Le mot calife, khalife, ou caliphe (prononcé ḫalīf en arabe) est une romanisation de l'arabe khalîfa (ḫalīfa, خَلِيفَة, ), littéralement « successeur » (sous-entendu du prophète), terme dérivé du verbe khalafa (ḫalafa, خَلَفَ) signifiant « succéder », titre porté par les successeurs de Mahomet après sa mort en 632 et, pour les sunnites, jusqu'à l'abolition de cette fonction par Mustafa Kemal Atatürk en 1924. Les ibadites ne reconnaissent plus aucun calife depuis 657, tandis que les chiites remplacèrent le califat par l'imamat sous le règne d'Ali. L'autorité d'un calife s'étend sur un califat. Il porte aussi le titre de commandeur des croyants, titre aboli chez les chiites après la mort d'Ali.
Les critères de choix sont différents entre les chiites et les sunnites mais le porteur du titre a pour rôle de garder l'unité de l'islam et tout musulman lui doit obéissance : c'est le dirigeant de l’oumma, la communauté des musulmans. Pour les sunnites, la fonction est élective. Les chiites pensent à l'inverse que si un calife doit être choisi, il devra l'être selon le principe de l'imamat. L'actuel et unique prétendant des chiites duodécimains est Muhammad al-Mahdi, en occultation depuis 939 et qui n'est rien d'autre que le Mahdi.
Historique
Les « bien guidés »
Selon l'historiographie musulmane, à la mort de Mahomet en 632, l'entourage de celui-ci nomme comme successeur à la tête des musulmans le premier calife Abou Bakr (ou Abubéker) qui poursuit la conquête de la péninsule Arabique. À sa mort en 634, son premier ministre Omar lui succède. Celui-ci conquiert la Palestine, la Mésopotamie, l'Égypte et la Perse ; en **, il est poignardé par un ancien esclave perse. Avant de mourir, il désigne un comité de six personnes qui doivent choisir parmi eux le troisième calife, Othman (**-656). Le quatrième calife est Ali (656-661). Ces quatre premiers califes sont nommés « les califes bien guidés ».
Le schisme et la crise de légitimité du calife
Portrait du dernier calife Abdülmecit II sultan de l'Empire ottoman.
Le califat uni prend fin avec le règne d'`Alî, qui fait face à une vague de contestation menée par le charismatique Mu`awîya, ancien scribe du Prophète lui-même nommé calife par ses partisans. Tous deux s'affrontent finalement en 657 à la Bataille de Siffin, qui scelle le premier schisme de l'Islam, entre ceux qui sont plus tard appelés sunnites (suiveurs de Mu`awîya), chiites (partisans d'`Alî) et kharidjites (qui se retirent de la délibération). Les deux principales subdivisions ont par la suite chacune leur calife, et parfois plusieurs au gré des scissions politiques de leur empire : plus aucun calife ne retrouve jamais la légitimité des premiers sur l'ensemble de l'oumma.
Les califes sont d'abord élus mais, dès la fin du I siècle de l'hégire, Muawiya I (ou Moavian, Muawiyya), le premier calife Omeyyade, abolit l'élection et rend le califat héréditaire dans sa famille : ce titre devient donc rapidement dynastique. La première de ces dynasties est celles des Omeyyades (issus de Mu`awîya) qui choisissent Damas comme capitale. Viennent ensuite celles des Abbassides, qui portent leur siège à Bagdad. Ceux-ci voient leur autorité contestée et la proclamation de califes concurrents (Fatimides au Caire, Omeyyades exilés à Cordoue) si bien que dès le IX siècle, à peine plus de deux cents ans après l'hégire, le monde musulman est divisé en trois califats indépendants.
