Historien Buste de l'historien Hérodote. Codes ROME (France) K2401
Un historien est une personne qui étudie ou communique sur l’histoire en produisant un discours respectant une méthode scientifique. Il a pour tâche de produire des recherches originales en rapportant des faits passés, de les catégoriser, puis d'en proposer une interprétation équilibrée et justifiée par des sources, sous le contrôle du public informé. Le titre d'historien n'est pas reconnu professionnellement et repose plutôt sur la reconnaissance par ses pairs. L'historien est souvent comparé au journaliste d'investigation, au détective ou au juge d’instruction, et il a tout intérêt à se conformer à une méthode reconnue. Il y va de la crédibilité de sa contribution et de ses conclusions.
Dans la société, le rôle de l'historien est large. Il est par exemple appelé à intervenir dans des procès, des expertises d'art, des commémorations, des inventaires de monuments historiques, des attributions de noms de rues, des successions, etc. Il peut aussi être sollicité pour révéler et prouver des instrumentalisations et manipulations de l’histoire à des fins partisanes ou idéologiques. Le métier d'historien a évolué au fil du temps faisant changer son rôle dans la société tout comme les différents aspects entourant son travail.
Le temps des chroniqueurs et compilateurs
Les historiens du haut Moyen Âge étaient des ecclésiastiques ou des moines. Ils brossaient des histoires (historiæ) à caractère édifiant ou dressaient des annales, à peine plus que des chronologies de règnes. Les histoires nationales narrent les origines de la nation de l'historien qui se confondent parfois avec celles de la dynastie de leur souverain. Le caractère édifiant perdure ensuite à travers les biographies de rois, les hagiographies, tandis que naissent à la fin du Moyen Âge les chroniques faites par des laïcs.
Au Moyen Âge, l'une des œuvres historiques les plus lues en Europe est l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais rédigée par Bède le Vénérable.
Les enseignants-chercheurs et les autres historiens
Ce n’est que dans le dernier quart du XIX siècle, que se met en place l’enseignement supérieur de l’histoire en France. La troisième République crée un cadre institutionnel qui est destiné à favoriser la formation d'enseignants en histoire. Dès 1877, les étudiants eurent la possibilité de recevoir des bourses à cet effet ; ils purent participer à des séances d’études (des séminaires) qui leur apprenait les techniques d’analyse et de critique des sources. La réforme entraîna une multiplication des débouchés : dans les universités, on augmenta le nombre de chaires de professeurs et on crée les premiers postes de maîtres de conférences. L’ensemble de ces mesures s’inspirent en fait de l’enseignement allemand qui, au lendemain de la défaite de 1870-1871, apparaît comme une référence. Avant cette période, l'enseignant en histoire était rarement un professionnel au sens moderne. Il s’agissait en général de précepteurs versés dans les lettres comme certains ecclésiastiques, parfois des hommes de loi ou des philosophes.
La politique universitaire de la III République aboutit en quelques années à la naissance d’une communauté historienne. Encore restreinte en 1914 (55 chaires d’histoire dans les facultés françaises de lettres), cette dernière connaît une explosion de ses effectifs à partir des années 1960 avec la massification des étudiants. Aujourd’hui, comme le rappelle Antoine Prost, ce groupe d’historiens est uni par une formation commune (l’université), un réseau d’association et de revues, une déontologie (qu’est-ce qu’un historien a le droit de faire et de ne pas faire ?) et une méthode (comment doit-il travailler pour produire un livre historique à caractère scientifique ?). Prost est même tenté de parler de « corporation » à leur égard, avec les inconvénients qui en résultent (suivisme, dogmatisme). Il faut savoir qu’à l’université, les maîtres de conférences et les professeurs sont recrutés par vote de leurs pairs et donc de leurs futurs collègues. Cependant, au-delà de cette apparente unité, la profession a aussi ses divisions internes. À côté du groupe nombreux des universitaires, on trouve les membres des prestigieux organismes de recherches (École des hautes études en sciences sociales, Centre national de la recherche scientifique, École française de Rome, Institut d'études politiques).
