Le plutonium est un métal transuranien de symbole chimique Pu et de numéro atomique 94. Très dense (densité : 19,84), radioactif et toxique, il est découvert aux États-Unis par Glenn Seaborg, Edwin McMillan, Joseph William Kennedy et Arthur Wahl en 1940.
Il est essentiellement produit dans le cœur des réacteurs nucléaires : sous l'effet du flux de neutrons, une partie de l'uranium qui compose le combustible nucléaire se transforme par capture neutronique. Le plutonium est aussi présent naturellement, sur Terre, à l'état de traces : 4 à 30 kg de Pu seraient produits chaque année, par rayonnement alpha provenant d'uranium sur des éléments plus légers et par bombardement cosmique.
De même que l'uranium 235, le plutonium 239 est une matière fissible par des neutrons thermiques, qui est utilisée dans la fabrication d'armes nucléaires et la production d'énergie dans certaines centrales nucléaires. Son isotope 238, très fortement radioactif, sert également à l'élaboration de générateurs thermoélectriques à radioisotope.
C'est un cœur de plutonium qui a servi pour réaliser la première explosion atomique, l'essai Trinity, ainsi que Fat Man, la seconde (et à ce jour dernière) utilisation opérationnelle d'une bombe atomique sur Nagasaki (la bombe Little Boy larguée sur Hiroshima avait un cœur en uranium enrichi).
Origine
Le plutonium est un élément chimique qui est des plus rares dans la nature et presque exclusivement produit par l'homme de 1940 à nos jours. C'est le deuxième des transuraniens à avoir été découvert.
L'isotope Pu a été produit en 1940 en bombardant une cible d'uranium par du deutérium au cyclotron de Berkeley. Durant le projet Manhattan, le plutonium 239 avait le nom de code 49, le '4' étant le dernier chiffre de 94 (le numéro atomique) et le '9', le dernier chiffre de 239, la masse atomique de l'isotope utilisé pour la bombe, le Pu.
Il n'y a pratiquement plus de plutonium en quantités significatives remontant à une nucléosynthèse primordiale. On le trouve cependant encore dans des terres rares sous forme de très faibles traces de Pu, ce qui en fait l'élément naturel le plus lourd identifié à ce jour.
Par ailleurs, on trouve des traces de Pu dans les minerais d'uranium naturel (de même que du neptunium), où il résulte de l'irradiation de l'uranium par le très faible taux de neutrons créés par la désintégration spontanée de l'uranium.
Il a été produit plus massivement (et existe encore en quantités infimes) sous forme de Pu dans des structures géologiques particulières, où de l'uranium a été naturellement concentré par des processus géologiques il y a environ 2 milliards d'années, pour atteindre une criticité suffisante pour engendrer une réaction nucléaire naturelle. Son taux de formation dans le minerai d'uranium a ainsi été accéléré par des réactions nucléaires rendues possibles par un accident de criticité naturel. C'est le cas sur le site du réacteur nucléaire naturel d'Oklo.
Description
Propriétés physiques et chimiques
Échantillon de plutonium.
Le plutonium est un métal de la série des actinides. Son aspect est gris argenté, mais il se ternit rapidement à l'air libre, devenant généralement gris, parfois verdâtre ou jaunâtre sa couleur apparente est en fonction de l'épaisseur de la couche d'oxydes.
Il est relativement mou, très dense (densité : 19,84), solide à température ambiante mais à point de fusion relativement bas (**0 °C) et à une température d'ébullition exceptionnellement élevée (3 327 °C). Contrairement à la plupart des matériaux, sa densité s'accroît (de 2,5 %) à la fusion, si bien qu'un lingot de plutonium flotte à la surface du métal en fusion, de même que la glace sur l'eau. La densité du métal solide décroît ensuite linéairement avec la température. Autour de sa température de fusion, le plutonium liquide présente une très forte viscosité et une tension superficielle élevée par comparaison avec d'autres métaux.
Contrairement à la plupart des métaux, c'est un mauvais conducteur de la chaleur et de l'électricité. Sa conductivité électrique décroît quand la température baisse, ce qui est très atypique pour un métal. Cette tendance se prolonge jusqu'à 100 K, puis la conductivité croît pour des échantillons récemment préparés. Aux alentours de 20 K, la résistivité croît avec le temps sous l'effet des radiations alpha, qui disloquent le réseau cristallin ; cet effet varie suivant la composition isotopique de l'échantillon.
