Le norvégien (norsk en norvégien) est une langue germanique parlée en Norvège, elle a pour racine historique le vieux norrois, qui était pratiquée depuis le Moyen Âge dans les pays scandinaves par les Vikings. Le vieux norrois est aussi l'ancêtre direct du danois et du suédois modernes et a exercé une influence sensible sur l'anglo-saxon pour former l'anglais ; en France, il a fourni au vieux normand certains éléments de vocabulaire.
Le norvégien actuel comporte en réalité un grand nombre de dialectes qui diffèrent autant entre eux que le danois ou le suédois n'en diffèrent. Il existe deux standards concurrents à l'écrit :
le bokmål (littéralement « langue des livres » ─ prononcer « 'bouk-môl »), héritier du riksmål (littéralement « langue du royaume » ─ prononcer « 'riks-môl ») c’est-à-dire du norvégo-danois/dano-norvégien (norsk-dansk/dansk-norsk) élaboré pendant la longue période de domination danoise ; le nynorsk (« néo-norvégien » ─ prononcer « 'nu-norsk », avec un u « tendu » comme un i), héritier du landsmål (littéralement « langue des campagnes » ou « langue nationale » ─ prononcer « 'lanns-mol »), dont une variante moderne non officielle décrite plus « pure » mais « radicale » est dérivée, le høgnorsk (« haut norvégien » prononcer « 'heug-norsk ») plus proche du vieux norrois (et opposée à la première réforme de 1917).
Il s'agit de deux dialectes fictifs, ou construits, l'un (le bokmål) étant plus proche des dialectes parlés dans le sud-est (région d'Oslo), l'autre (le nynorsk) étant plus proche des dialectes parlés sur la côte ouest (la « Norvège des fjords »). Ils sont utilisés (à l'écrit uniquement) plus ou moins en fonction de cette proximité.
Histoire
Extension approximative du vieux norrois et des langues dérivées au X siècle. La zone en rouge montre l'aire de répartition du scandinave occidental, la zone orange celle du scandinave oriental. La zone rose représente l'aire du Gutnisk et la zone verte les langues germaniques ayant des correspondances avec le vieux norrois.
Le norvégien actuel dérive du vieux norrois, qui était la langue utilisée par les Vikings. Selon la tradition, c'est le roi Harald Hårfagre qui unifia la Norvège en 872. À cette époque, on utilisait un alphabet runique. En observant les pierres runiques de cette période, on voit qu'il y avait peu de variations régionales de la langue. Vers 1030, le christianisme arrive en Norvège, consacré par l'inauguration de la cathédrale de Nidaros à Trondheim en l'an 1000 précisément, et avec lui l'alphabet latin, les premiers manuscrits en caractères latins apparaissent un siècle plus tard. Le norvégien commence aussi à se différencier de ses voisins.
Le vieux norrois se scinde alors en deux familles, le scandinave occidental (en Norvège, Islande, Groenland, aux îles Féroé et Shetland) et le scandinave oriental (au Danemark et en Suède). Les langues d'Islande et de Norvège restent très proches jusque vers les années 1300, on les nomme alors vieux norvégien et vieil islandais.
Durant la période 1350–1525, le vieux norvégien évolue, la grammaire se simplifie, la syntaxe se fixe et du vocabulaire du moyen bas allemand est intégré. Le suédois et le danois subissent une influence similaire, au contraire du féringien et de l'islandais. Durant cette période l'union de Kalmar unifie les royaumes de Suède, Norvège et Danemark. La Norvège est subordonnée au Danemark, et le danois devient la langue de l'élite et de la littérature. Dans le langage de tous les jours, le danois subit une norvégianisation et une simplification grammaticale. C'est ce dano-norvégien qui est devenu la langue maternelle lorsque l'union avec le Danemark prend fin en 1814.
Une nouvelle union commence avec la Suède, mais durant tout le XIX siècle, la Norvège tente d'émerger en tant que nation et la langue devient un enjeu politique.
Histoire des deux standards à l'écrit de la langue norvégienne
Dans les années 1840, nombre d'écrivains commencèrent à norvégianiser le danois en incorporant des mots décrivant les paysages et la culture norvégienne. L'orthographe et la grammaire furent progressivement modifiées.
Dans le même temps, un mouvement nationaliste militait pour le développement d'une nouvelle forme écrite du norvégien. Ivar Aasen, un linguiste autodidacte commença dès l'âge de 22 ans ses travaux pour créer une nouvelle langue norvégienne à partir de ses voyages dans tout le pays — où il avait comparé les dialectes de différentes régions — et de l'étude de l'islandais, langue qui avait su se préserver largement des influences extérieures qu'avait subies la langue norvégienne. Il appela le fruit de ses travaux, publiés dans plusieurs livres de 1848 à 1873, le landsmål (littéralement « langue nationale »).
