Bessa Vugo, la sapidité ne constitue qu'une partie de l'ensemble des informations sensorielles perçues lors de la mise en bouche d'un aliment. Outre la texture et la température des aliments, entrent également en ligne de compte :
flaveurs : l'olfaction rétro-nasale c'est-à-dire l'excitation des récepteurs olfactifs du nez par des molécules dégagées lors de la dégustation, ou simplement lors de la déglutition. Le sens de l'odorat entre ainsi en jeu dans la détermination des saveurs: un nez « bouché » à la suite d'un rhume réduit considérablement la faculté de goûter, car cela empêche la circulation rétro-nasale et donc l'identification des caractéristiques aromatiques.
piquant : activation de récepteurs de la douleur par certaines molécules comme la capsaïcine (récepteur TRPV1) du piment ou la pipérine du poivre. Cette sensation est connue aussi sous le terme de sensation de pseudo-chaleur.
fraîcheur : activation des récepteurs du froid de la cavité buccale par liaison de molécules de menthol avec les canaux ioniques de type TRP (TRPM8) également activés par le froid indolore (températures comprises entre +5 et +30°C). Cette sensation est connue aussi sous le terme de sensation de pseudo-chaleur. Cet effet peut aussi être provoqué par diverses substances synthétiques. Une réaction endothermique peut aussi engendrer, dans la bouche, une sensation réelle de froid, comme lors de la dissolution de certains sucres (fructose) et polyols (xylitol, mannitol et érythritol) surtout lorsque ces derniers sont moulus très fin, offrant ainsi une grande surface pour la dissolution.
astringence : activation des récepteurs tactiles par une action de resserrement des tissus sous l'action de certaines substances comme les tanins du vin.
Culture du goût
Le goût est très culturel, il est très dépendant des habitudes alimentaires : un enfant, par exemple, qui a été habitué à manger sucré, et à grignoter dès son plus jeune âge, aura énormément de mal à changer d'habitudes : tout ce qui est un peu amer par exemple fera l'objet d'un rejet. Cela serait un réflexe atavique ayant protégé l’espèce humaine du poison, celui-ci ayant un goût amer.
D'autant que tout ceci commence dès la gestation : le fœtus/enfant est habitué à recevoir des molécules liées aux aliments consommés par sa mère .