On distingue trois principaux califats pendant le Moyen-âge :
celui d'Orient, dont le siège est d'abord à Médine au cours des trois premiers califats, ensuite à Koufa en Irak jusqu'à la mort d'Ali, puis à Damas sous la famille des Omeyyades, et à Bagdad sous celle des Abbassides ; il dure 626 ans (632-1258) ; califat unique à ses débuts, certains territoires s'affranchissent par la suite de son autorité en se constituant comme califats concurrents ;
celui des Fatimides, qui est fondé en 909 par Ubayd Allah al-Mahdi, descendant de Fatima, fille de Mahomet, et qui est renversé en 1171 par Saladin.
celui de Cordoue, proclamé en 929 par Abd al-Rahman III, issu d'un émirat fondé à Cordoue en 756 par Abd al-Rahman Ier, de la famille des Omeyyades, et démembré en 1031 ;
Les califes perdent toute puissance temporelle depuis la création de l'Emir-al-Omrah (935). Il y a pourtant des califes jusqu'en 1516 ; en cette année, le sultan ottoman Selim I se fait céder le califat par le dernier abbasside, Al-Mutawakkil III. Selim I fait transporter les reliques de Mahomet et des quatre premiers califes à Constantinople comme symboles de sa position califale.
L'autorité califale est à partir de cette date assurée par la Dynastie ottomane jusqu'à ce que Kemal Atatürk abolisse le califat en 1924, deux ans après avoir aboli le sultanat. Le 101 et dernier calife est Abdülmecit II, même si son titre n'est plus reconnu que dans l'Empire ottoman.
Tentatives de résurrection récentes du califat
Au XX siècle
Au début du XX siècle, beaucoup de musulmans, en particulier les musulmans des Indes, voulaient voir le chérif de La Mecque Hussein ibn Ali prendre la fonction de calife. Il est devenu célèbre après la révolte arabe qui a été lancée contre les Turcs en 1916-1918. Hussein ibn Ali proclame en 1916 l'indépendance du Royaume du Hejaz à la suite de la bataille du 10 juin au 4 juillet 1916 et fait de La Mecque sa capitale. Cette année là, Hussein Ibn Ali se déclare lui-même roi du Hejaz (reconnu internationalement le 10 août 1920). En 1924 Hussein ibn Ali est vaincu lors d'une deuxième bataille par Abdelaziz Al Saoud, fondateur du troisième État saoudien, l'actuelle Arabie saoudite. Le nouveau souverain supprime alors le poste de Chérif de La Mecque et se proclame lui-même gardien des deux saintes mosquées, mais préfère ne pas s'aventurer à briguer le titre contesté de calife.
Le roi égyptien Fouad I songea également à reprendre le califat, mais ne parvint jamais à trouver une légitimité suffisante en dehors de son pays. Certains souverains comme le Roi du Maroc possèdent également un pouvoir spirituel dans leur pays en tant que « commandeur des croyants » (Amir Al Mouminine), mais ce pouvoir demeure strictement national.
De nos jours
De nos jours, certains musulmans pourraient être favorables à un éventuel retour du califat, même si son pouvoir ne serait en rien comparable à celui de la papauté actuelle. En effet, le calife serait le représentant des musulmans sur les plans à la fois politique et religieux, et, à la différence de ce qui est le cas pour le catholicisme, n'aurait pas pour rôle principal de définir le Magistère (notion inexistante en islam) et l'unité de Foi, comme le fait le Pape. Cela entrainerait théoriquement la création d'une nation d'un milliard d'habitants, s'étendant potentiellement du Maghreb à l'Indonésie. Le principal obstacle à un retour du califat est l'éclatement religieux de l'Islam : aucun chef spirituel d'aucun courant de l'Islam ne saurait avoir une légitimité suffisante pour être reconnu à la fois par les chiites, sunnites, kharidjites et ibâdites, et leurs multiples subdivisions. Par ailleurs, les chefs religieux charismatiques des différents pays musulmans sont animés de divergences religieuses associées à des luttes de pouvoir bien trop antagonistes pour laisser supposer qu'une quelconque unité politique et religieuse puisse en émerger à moyen terme.
Le 29 juin 2014, l'État islamique en Irak et au Levant revendique le rétablissement du califat avec l'émir Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi comme calife, sans toutefois obtenir la reconnaissance de la plupart des autorités musulmanes, qui estiment que seule la volonté générale de l'Oumma peut permettre sa restauration.
Henry Laurens, historien du monde arabe au Collège de France, parle à ce propos d'« invention de la tradition » au sens où « ce califat est aussi imaginaire que la façon dont Hollywood représente le Moyen-Age [...] on est en plein imaginaire de seconde zone [...] puisque ça n'a rien à voir avec la réalité historique du califat ».