Le mouvement des atomes sous l'effet de l'auto-irradiation du plutonium disloque progressivement sa structure cristalline par accumulation de défauts cristallins. Cependant, l'auto-irradiation peut également chauffer suffisamment l'échantillon pour conduire à un recuit, ce qui contrebalance l'effet précédent pour des températures supérieures à 1000 K .
Métallurgie
Le plutonium présente six états allotropiques à pression ambiante : alpha (α), beta (β), gamma (γ), delta (δ), delta prime (δ'), & epsilon (ε)
Le plutonium présente six états allotropiques dans les conditions normales de pression. Une septième forme (zeta, ζ) se rencontre à haute température, mais dans un intervalle de pression limité.
Ces allotropes ont des énergies internes très proches, mais des structures cristallines et des densités très différentes : les densités de ces formes allotropes varient de 16,00 g·cm à 19,86 g·cm . Ceci rend le plutonium très sensible à des changements de température, de pression, ou de pollution chimique, et la transition de phase d'un état à l'autre peut conduire à des changements de volume très importants.
L'existence de ces nombreux allotropes rend très difficile l'usinage du métal, parce que ses propriétés physiques changent très facilement. Par exemple, à température ambiante, il se trouve dans sa forme alpha : une structure monoclinique de faible symétrie, qui de ce fait est dure et cassante comme de la fonte grise, compressible, et d'une conductivité médiocre. Mais à une température légèrement supérieure, il passe en forme β, qui est au contraire malléable et plastique. Les raisons d'un comportement aussi complexe ne sont pas entièrement comprises.
Le plutonium pur se trouve dans sa forme δ entre 310 °C et 452 °C. Cependant, cette forme est stable à température ambiante quand le plutonium est allié avec une faible proportion de gallium, d'aluminium, ou de cérium, ce qui permet son usinage et son soudage. La phase delta, de type cubique à face centrée, présente de plus une forte anisotropie de son élasticité, qui peut varier d'un facteur six à sept suivant les directions. Les propriétés physiques de cette forme delta sont plus celles d'un métal classique, elle est à peu près aussi résistante et malléable que de l'aluminium. Sur le plan métallurgique, travailler en phase delta stabilisée permet d'éviter la contraction très importante du changement de phase au refroidissement, qui déformerait des pièces de fonderie en plutonium pur. De même, la stabilisation fait disparaitre la transition de phase inverse, qui pourrait apparaitre sur des pièces de plutonium pur à la suite d'un chauffage accidentel, entrainant des gonflements et des distorsions de la pièce.
Dans les armes à fission, l'onde de choc qui comprime le noyau (au-delà de quelques dizaines de kilobars) provoque également une transition de la phase delta vers la forme alpha, nettement plus dense, ce qui permet d'atteindre plus facilement la criticité.
Propriétés chimiques
La pyrophoricité du plutonium peut le faire apparaître comme une braise dans certaines conditions.
Le plutonium réagit avec l'oxygène, la vapeur d'eau et les acides, le carbone, les halogènes, l'azote et le silicium.
Exposé à de l'air humide, il forme des oxydes et des hydrures qui le font augmenter de volume de près de 70 %, ce qui disloque et pulvérise sa surface, et peut le conduire à des combustions spontanées.
Il ne réagit pas avec les bases.
Il présente quatre états d'oxydation principaux.
Dioxyde de plutonium
Le dioxyde de plutonium PuO2 est, pour les radiochimistes, la forme la plus pratique pour manipuler le plutonium. Découvert en 1940 par les chimistes américains partis sur le chemin de la bombe atomique, on le retrouve pour le recyclage des combustibles nucléaires, la confection des ogives ou le stockage des déchets radioactifs. Il s'agit d'une poudre de cristaux jaune-vert.
Il a longtemps été considéré comme inoxydable.
En France, le dioxyde de plutonium est stocké en surface, dans des boites étanches, pour être ensuite réutilisé dans des centrales ordinaires, en entrant dans la composition du combustible MOX (Mixed OXyde).
