Descente du Christ dans les Limbes par Domenico Beccafumi, Pinacothèque nationale de Sienne.
Jésus dans les Limbes par Andrea Mantegna.
Dans la religion catholique, la théorie des limbes (du latin limbus, « marge, frange ») désignait un état de l'au-delà situés aux marges de l'enfer. Par extension, ils désignent un état intermédiaire et flou.
« L’idée des limbes, que l’Église a employée pendant des siècles pour désigner le sort des enfants qui meurent sans baptême, n’a pas de fondement clair dans la Révélation, même si elle a été longtemps utilisée dans l’enseignement théologique traditionnel. »
Le 20 avril 2007, la commission théologique internationale de l'Église catholique romaine publie ses conclusions sur la question, déclarant que « la volonté salvifique universelle de Dieu et la médiation corrélativement universelle du Christ signifient que toutes les notions théologiques qui, en définitive, remettent en question la toute-puissance de Dieu, et en particulier sa miséricorde, sont inadéquates ». Le concept de "limbes" comme état dans lequel seraient les enfants non baptisés est donc "une vision trop restrictive du salut ", contraire à la nature même de Dieu, miséricordieux et sauveur et à la nature universelle du Salut.
Origine
Le mot n'apparaît ni dans la Bible, ni chez les Pères de l'Église. Il émerge au XIII siècle dans la pensée scolastique, qui distingue deux limbes.
Limbe des patriarches
Le limbus patrum (limbe des patriarches) reçoit les âmes des justes morts avant la résurrection de Jésus Christ. Il correspond au « sein d'Abraham » mentionné dans l'Évangile selon Luc (16:22). Ces âmes, qui ne pouvaient entrer au paradis, scellé depuis la faute d'Adam, sont libérées par Jésus lors de sa descente aux enfers entre le Vendredi saint et le jour de Pâques. La tradition scolastique se fonde ici sur la première épître de Pierre, laquelle indique que Jésus « est allé prêcher aux esprits en prison » (3:19).
Limbe des enfants
Le limbus puerorum (limbe des enfants) reçoit les âmes des enfants morts avant d'avoir reçu le baptême. Il constitue une réponse théologique à la question du devenir de ces âmes qui, sans avoir mérité l'enfer, sont néanmoins exclues du paradis à cause du péché originel. Cette question, qui remonte aux premiers temps du christianisme, reçoit une réponse relativement floue de la part des premiers Pères de l'Église. Grégoire de Nysse (Sur les enfants morts prématurément) comme Grégoire de Nazianze (Discours, XL, 23) affirment que ces âmes ne sont pas destinées à souffrir dans l'au-delà, mais sans autre précision.
Enguerrand Quarton : rare représentation du limbus puerorum (limbe des enfants) dans le Couronnement de la Vierge (1454)
Pour Augustin d'Hippone, il n'existe aucune possibilité de destin intermédiaire entre le paradis et l'enfer : les âmes des enfants non baptisées sont vouées à l'enfer, ce qui explique l'insistance d'Augustin en faveur d'un baptême immédiat des enfants. En réaction au pélagianisme qui promettait l’entrée dans la « vie éternelle » (mais non, toutefois, dans le « Royaume de Dieu ») il fait condamner au concile de Carthage (418) l'idée d'un lieu intermédiaire accueillant les enfants morts sans baptême mais ce concile n’a toutefois pas explicitement souscrit à tous les aspects de la sévère vision d’Augustin sur le sort des enfants qui meurent sans le baptême.
Si Augustin précise que ces âmes ne souffrent en enfer que de la « peine la plus douce » (Enchiridion, 103), sa rigueur explique le revirement des théologiens du bas Moyen Âge. Dans le limbe des enfants, les âmes se trouvent dans un état intermédiaire : elles n'encourent pas les souffrances de l'enfer mais sont privées de la béatitude du paradis. La nature précise de cet état fait l'objet d'une controverse scolastique ; la question est de savoir si ces âmes souffrent du dam, c'est-à-dire de la privation de cette béatitude. Thomas d'Aquin estime d'abord dans le Scriptum super sententias qu'elles sont résignées puis, dans le De malo (q.5, art. 1-3), argumente en faveur de leur ignorance radicale de cette privation. En comparaison, explique-t-il, l'homme ne souffre pas de ne pouvoir voler dans les airs. Pour Thomas, les âmes de ces enfants jouissent donc d'un bonheur naturel : « toute douleur est exclue de leur peine ».