La pratique historique ne se limite pas au corps enseignant. Elle est en réalité largement partagée dans la société puisque l'histoire, appartenant aux sciences humaines par opposition aux sciences exactes, est, par essence, politique. Nombreux sont ceux qui, disposant de temps et de connaissances, produisent des travaux historiques. Il y a les hommes politiques, les journalistes, les érudits locaux, les amoureux du patrimoine ou simplement des curieux qui se lancent dans l’écriture de l’histoire de leur village ou de leur famille. Certaines de ces productions sont remarquables. D'autres pêchent à cause d'une méconnaissance du contexte historique, d'un manque de rigueur dans le récit des événements ou d'une mauvaise maîtrise de l'expression parlée ou écrite. Ces lacunes dans la méthodologiques et critiques ne permettent pas, en général, de franchir le seuil de l'édition, notamment dans les revues et les collections « histoire » des grands éditeurs.
Si exercer une activité d'historien gagne à bénéficier d'un apprentissage - surtout si cette matière doit être enseignée - cela ne suffit absolument pas. La transmission d'une mémoire est surtout une affaire de travail, et donc de temps - pour la recherche et l'écriture -, et où l'expérience de la vie et la maturité intellectuelle ont bien entendu leur place.
Aspects du « métier » d’historien
Le travail de l’historien a parfois été comparé à celui d’un journaliste d'investigation. En effet, les analogies sont nombreuses. Le mot Histoire ne signifie-t-il pas en grec « enquête » ? L’historien doit rechercher des sources d’information afin de dégager des faits. Son intérêt se porte principalement sur des documents d’archives mais un témoignage oral (pour l’étude des périodes récentes), une découverte archéologique peuvent également apporter des renseignements précieux. Ces sources doivent être recadrées dans un espace-temps et analysées. L’historien s’applique à établir les événements ou phénomènes périphériques, à capter ou tenir compte des « silences » des documents et à débusquer les erreurs ou les omissions des « histoires de l'Histoire » en proposant, par exemple, une bibliographie critique. Il doit aussi rechercher - avec prudence - des causes, des mobiles aux actions humaines. L’un des aspects les plus passionnants, dans cette activité, consiste justement à faire parler des sources apparemment muettes ou inadaptées pour le sujet étudié.
La comparaison avec le juge d'instruction revient souvent pour désigner le travail historique. Comme lui, l’historien doit faire preuve d’impartialité et de distanciation. Cette attitude se traduit par la prise en compte des différentes versions d’un fait puis à distinguer celle qui est exacte sans être dominé par ses préjugés et ses passions. Si historien et juge d’instruction ont en commun la recherche de la vérité, la comparaison s'arrête là pour Marc Bloch. Le premier ne condamne pas (en tout cas, ce devrait être l’esprit de l’historien). Il n’émet pas de jugement de valeur : ceci est bon, ceci est mauvais. Pour la simple et bonne raison qu’un jugement serait absurde sachant que les systèmes de valeurs d’aujourd’hui ne correspondent pas à ceux d’autrefois. L’historien doit seulement comprendre. Dans quelques cas, ce comportement peut choquer le public et entraîner des malentendus car en essayant de comprendre les périodes noires de l’histoire (Shoah notamment), on a l’impression que l’historien justifie et donc d’une certaine manière excuse les bourreaux. On l’accuse parfois de relativiser certaines atrocités du passé (l’esclavage des Noirs) alors que la démarche historienne vise simplement à contextualiser les faits et à établir leur véritable importance. Quoi qu'il en soit l'anachronisme dans l'appréciation, l'évaluation ou l'interprétation d'un objet d'histoire est bien le principal écueil de cette discipline. En toute bonne foi, les historiens d'il y a cinquante ou cent ans, marqués par les mentalités de leur époque et l'air du temps, se sont laissés entraîner à l'aveuglement ou ont, à tout le moins, manqué de perspicacité pour expliquer certaines relations de cause à effet. Ils ont négligé certaines figures qui nous paraissent importantes aujourd'hui (dont beaucoup de femmes) ou, au contraire, ils ont valorisé certaines attitudes, certains principes ou certaines œuvres dont l'importance ou l'intérêt ont diminué à nos yeux.
L’historien est enfin un écrivain. Certains ouvrages historiques se révèlent aussi des œuvres littéraires. Au XIX siècle, Augustin Thierry dans Récits des Temps Mérovingiens ou Jules Michelet dans son Histoire de France utilisaient toutes les ficelles du roman, parfois au détriment de la réalité des faits. Multipliant formules lyriques et métaphores, ils savaient dramatiser leur récit et donner la touche pittoresque nécessaire pour décrire les scènes d’autrefois. Aujourd’hui, l’Académie française accueille quelques auteurs de la discipline : Pierre Nora et Max Gallo ont acquis leur fauteuil, suivant leurs illustres aînés Fernand Braudel, Georges Duby, François Furet et René Rémond.