Propriétés radiologiques
Le plutonium est un métal très radioactif (selon la composition isotopique, les isotopes 238 et 241 étant de très loin beaucoup plus radioactifs que l'isotope 239).
Il se désintègre principalement par radioactivité α, avec une intensité suffisante pour produire une chaleur sensible : avec une demi-vie de 24 000 ans pour le Pu dit « de qualité militaire », un cœur typique d'arme nucléaire de 5 kg contient 12,5×10 atomes et se désintègre au rythme de 11,5×10 désintégrations par seconde (becquerels) en émettant des particules alpha ; ce qui correspond globalement à une puissance de 9,68 watts.
Il y a 15 isotopes connus. Les isotopes les plus produits en réacteurs sont les isotopes 238, 239, 240, 241, 242. Tous sont radioactifs. Les isotopes de numéro atomique impair (239 et 241) sont fissiles en spectre thermique (réacteurs actuellement en production).
Production
Plutonium 239 et isotopes supérieurs
L'irradiation de l'uranium 238 dans les réacteurs nucléaires génère du plutonium 239 par capture de neutrons. Dans un premier temps, un atome d'uranium 238 capture un neutron et se transforme transitoirement en uranium 239. Cette réaction de capture est plus facile avec des neutrons rapides qu'avec des neutrons thermiques, mais est présente dans les deux cas.
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L'uranium 239 formé est fortement instable. Il se transforme rapidement (avec une demi-vie de 23,5 minutes) en neptunium par radioactivité β- :
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Le neptunium 239 est également instable, et subit à son tour une décroissance β- (avec une demi-vie de 2,36 jours) qui le transforme en plutonium 239 relativement stable (demi-vie de 24 000 ans).
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Le plutonium 239 est fissile, et il peut donc contribuer à la réaction en chaine du réacteur. De ce fait, pour le bilan énergétique d'un réacteur nucléaire, le potentiel énergétique de l'uranium présent dans le réacteur comprend non seulement celui de l'uranium 235 initialement présent, mais également celui de l'uranium 238 fertile qui aura été transmuté en plutonium.
Soumis à un flux neutronique en réacteur, le plutonium 239 peut également capturer un neutron sans subir de fission. Quand le combustible subit des périodes d'irradiation de plus en plus longues, les isotopes supérieurs s'accumulent de cette manière, en raison de l'absorption de neutrons par le plutonium 239 et ses produits. Il se forme ainsi des isotopes Pu, Pu, Pu, jusqu'au Pu instable qui se désintègre en américium 243.
L'isotope intéressant par son caractère fissile est le Pu, relativement stable à échelle humaine (24 000 ans).
L'isotope suivant, le Pu, est simplement fertile, et présente une radioactivité "seulement" quatre fois plus élevée (6 500 ans).
Le Pu est également fissile, mais extrêmement radioactif (demi-vie de 14 ans). En outre il se désintègre en produisant de l'américium 241 neutrophage, qui réduit par son accumulation éventuelle l'efficacité des dispositifs nucléaires militaires ou civils.
Le Pu a une durée de vie beaucoup plus longue que les précédents (373 000 ans). Il n'est pas fissile en neutrons thermiques. Sa section efficace est beaucoup plus faible que celle des autres isotopes ; le recyclage successif du plutonium en réacteur tend donc à accumuler le plutonium sous cette forme très peu fertile.
Le rythme de production d'un isotope dépend de la disponibilité de son précurseur, qui doit avoir eu le temps de s'accumuler.
Dans un combustible neuf, le Pu se forme donc linéairement en fonction du temps, la proportion de Pu augmente suivant une loi au carré du temps (en t), celle de Pu suivant une loi au cube du temps (en t), et ainsi de suite.
Ainsi, quand on utilise un réacteur spécifique pour la fabrication du « plutonium militaire », le combustible utilisé pour la production du plutonium aussi bien que les cibles et la couverture s'il y en a, sont extraits après un bref séjour (quelques semaines) dans le réacteur afin d'avoir l'assurance que le plutonium 239 est aussi pur que possible.