La Norvège fut séparée du Danemark en 1814 pour former une union avec la Suède, qui dura jusqu'en 1905. Cependant, seul le danois norvégianisé fut adopté comme langue officielle par le parlement norvégien sous le nom riksmål (langue du royaume) en 1899. Après une période de romantisme patriotique effréné, certains voulurent imposer un retour aux sources, c’est-à-dire au norvégien « originel » des campagnes ; mais les diverses institutions ne purent suivre ce mouvement, puisque toutes leurs archives étaient rédigées en danois (cette tension explique la coexistence, aujourd’hui, de deux langues norvégiennes).
Après la dissolution de l'union avec la Suède, les deux langues continuèrent à se développer. Au cours du XX siècle, une série de réformes orthographiques tendit à rapprocher les deux langues, facilitant notamment l’utilisation de formes nynorsk en bokmål et réciproquement.
En 1929, le riksmål fut officiellement renommé bokmål (langue des livres), et le landsmål fut renommé nynorsk (nouveau norvégien) — les anciennes désignations dano-norvégien et norvégien furent abandonnées au parlement, car le label danois était (et est toujours) très impopulaire parmi les utilisateurs du bokmål (riksmål). Cette adoption marque la reconnaissance officielle de deux langues.
Le bokmål et le riksmål ont été rapprochés au cours des réformes successives de 1917, 1938 et 1959. C'était le résultat d'une politique visant à fusionner le nynorsk avec le bokmål en une seule langue hypothétique nommée samnorsk (norvégien commun). En 1946, un sondage montra que cette politique était soutenue par 79 % des Norvégiens d'alors.
Cependant des opposants à la politique officielle organisèrent un mouvement massif de protestation contre le samnorsk dans les années 1950, en combattant particulièrement l'utilisation de formes radicales dans les livres scolaires de texte en bokmål. La politique samnorsk eut finalement peu d'influence après 1960 et fut officiellement abandonnée en 2002.
Alors qu'en 1917 on s'était contenté de regrouper les dialectes avec une orthographe commune dans l'un des deux groupes linguistiques, mais en laissant subsister des variantes locales, les réformes plus récentes de 1981 et 2003 (effective en 2005) du bokmål officiel permettent d'unifier les différences subsistant avec le riksmål (les différences résiduelles sont maintenant comparables à celles entre l'anglais britannique et l'anglo-américain).
Les utilisateurs des deux langues écrites ont résisté aux efforts de dilution des distinctions de leur langue écrite en général et de leur prononciation. Au cours des années, les normes pour le bokmål ont de plus en plus accommodé les anciennes formes du riksmål. De ce fait, certains ont préféré suivre une voie plus traditionnelle pour l'écriture du nynorsk, le høgnorsk (norvégien pur).
La situation actuelle des deux standards à l'écrit
Carte des communes norvégiennes selon la norme linguistique qui y est officielle. Le bokmål domine à l'est et au nord ainsi que dans les agglomérations urbaines, mais les deux normes sont admises dans les grandes villes (Oslo, Trondheim, Bergen), sauf au sud-ouest Stavanger, qui bien qu'étant en pleine zone nynorsk prescrit le bokmål à l'écrit.
Actuellement, le nynorsk est plus répandu dans les régions campagnardes du sud-ouest, de l’ouest, et aux montagnes de l'est de la Norvège, alors que le bokmål se rencontre dans l'est et dans le nord du pays, ainsi que dans presque toutes les régions urbaines.
Aujourd'hui, à l’école, les élèves apprennent nécessairement les deux langues et doivent être capables de lire et de rédiger des documents dans chacune d’entre elles à partir de l'enseignement secondaire et supérieur. Près de 85,3 % des écoliers norvégiens reçoivent un enseignement primaire en bokmål, et 14,5 % en nynorsk. Sur les 433 municipalités de Norvège, 161 ont déclaré vouloir communiquer avec les autorités centrales en bokmål, 116 (représentant 12 % de la population) en nynorsk, les 156 autres restant neutres. Sur les 4 549 publications (parues en 2000), 92 % étaient en bokmål ou riksmål, 8 % en nynorsk. Les grands quotidiens nationaux (Aftenposten, Dagbladet et VG) sont publiés en bokmål uniquement. Quelques quotidiens régionaux (tels que Bergens Tidende et Stavanger Aftenblad) et nombres de journaux locaux utilisent les deux langues. Dag og Tid, hebdomadaire abordant des sujets plus profonds, est rédigé en riksmål et en nynorsk.
Cependant, d'autres influences régionales subsistent, et si à Oslo une rue s’appelle gate, à Kragerø (sud-ouest d’Oslo) on dit gade, tandis que dans le comté de l’Oppland, en direction de Lillehammer, on lit gutua sur les pancartes. Dans une grande partie sud de la Norvège, pourquoi se dit hvorfor, mais au nord, dans le Finnmark, on entendra kvorfor, voire kvifor dans certaines communes, le k initial étant nettement appuyé.
Néanmoins, de solides divergences persistent entre les deux langues et un débat souvent enflammé persiste entre les tenants du nynorsk et ceux du bokmål, les premiers soutenant que le nynorsk, plus traditionnel et enraciné, serait plus proche du norvégien parlé, alors que les seconds mettent en avant le fait que les étrangers apprennent plus facilement le bokmål ; mais la question est encore loin d’être réglée. Le système scolaire dans le cycle primaire a généralisé l'usage du bokmål, et l'apprentissage du nynorsk reste facultatif, bien que ces deux langues soient officielles.