En avril 2007, la Commission théologique internationale publie un document selon lequel la théorie des limbes « n’a pas de fondement clair dans la Révélation, même si elle a été longtemps utilisée dans l’enseignement théologique traditionnel. » Et plus loin dans ce même texte : « Outre la théorie des limbes (qui demeure une opinion théologique possible), il peut donc y avoir d’autres manières d’intégrer et de sauvegarder les principes de foi fondés dans l’Écriture. »
Les limbes dans la doctrine catholique
Les limbes, en particulier les limbes des enfants, n'ont jamais été définis comme un dogme de l'Église catholique au sens strict. Ils ont toutefois fait partie pendant longtemps de la doctrine catholique officielle et en particulier de l'enseignement.
En effet, avant même la venue de Thomas d'Aquin, le pape Innocent III se démarque de la thèse augustinienne en disant, dans une lettre à l'archevêque d'Arles, que ceux qui meurent avec le seul péché originel souffriront de la privation de la vue de Dieu mais ne subiront pas d'autres peines.
Le Catéchisme de saint Pie X mentionne le limbe des Pères en son chapitre 6 consacré au cinquième article du Symbole de Nicée :
« Les limbes [sont le] lieu où étaient les âmes des justes en attendant la Rédemption de Jésus-Christ. (…) Les âmes des justes ne furent pas introduites dans le paradis avant la mort de Jésus-Christ, parce que le paradis avait été fermé par le péché d’Adam et qu’il convenait que Jésus-Christ, dont la mort le rouvrait, fût le premier à y entrer. »
Quant au limbe des enfants, dans son chapitre V, on demande à la question n 100 : « Où vont les enfants morts sans baptême ? » et on répond : « Les enfants morts sans baptême vont aux Limbes, où il n'y a ni récompense surnaturelle ni peine ; car, souillés du péché originel, et celui-là seul, ils ne méritent ni le paradis ni non plus l'enfer ou le purgatoire ».
La notion de limbes a initialement émergé dans la pensée théologique comme conséquence logique de l'existence du péché originel et du baptême en tant qu'instrument de salut.
L'existence des limbes, selon le Dictionnaire de théologie catholique, se déduit logiquement d'un principe dogmatique dégagé lors du concile de Vatican I, selon lequel ceux qui meurent avec le seul péché originel sont privés de la vision béatifique, tandis que ceux qui ont commis personnellement des péchés graves subiront en plus les châtiments de l'enfer. Cette position, par rapport à l'affirmation d'Innocent III, intègre l'apport de Thomas d'Aquin : la privation de la vision béatifique n'est pas explicitement désignée comme une souffrance.
La position de Pélage, que l'Église de son époque critiqua à cet égard, était pourtant voisine : Dieu ne pouvait en aucun cas selon lui envoyer des enfants n'ayant pas fauté personnellement en enfer, mais il se pouvait en effet que leur non appartenance à l'Église les prive de béatitudes bien plus grandes. Sa position fut cependant jugée téméraire, laissant entendre que l'homme pourrait se passer du Christ. Le terme de "semi-pélagienne" concernant des positions similaires est évoqué lors de la passe d'armes entre le jésuite et le janséniste dans le film consacré aux hérésies La Voie lactée.