Les rôles sociaux et politiques de l’historien
Hérodote, que l’on considère comme le premier historien, justifie l’écriture de son livre Histoire : « c’est l’exposé de [mon] enquête pour empêcher que le passé des hommes ne s’oublie avec le temps et pour éviter que d’admirables exploits, tant du côté des Grecs que de celui des Barbares, en perdent toute célébrité, pour établir, enfin et surtout, la cause de la guerre qu’ils se sont livrée ». En d’autres termes, la fonction d’un historien est d’entretenir la mémoire des événements passés et d’expliquer leur déroulement. D’Hérodote à aujourd’hui, rien n’a changé. On attend des historiens qu’ils nous racontent « ce qui s’est vraiment passé » (« wie es eigentlich gewesen », comme l'écrivait l'historien allemand Leopold von Ranke). Cette demande ne paraît pas s’essouffler quand on constate le succès des commémorations (millénaire capétien, bicentenaire de la Révolution française, 60 anniversaire du débarquement de Normandie…) dans lesquelles l’historien fait figure d’acteur obligé.
De plus, la société demande aux historiens d’expliquer le présent à la lumière du passé. Face à l’actualité brûlante, elle attend d’eux une analyse qui permet de contextualiser l’événement, de le replacer dans une évolution temporelle et de comprendre les enjeux plus globaux. Bref, le savoir de l’historien est convoqué pour apporter du recul.
« Détruire les histoires fausses, démonter les sens imposteurs » : c’est en ces termes que l’universitaire rouennais Olivier Dumoulin décrit le rôle de ses collègues historiens. Il est suivi dans cette idée par Arlette Farge pour qui « l’histoire est à chaque époque le récit raisonné des événements, celui qui en évite la falsification et la honte des dérapages flagrants ou des dénégations mortifères ». Dans Les Assassins de la mémoire, Pierre Vidal-Naquet tenait également des propos semblables en mettant en garde contre les « mensonges » des pseudo-historiens auto-proclamés « révisionnistes » qui s'acharnent à nier l'existence des chambres à gaz et, plus largement, de la Shoah.
Les tentatives d’instrumentalisation du passé, surtout en ces temps d’affirmations identitaires, exigent en effet des garde-fous. Le récit objectif (Antoine Prost préfère dire « distancié et impartial ») des historiens les mènent hors des amphithéâtres et des salles de cours. Récemment, quelques-uns sont passés « de la chaire au prétoire ». Des universitaires français ou étrangers Jean-Pierre Azéma, Marc-Olivier Baruch, Philippe Burrin, Robert Paxton, René Rémond sont venus témoigner à titre d’experts (bien qu’ils n’aient pas toujours vécu la période de Vichy) lors du procès Papon en 1998, l’objectif étant de restituer la chronologie des actes du préfet accusé, et d’éclairer les juges et les jurés sur sa marge de manœuvre et le fonctionnement d’une préfecture sous l’Occupation. De même, les historiens Henry Rousso, Annette Becker, Philippe Burrin et Florent Brayard ont été engagés à titre d'experts pour faire la lumière sur les pratiques négationnistes de certains étudiants et professeurs de l’université Lyon III. Cette enquête a donné lieu à la publication du Rapport Rousso.
L’historien se retrouve donc impliqué dans le mouvement de « judiciarisation » de la société. Aux États-Unis, cette tendance se dessine encore plus clairement. À l’occasion de procès, des historiens sont payés par l’accusation ou la défense pour rechercher des preuves dans les archives.
Du même coup, l'activité historique glisse vers une autre tendance de la société actuelle : la marchandisation. Outre-Atlantique (et de plus en plus en France), les historiens reçoivent des commandes de la part de particuliers, d’entreprises, d’avocats. Ils participent ainsi à des projets aussi variés que la rédaction d’une brochure commémorative ou de l’histoire d’une usine, l’animation de sociétés locales ou de musées ou la recherche d’une responsabilité dans un dépôt de matière toxique. Cette histoire appliquée que les Américains nomment public history place le chercheur dans l’action et non dans l’observation neutre. Dans ces conditions, l’historien saura-t-il conserver ses exigences déontologiques propres à la démarche historique ? En devenant un pourvoyeur de services, ne bascule-t-il pas dans cette « histoire-serve » dénoncée par Lucien Febvre, autrement dit dans une histoire qui sert des intérêts ? La crédibilité de son discours risque d’être mise en doute.