Aussi, on admet généralement qu'il existe une grande variété de différences dialectales, au point qu'il est presque impossible de les dénombrer. Des différences grammaticales, syntaxiques, lexicales et phonétiques se produisent à des niveaux distincts des divisions administratives, au point que dans certains cas ils sont mutuellement inintelligibles aux locuteurs non avertis. Ces dialectes tendent à se régionaliser par enrichissement mutuel, mais on note un récent intérêt pour leur préservation.
Différences entre le bokmål et le nynorsk
Ci-dessous figurent quelques phrases donnant une indication des différences entre le bokmål et le nynorsk, comparées avec :
la forme historique riksmål (proche du danois)
le danois lui-même
la forme conservative høgnorsk (plus proche du suédois)
le suédois lui-même
l'anglais
l'allemand
le néerlandais
le français.
D=danois, R=riksmål, B=bokmål |
anglais, allemand, néerlandais |
français |
N=nynorsk, H=høgnorsk, S=suédois |
D/R/B |
Jeg kommer fra Norge. |
I come from Norway |
Je viens de Norvège. |
S |
Jag kommer från Norge. |
Ich komme aus Norwegen |
N/H |
Eg kjem frå Noreg. |
Ik kom uit Noorwegen. |
D |
Hvad hedder han? |
What is he called (What is his name) ? |
Comment s'appelle-t-il ? |
R/B |
Hva heter han? |
S |
Vad heter han? |
Wie heißt er? |
N/H |
Kva heiter han? |
Wat is zijn naam (Hoe heet hij) ? |
D/R/B |
Dette er en hest. |
This is a horse. |
Ceci est un cheval. |
S |
Detta är en häst. |
Das ist ein Pferd |
N/H |
Dette er ein hest. |
Dit is een paard. |
D/R |
Regnbuen har mange farver. |
The rainbow has many colours. |
L'arc-en-ciel a beaucoup de couleurs. |
B |
Regnbuen har mange farger. |
S |
Regnbågen har många färger. |
N |
Regnbogen har mange fargar.
(ou : Regnbogen er mangleta) |
Der Regenbogen hat viele Farben |
H |
Regnbogen hev mange fargar.
(ou mieux : Regnbogen er manglìta). |
De regenboog heeft menige kleuren. |
Écriture
Les graphies
Depuis une date relativement récente (tournant du XX siècle), le norvégien (bokmål et nynorsk) a abandonné l’écriture gothique et les majuscules « à l’allemande » qui apparaissaient au début des substantifs.
Le norvégien utilise des graphies pouvant être déconcertantes pour le lecteur étranger :
sj correspond à notre son [ʃ] (chocolat). Cette graphie existe dans d'autres langues, comme le limbourgeois ou le néerlandais par exemple.
identiquement à ce qui se produit en allemand, le y ne correspond pas au ii du français médiéval hérité du latin, mais prend une sonorité nettement entre i et u : sy (coudre), fylke (comté, province administrative)
en revanche, la graphie o correspond, elle, à notre [u] (jour).
Les caractères supplémentaires
Le bokmål et le nynorsk utilisent trois caractères supplémentaires par rapport au français :
le å (a rond en chef), qui correspond à un « o » assez ouvert, comme fort, ou loge, et non comme dans mot, ou auto ; au XIX siècle et au début du XX siècle, ce signe était remplacé dans les textes par la graphie aa ; (sous Microsoft Windows : Alt + 0229 ; Linux Ubuntu: AltGr + z)
le ø (o barré, qui correspond à notre son « eu », de sœur, jeune, œuf, instituteur, menteur (et non le « eu » de euphémisme, jeu, peu) ; (sous Microsoft Windows : Alt + 0248 ; Linux Ubuntu: AltGr + s)
et le æ (ligature ash), qui correspond à notre « è », mais plus ouvert que dans claire, terre, colère, plus proche du « a » ; (sous Microsoft Windows : Alt + 0230 ; Linux Ubuntu : AltGr + g)
Ces trois caractères se retrouvent en danois ; mais lorsque l’on compare les deux langues, on constate que de nombreux æ sont devenus de simples e en norvégien, le bokmål ayant tendance à fermer et à avancer davantage les voyelles. Comme en danois, les trois caractères supplémentaires se trouvent à la fin de l'alphabet à l'ordre æ, ø, å. On les considère comme des lettres propres, et pas des lettres modifiées.
De nos jours, le å est encore fréquemment remplacé par la graphie aa dans les noms propres, qui ne sont pas touchés par les modifications orthographiques. On le voit aussi où le matériel informatique ne comprend pas un clavier norvégien. Lorsque la graphie aa signifie le son o, on va l'alphabétiser comme un å ; c'est-à-dire à la fin de l'alphabet.
La prononciation du y est spécifique, nettement différenciée, entre le i et le u.