La réflexion théologique moderne, mettant plus volontiers en avant l'idée de divine miséricorde et de salut universel, a poursuivi l'évolution vers un possible salut des enfants morts sans baptême. Le II concile œcuménique du Vatican affirme ainsi dans la constitution dogmatique Gaudium et Spes (§22-5) « puisque le Christ est mort pour tous, et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal. »
Le Catéchisme de l'Église catholique n'utilise plus le terme de « limbes » quand il évoque le sort des enfants morts sans baptême :
« Quant aux enfants morts sans baptême, l'Église ne peut que les confier à la miséricorde de Dieu, comme elle le fait dans le rite des funérailles pour eux. En effet, la grande miséricorde de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés, et la tendresse de Jésus envers les enfants, qui Lui a fait dire « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas » (Mc 10:14) nous permettent d'espérer qu'il y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême. D'autant plus pressant est aussi l'appel de l'Église à ne pas empêcher les petits enfants de venir au Christ par le don du saint baptême. (CEC-1261) »
Dès 1984, le cardinal Ratzinger (futur Benoît XVI), alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, considérait à titre personnel que la notion de limbes éternelles n'était qu'une hypothèse et que cette hypothèse pouvait être abandonnée. En 2004, la Commission théologique internationale a entamé une réflexion sur ce sujet. Lors de son assemblée plénière du 2 au 6 octobre 2006, elle a déclaré que « l'idée des limbes éternelles, comme lieu auquel sont destinées les âmes des enfants morts sans baptême, peut être abandonnée sans problème de foi. » Cette conclusion sur les limbes des enfants est confirmée en 2007. D'après le document final, la privation de la vision de Dieu pour ceux qui sont marqués par le péché originel, ainsi que l'avait affirmé Innocent III, demeure un article de foi. La Commission estime toutefois que la privation de la vision de Dieu pour les enfants morts sans baptême et l'existence des limbes sont des « thèses théologiques » ou des « enseignements courants », mais ils n'ont pas la valeur d'un article de foi : « il y a lieu de croire que Dieu pourvoit au salut de ces enfants, précisément parce qu'il n'a pas été possible de les baptiser ». L'existence des limbes n'est pas complètement écartée mais demeure une possibilité parmi d'autres.
Pèlerinages et Embryologie sacrée
Jusqu'à la décision du pape Benoît XVI le cas des enfants morts sans baptême était souvent une torture morale pour les parents croyants. La dévotion populaire a mis en place ce qu'on appelait des « sanctuaires à répit » : on considérait que les enfants y ressuscitaient miraculeusement le temps nécessaire pour recevoir l'eau sainte. C'est le cas par exemple à Avioth (Meuse) dans la Basilique Notre-Dame d'Avioth, ou bien de la chapelle Notre-Dame de la Vie à Saint-Martin de Belleville, en Savoie. Dans l'actuelle Seine-et-Marne la Vierge noire de Pringy était invoquée à cette fin. Il y avait aussi à Saint-Martin-d'Heuille, dans le Nivernais, un oratoire (ou un autel ?) consacré à Notre-Dame de Pitié et le 24 octobre 1879 un enfant mort y aurait été ressuscité et aurait pu recevoir le baptême.
Mais que faire des embryons et des fœtus ? C'est sur ce problème que s'est penché François-Emmanuel Cangiamila dont l'Embriologia sagra, traduite en français par l'abbé Dinouart en 1775 a fait longtemps autorité. Il fallait vérifier dans ce qu'avait rejeté la femme s'il ne se trouvait pas un embryon, même minuscule, et le baptiser sub conditione (car on n'était pas sûr qu'il était vivant) en disant : « Si tu vivis… » ; lorsqu'on n'était pas sûr qu'il s'agissait d'une forme humaine on précisait encore : « Si tu es homo et vivis… » ou « Si tu es homo et capax… ».
Quand l'accouchement était difficile et mettait en péril la vie de l'enfant, il ne fallait pas hésiter à baptiser sur le premier membre qui se présentât, la main par exemple. Mais comme on n'était pas sûr de la validité de ce baptême, il fallait le réitérer au cas où l'enfant naissait vivant : « Si tu non es baptisatus… ». Si l'accouchement se révélait trop difficile, on allait jusqu'à introduire de l'eau tiède avec la main ou une seringue afin de toucher l'enfant (ou au moins son enveloppe) en même temps qu'on prononçait les paroles sacramentelles. Ce qui n'empêchait pas ensuite un nouveau baptême sub conditione.
Il fallait même baptiser si l'on n'était pas sûr d'avoir affaire à un être humain. En pareil cas la formule sacramentelle variait évidemment suivant les cas. Voir Le baptême des monstres dans l'Église catholique.