En revanche, pour des usages civils, une brève irradiation n'extrait pas toute l'énergie que le combustible peut produire. On n'enlève donc le combustible des réacteurs électrogènes qu'après un séjour beaucoup plus long (3 ou 4 ans).
En première approximation, un réacteur produit typiquement 0,8 atome de Pu pour chaque fission de U, soit un gramme de plutonium par jour et par MW de puissance thermique (les réacteurs à eau légère produisant moins que les graphite-gaz). Ainsi, en France, les réacteurs nucléaires produisent chaque année environ 11 tonnes de plutonium.
Plutonium 244
Le plutonium 244, l'isotope le plus stable d'une demi-vie de 80 millions d'années, ne se forme pas dans les réacteurs nucléaires. En effet, les captures neutroniques successives partant de l'uranium 239 conduisent au Pu, de très faible demi-vie (de l'ordre de cinq heures). Même dans des réacteurs "à haut flux", le Pu se transforme rapidement en Am, sans avoir le temps de capturer un neutron supplémentaire pour former le Pu.
En revanche, des flux neutroniques plus importants permettent cette formation. Il est synthétisé lors des explosions nucléaires ou par nucléosynthèse stellaire lors de l'explosion d'une supernova. Ainsi, en 1952, l'explosion de la bombe thermonucléaire américaine la plus puissante a ainsi produit deux radioéléments alors encore inconnus : le plutonium 244 (Pu) et le plutonium 246 (Pu). Les traces de Pu dans l'environnement sont généralement attribuées aux essais nucléaires atmosphériques ainsi qu'à des reliquats de Pu primordial.
Plutonium 238
Chargement d'un générateur thermoélectrique à radioisotope au plutonium 238 sur le module lunaire Apollo.
Dans les centrales nucléaires, du plutonium 238 est formé parallèlement au plutonium 239, par la chaîne de transformation commençant par l'uranium 235 fissible.
L'uranium 235 qui capture un neutron thermique peut se stabiliser par émission d'un rayonnement γ dans 16 % des cas. Il forme alors un atome d'U 236, relativement stable (demi-vie de 23 million d'années).
Une deuxième capture neutronique le transforme en U 237 (pour mémoire, des atomes d'U 238 peuvent également subir une réaction (n, 2n) qui les transforment en U 237 par perte d'un neutron). L'uranium 237 est instable avec une demi-vie de 6,75 jours, et se transforme par émission β- en neptunium 237, relativement stable (demi-vie de 2,2 millions d'années).
Une troisième capture neutronique transforme le noyau en neptunium 238, instable de demi-vie 2,1 jours, qui se transforme en plutonium 238 par émission β-.
Le plutonium 238, d'une demi-vie de 86,41 ans, est un émetteur très puissant de rayonnement α. En raison de son activité massique alpha et gamma élevée, il est utilisé comme source de neutrons (par "réaction alpha" avec des éléments légers), comme source de chaleur et comme source d'énergie électrique (par la conversion de la chaleur en électricité). Les utilisations du Pu 238 pour produire de l'électricité sont cantonnées aux utilisations spatiales, et par le passé à certains stimulateurs cardiaques.
On prépare le plutonium 238 à partir de l'irradiation neutronique du neptunium 237, un actinide mineur récupéré pendant le retraitement ou à partir de l'irradiation de l'américium, en réacteur. Dans les deux cas, pour extraire le plutonium 238 des cibles, on les soumet à un traitement chimique, comportant une dissolution nitrique.
Il n'y a qu'environ 700 g/t de neptunium 237 dans le combustible des réacteurs à eau ordinaire irradié pendant 3 ans, et il faut l'extraire sélectivement.
Stocks mondiaux
Après près de 70 ans d'une production mondiale toujours croissante, les stocks déclarés de plutonium atteignent un total de 500 tonnes à la fin de l'année 2013, dont 52% d'origine civile et 48% militaire. Les stocks déclarés sont essentiellement répartis entre 5 pays :
Russie : 178 tonnes soit 35,6%
Royaume-Uni : 107,2 tonnes soit 21,4%
États-Unis : 88,3 tonnes soit 17,7%
France : 66,2 tonnes soit 13,2%
Japon : 47,1 tonnes soit 9,4%
Reste du monde : 13 tonnes soit 3%
Aspects industriels et militaires
Combustible nucléaire
Le plutonium est un sous-produit de fonctionnement de centrales nucléaires civiles, avec divers actinides.