Les Limbes dans le Coran
Dans la tradition musulmane, les limbes sont moins un lieu de résidence intermédiaire pour les morts qu'une antichambre du paradis. Le Coran décrit cette scène : au jour du jugement dernier, tous les humains seront ressuscités par Allah et se tiendront debout et nus sur Terre. Tandis que ceux dont le poids des bonnes actions sera plus grand que celui des mauvaises seront aux paradis et ceux dont les mauvaise œuvres seront plus lourdes que les bonnes seront en Enfer, il y aura ceux dont les bonnes et mauvaises actions auront un poids équivalent. Ils se trouveront sur Al-Araf, décrit comme une immense plateforme ou un mont. Ils regarderont les croyants qui sont aux paradis et les salueront, puis leurs visages seront tournés de force vers l'Enfer. Ils y verront les mécréants, reconnaîtront certains d'entre eux et les blâmeront pour leurs vices. Puis, devant leurs suppliques et leur repentance, Allah par sa miséricorde leur accordera le paradis.
Et entre les deux, il y aura un mur, et, sur al-Araf seront des gens qui reconnaîtront tout le monde par leurs traits caractéristiques. Et ils crieront aux gens du Paradis : "Paix sur vous! " Ils n'y sont pas entrés bien qu'ils le souhaitent.
Et quand leurs regards seront tournés vers les gens du Feu, ils diront : "Ô notre Seigneur! Ne nous mets pas avec le peuple injuste".
Et les gens d'al-Araf, appelant certains hommes qu'ils reconnaîtront par leurs traits caractéristiques, diront : "Vous n'avez tiré aucun profit de tout ce que vous aviez amassé et de l'orgueil dont vous étiez enflés!
Est-ce donc ceux-là au sujet desquels vous juriez qu'ils n'obtiendront de la part d'Allah aucune miséricorde...? - Entrez au Paradis! Vous serez à l'abri de toute crainte et vous ne serez point affligés.
Une vision critique : le spiritisme
Le spiritisme admet de multiples niveaux dans l'au-delà, mais réfute l'idée de limbes éternelles. Ainsi Allan Kardec écrit dans Le Ciel et l'Enfer, à propos de la doctrine des Limbes :
« La simple logique repousse une pareille doctrine au nom de la justice de Dieu. La justice de Dieu est tout entière dans cette parole du Christ : « À chacun selon ses œuvres . » ; mais il faut l'entendre des œuvres bonnes ou mauvaises que l'on accomplit librement, volontairement, les seules dont on encourt la responsabilité, ce qui n'est le cas ni de l'enfant, ni du sauvage, ni de celui de qui il n'a pas dépendu d'être éclairé. »
— Allan Kardec, Le Ciel et l'Enfer, chapitre IV, paragraphe 8, Les limbes.
Selon la philosophie spirite, aucune situation n'est figée et immuable dans l'au-delà, au contraire tout dépend des efforts de chacun pour progresser.
Représentation dans les arts
Dans la peinture
par Sophus Ritto
par Andrea Mantegna : La Descente dans les limbes
par Andrea di Bonaiuto da Firenze (1343-1377),
par Benvenuto di Giovanni del Guasta (1491),
par Hans Raphon (1499),
par Gerolamo di Romano dit Il Romanino (1533-1534),
par Domenico Beccafumi : La Descente du Christ dans les limbes, Pinacothèque nationale de Sienne.
Par la sculpture
par Andrea Briosco (bas-reliefs)
Dans la littérature
par Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal, d'abord intitulé Les Limbes
par Antonin Artaud dans L'Ombilic des Limbes
par Michel Tournier dans Vendredi ou les limbes du Pacifiques
par André Malraux dans Le Miroir des limbes
par J. K. Rowling dans Harry Potter et les Reliques de la Mort, chapitre 35
par Jean-Bertrand Pontalis dans L’Enfant des Limbes, Paris, Gallimard, 1998.
Théâtre
Luc et Christian Boltanski, Les Limbes (opéra-installation) livret (ISBN 9782915794144), mai 2006.
Cinéma
Inception
Pirates des Caraïbes
Au-delà de nos rêves
Harry Potter et les Reliques de la Mort : 2 partie
The Tree of Life
Dans une galaxie près de chez vous 2
Séries télévisuelles
Life on Mars
Ashes to Ashes
Lost
Charmed
Once Upon a Time
Il était une fois
Jeux vidéo
Limbo
Devil May Cry
Langue française
Au figuré, les limbes indiquent un état incertain, indécis que l'on retrouve dans l'expression « ce projet est resté dans les limbes.»