Lorsqu'il est produit dans les réacteurs civils, il est considéré comme déchet par certains pays et comme matière valorisable par d'autres (dont la France).
En effet, le combustible usé déchargé des réacteurs peut être retraité afin d'en isoler le plutonium, qui est alors mélangé avec de l’uranium appauvri (issu de l'étape initiale d'enrichissement) pour former du combustible MOX.
En faibles quantités, le plutonium 238 est utilisé dans les générateurs thermoélectriques à radioisotope.
Retraitement
Une fois le combustible, les cibles et la couverture enlevés du réacteur dans lequel ils ont été irradiés, ils subissent un traitement chimique, qui s'appelle le retraitement des combustibles irradiés, dans une usine ou un atelier pour séparer le plutonium.
Les deux plus grandes installations mondiales recyclant le plutonium sont basées à la Hague en France, et à Sellafield au Royaume-uni où selon l'IRSN une fuite importante de plutonium (et d'uranium) a eu lieu en 2005 à la suite d'une rupture de soudure dans une des cuves de retraitement.
Contrôle des matières nucléaires
Le plutonium est aussi produit à des fins militaires dans des installations spécialisées ou dans des réacteurs électrogènes selon les pays. Il est alors utilisé pour fabriquer des armes nucléaires. Il faut environ 5 kg de plutonium 239 pour obtenir une bombe nucléaire. En tant qu'élément utile à la fabrication d'arme de destruction massive, il est suivi par divers textes et conventions internationales.
En France, le plutonium est une matière nucléaire dont la détention est réglementée (Article R1333-1 du code de la défense).
Aspects médicaux
Radiotoxicité
Le plutonium répond aux définitions admises de « polluant ». Il fait partie des éléments présentant une « radiotoxicité très élevée ».
Ce métal est normalement absent dans la nature à la surface du globe, mais il a été produit et diffusé en quantité significative et encore mesurable dans l'atmosphère et la biosphère, essentiellement dans les années 1945 à 1970 par les essais et tirs nucléaires (et marginalement avec aussi des retombées plus locales ou régionales lors de la catastrophe de Tchernobyl).
Tous les isotopes et composés du plutonium sont toxiques et radioactifs.
Ce qui le rend dangereux est d'une part sa forte activité spécifique, et d'autre part l'énergie de ses émissions alpha qui est de l'ordre de 5 MeV. Le plutonium est d'autant plus dangereux que sa période radioactive est courte: le Pu 239 est comparativement quatre fois moins radioactif que le Pu 240. Le radio-isotope le plus dangereux est le Pu 241, qui est extrêmement radioactif (mille fois plus que les précédents), est un émetteur β- (donc plus pénétrant que les particules alpha), et présente dans sa chaine radioactive des émetteurs de rayons gamma durs particulièrement dangereux, comme l'américium 241. Paradoxalement, c'est donc le plutonium dit « de qualité militaire », formé essentiellement de Pu 239, qui est le moins dangereux en termes de radiotoxicité : il est relativement stable, et peut être manipulé avec des gants épais.
Isotope Activité spécifique (Curie/g) Activité spécifique (x 10 Bq/g) Radiotoxicité en ingestion (µSv/Bq) pour âge< 1 an Radiotoxicité en ingestion (Sv/µg) Radiotoxicité "M" en inhalation (µSv/Bq) pour âge< 1 an Pu 238 17,3 **0 4 2,56 78 Pu 239 0,063 2,3 4,2 0,01 80 Pu 240 0,23 8.5 4,2 0,035 80 Pu 241 104 3848 0,056 0,215 0,91
Sur le plan scientifique, la dose mortelle par syndrome d'irradiation aiguë constatée sur les expérimentations in vivo est de l'ordre de 400 à 4 000 µg⋅kg en une seule prise (une contamination chronique ayant des effets plus diffus). On estime de ce fait qu'une quantité de l'ordre d'une dizaine de milligrammes provoque le décès d'une personne ayant inhalé en une seule fois des oxydes de plutonium. En effet les tests effectués sur des babouins et des chiens conduisent à estimer pour l'homme une mortalité de 50 % : au bout de 30 jours avec 9 mg, au bout d'un an avec 0,9 mg et 1000 jours avec 0,4 mg.
L'apparition de tumeurs pulmonaires a été mise en évidence chez le chien et le rat après inhalation de composés peu solubles tels que les oxydes de plutonium : la relation dose-effet mise en évidence comporte un seuil d'apparition des tumeurs pour une dose au poumon autour de 1 Gy. Ce seuil d'apparition des tumeurs correspondrait chez l'homme à un dépôt pulmonaire d'environ 200 000 Bq (soit 87 μg) d'oxyde de Pu 239.
Radioprotection
Le principal danger que présente le plutonium est son contenu plus ou moins important en plutonium-241, qui dans sa chaîne de désintégration produit rapidement (demi-vie de 14,4 années) de l'américium-241, émetteur de rayonnement gamma très énergétiques. Pour du plutonium « âgé », une teneur importante en américium augmente significativement le terme source, et en rend la mise en œuvre beaucoup plus compliquée. Le plutonium est normalement mis en œuvre dans des boîtes à gants blindées, et l'opérateur est exposé à des doses significatives aussi bien aux extrêmités que pour l'ensemble du corps.
L'autre danger que présente le plutonium est l'irradiation interne par inhalation : le plutonium sous forme métallique se couvre rapidement d'une couche d'oxyde de plutonium, dont les fragments peuvent être mis en suspension dans l'air. De ce fait, la manipulation du plutonium sous forme métal ou oxyde suppose a minima une protection respiratoire, et se fait en principe dans des boîtes à gants sous confinement strict.
L'isotope le plus dangereux en termes de radiotoxicité est le Pu-238, utilisé dans des générateurs thermoélectriques à radio-isotope : un millionième de gramme (microgramme) ingéré et fixé dans l'organisme suffit à délivrer une dose équivalente calculée de quelques sievert. Cependant, cette dose (qui résulte d'un calcul théorique) est délivrée sur toute une vie, et correspond à un débit de dose relativement faible (de l'ordre de quelques dizaines de µSv/h) dont les effets sont très mal connus, et sans effet nocif connu à ce jour.
Les isotopes utilisés dans l'industrie électronucléaire sont dix à cent fois moins radiotoxiques.
Toxicocinétique
Le plutonium est un émetteur de rayonnement alpha, type de rayonnement facilement arrêté par les parois fines, y compris par la peau. Cependant, s'il est inhalé ou ingéré, il irradie directement les cellules des organes qui sont en contact avec lui (ou qu'il a pénétrés). Il peut alors affecter leur noyau et l'ADN et provoquer des cancers. Son activité interne est d'autant plus dangereuse qu'une part importante du plutonium absorbé par l'organisme s’y fixe durablement ; sa demi-vie biologique est estimée être de 200 ans. À cause de ses caractéristiques et nombreux isotopes, il faudrait distinguer la toxicité de court, moyen et long terme, et les cas d'exposition externe et interne.
En cas d'ingestion par un individu sain, seul environ 0,05 % est absorbé par le tube digestif. Le plutonium franchit mal la barrière cutanée (si la peau est en bon état). Par contre, une part importante du plutonium inhalé passe des poumons au sang qui le diffuse vers d'autres organes, plus ou moins vite et bien selon la taille des particules, et selon la nature et la solubilité du composé. Chez l'animal de laboratoire exposé à des taux élevés de plutonium, les tissus cibles ont été les poumons, les ganglions lymphatiques, le foie et les os (avec réduction de la durée de vie, cancers et pathologie pulmonaires).
On estime que chez l'Homme, 10 % du plutonium qui a franchi la barrière intestinale ou pulmonaire quitte le corps (via l'urine, et les excréments). Le reste après passage dans le sang se fixe pour moitié dans le foie et pour moitié dans le squelette, où il demeure très longtemps et pour partie à vie (Le DOE américain estime que la demi-vie dans l'organe est respectivement de 20 et 50 ans pour le foie et l'os, selon des modèles simplifiés ne tenant pas compte de redistributions intermédiaires (en cas de fracture et/ou de ménopause (cf. décalcification) et lors du recyclage normal de l'os, etc). Le DOE précise que le taux accumulé dans le foie et le squelette dépend aussi de l'âge de l'individu (l'absorption dans le foie augmente avec l'âge), et qu'en fait, le plutonium se fixe d'abord sur la surface corticale et trabéculaire des os avant d'être lentement redistribué dans tout le volume minéral osseux.
Désinformation sur la toxicité du plutonium
Comme le montre le tableau ci-dessus, l'affirmation faussement scientifique régulièrement trouvée dans des discours antinucléaires prétendant que « l'ingestion d'un seul millionième de gramme est fatale » ne repose sur aucun fondement scientifique, et ressort plutôt d'un discours de type FUD.
Pour les isotopes usuellement produits en réacteur, l'effet d'une ingestion d'un microgramme de plutonium (un millionième de gramme) est de l'ordre de quelques dizaines de millisieverts, ce qui reste dans le domaine des faibles doses d'irradiation : la probabilité d'avoir un cancer étant de l'ordre de 20 % en moyenne, une dose de 10 mSv apportée par ce microgramme fait théoriquement (d'après le modèle LNT) passer cette probabilité à 20,1 %, ce qui est négligeable à titre individuel, et ne serait statistiquement détectable que sur de très larges populations. De plus, cette estimation fondée sur un modèle LNT volontairement pessimiste reste très théorique : en réalité, si l'on se réfère aux données épidémiologiques des membres du club « UPPU », ceux-ci ont présenté une mortalité et un taux de cancer inférieur à la moyenne.
De même, une affirmation comme « Il suffirait de quelques centaines de grammes de plutonium répandue uniformément sur terre, pour y effacer toute forme de vie humaine » est une contrevérité évidente. Ce chiffre suppose que toute la population mondiale (7 milliards d'habitants) ingère le microgramme précédemment supposé fatal (ce qui nécessiterait plutôt 7 kg de plutonium). Mais dans ce cas, cette quantité ne serait évidemment pas « répartie uniformément sur terre » : une dispersion uniforme conduit à une dilution telle que la dose serait indétectable (les essais nucléaires atmosphériques ont dispersé une quantité bien supérieure sur la surface du globe, sans effet détectable sur la biosphère). D'une manière générale, la dispersion d'une masse de l'ordre du kilogramme sur une surface de quelques centaines de kilomètres carrés (soit dans un rayon d'à peine dix kilomètres) conduit à une contamination inférieure au centième de microgramme par mètre carré, dont les effets régulièrement dénoncés comme « catastrophiques » par les mouvements antinucléaires sont en réalité indétectables.
Une partie de cette désinformation consiste à assimiler la radiotoxicité du plutonium en général à celle estimée en particulier sur son isotope 238, effectivement beaucoup plus dangereux, car de durée de vie beaucoup plus faible. Cependant, ce plutonium 238 n'a rien à voir avec celui qui est directement produit en réacteur. Ses circuits de production et d'utilisation sont complexes et très différents du plutonium courant ; et les quantités produites dans le monde (de l'ordre de quelques kilogrammes) sont infiniment plus faibles que celles du plutonium de réacteur (de l'ordre de 2 000 tonnes).
Le plutonium 238 présente effectivement une radiotoxicité cent fois plus importante que celle du plutonium courant. Mais cela étant dit, l'interprétation qui est généralement donnée de cette radiotoxicité est elle-même incorrecte. De fait, l'ingestion d'un microgramme de Pu-238 (ce qui représente une poussière d'une trentaine de microns de diamètre) conduirait à une irradiation interne estimée à 2,56 Sv. Mais dans l'absolu, cette dose qui serait suffisante -quand elle est délivrée instantanément- pour entraîner un syndrome d'irradiation aiguë, reste encore insuffisante pour être qualifiée de « fatale » (il faudrait une dose instantanée trois à quatre fois plus importante pour que l'issue d'une dose instantanée soit certainement mortelle). De plus, dans ce cas, la dose se présente comme une irradiation chronique, dont l'impact est beaucoup plus faible que pour une irradiation instantanée. Comme indiqué plus haut, la dose létale est en réalité près de cent fois plus forte pour le Pu-238.