La kéraunopathologie, en anglais : keraunomedicine, est la spécialité biomédicale qui étudie la fulguration, le foudroiement, accident naturel, et les lésions occasionnées par la foudre sur un être vivant, qui peuvent être mortelles ou non, immédiates ou différées.
Étymologie
La foudre s'abat sur Brasilia, 24 décembre 2006.
« Kéraunopathologie » vient du grec ancien κεραυνός / kéraunos, foudre, παθός / pathos, maladie et λογός / logos, parole et signifie « parler ou traiter des maladies liées à la foudre ».
Historique
Alors que Benjamin Franklin établit dès 1752 la nature électrique de la foudre, l'étude détaillée et scientifique des conséquences biomédicales du foudroiement n'est établie que depuis la fin du XIX siècle en médecine vétérinaire, du XX siècle en médecine humaine.
Épidémiologie
La fulguration survient en plein air, en situation de travail (taux annuel moyen de 0,12 morts pour un million de travailleurs, entre 1995 et 2002, aux États-Unis, principalement en Floride et au Texas) ou de loisirs : alpinisme, excursion sur terre ou en mer, match de football, partie de golf, etc.
Au Canada, la foudre fait de 92 à 1** blessés chaque année, principalement en Ontario et au Québec, causant 9 ou 10 décès.
En Allemagne, une cinquantaine de personnes sont foudroyées chaque année, trois à sept décèdent. Quinze pour cent (15 %) des fulgurations sont collectives.
En Suisse la foudre causerait en moyenne 3 décès par an.
Une centaine de personnes sont foudroyées chaque année en France, plus particulièrement des hommes jeunes, dans la région sud-est de l'Hexagone.
Mécanismes physiques
Le foudroiement peut provoquer des lésions de six façons : coup de foudre direct, coups de foudre indirects, effet de souffle, effet acoustique, effet lumineux et traumatismes indirects (chute ou projection).
Électrisation
L'électrisation d'un être vivant par courant de foudre peut se produire selon quatre mécanismes : un mécanisme direct et trois mécanismes indirects.
Coup de foudre direct
Le coup de foudre direct se produit lorsqu'un être humain ou un animal, debout en contact avec le sol, est sur le trajet de l'éclair. Le courant entre par la partie la plus haute à ce moment-là (le plus souvent la tête, mais ce peut être aussi une main, un avant-bras) et s'écoule vers le sol en passant par les membres inférieurs. Le foudroiement d'une personne par l'intermédiaire d'un objet brandi au-dessus de sa tête (ex. : fourche, club de golf ou parapluie) est un foudroiement par coup direct.
Il ne concerne que 5 % des cas humains.
Coup de foudre par éclair latéral
L'éclair latéral est responsable du foudroiement de ceux qui s'abritent de l'orage sous un arbre, dans une cabane ou une grotte. Dans ces cas-là, la différence de potentiel entre le tronc de la personne et la terre s'élève suffisamment pour produire un éclair latéral. Le courant ainsi dérivé prend le trajet de moindre résistance, c'est-à-dire le corps de la personne, et s'écoule à travers lui vers la terre. Certains foudroiements collectifs en plein air sont provoqués par un éclair latéral et se propagent d'une personne à une autre.
Coup de foudre par tension de toucher
Le coup de foudre par tension de toucher a lieu lorsqu'une personne touche un objet conducteur, lui-même frappé par la foudre (piolet, tuyauterie, paroi d'une grotte, etc.). Une quantité considérable de courant peut s'écouler par le corps de la victime.
Coup de foudre par tension de pas
Le coup de foudre par tension de pas survient lorsqu'une personne se trouve à proximité d'un impact de foudre au sol. Le courant diffuse dans la terre autour du point d'impact, la résistivité du sol crée un gradient de potentiel. Si ce gradient intervient entre des points de contact au sol, généralement les pieds d'une personne, celle-ci est parcourue par un courant de dérivation. C'est la cause la plus fréquente de foudroiement du bétail du fait de la grande distance entre les pattes avant et arrière et de la présence du cœur entre les deux.
La foudre en boule
Atteinte indirecte
Une atteinte indirecte lors d'un coup de foudre peut également survenir selon quatre mécanismes :
l'effet de souffle (blast) par surpression ;
l'effet acoustique (120 à 130 dB) ;
l'effet lumineux dû à l'arc électrique ;
les traumatismes indirects par chute ou projection (paralysie transitoire ou effet de souffle).
Physiopathologie
La physiopathologie d'une fulguration est celle d'une électrisation par un courant continu de haute énergie pendant une fraction de seconde.
Les tissus biologiques ont des résistances électriques différentes : le système nerveux est moins résistant que le sang, moins résistant lui-même que le tissu musculaire, moins résistant que la masse grasse, moins résistant que les os.
De manière simplifiée, les événements d'une fulguration se succèdent :
le courant traverse le corps, dont la résistance totale en de telles conditions est faible, estimée à 300 ohms ;
la différence de potentiel entre les deux points d'entrée/sortie du courant (tête/pieds) atteint une valeur de 300 kilovolts (kV), correspondant à peu près à un potentiel suffisant pour qu'un arc soit amorcé entre les deux points de contact, à l'extérieur, à la surface du corps, entre peau et vêtements. Selon la loi d'Ohm, le corps est parcouru par une décharge impulsionnelle dont le pic atteint 1 000 A en 1 ou 2 microsecondes ;
la très grande majorité du courant s'écoule tout naturellement dans l'arc de contournement externe ainsi amorcé (chemin de moindre résistance). La différence de potentiel entre les deux points de contact (tête-pieds) diminue et n'est plus que de 3 kV environ. Selon la loi d'Ohm, le courant traversant le corps est donc au maximum de 10 A (en moyenne de 3 ou 4 A), pendant au moins quelques millièmes de secondes.
Dans cette séquence simplifiée l'écoulement de la majeure partie du courant de l'arc dans l'arc de contournement externe (donc à l'extérieur du corps) et la durée en général très brève du passage de courant dans le corps ont un effet protecteur, limitant le risque de fibrillation ventriculaire et de brûlures électrothermiques internes.
Effets électriques non thermiques
Effets électriques non thermiques sur les tissus traversés par le courant de foudre.
Effets électrothermiques (effet Joule)
Des effets électrothermiques (effet Joule) se manifestent à l'intérieur du corps et surtout à l'extérieur du corps (à sa surface). Les brûlures de la peau se concentrent souvent au contact des pièces métalliques des vêtements : elles peuvent fondre au passage du courant de foudre en surface.
Effets explosifs
Des effets explosifs ont lieu par surpression, échauffement et vaporisation.
Effets acoustiques
Effets de souffle
Les effets explosifs et acoustiques constituent l'effet de souffle (blast) ; ils sont associés à des effets similaires à ceux du barotraumatisme.
Effets lumineux
Diagnostic
Mort immédiate
La mort peut être immédiate, due à des lésions vitales ou une chute secondaire à la fulguration, mais le plus souvent la mort est due à une fibrillation ventriculaire cardiaque qui précède de quelques minutes l'asystolie, d'où la règle de pratiquer d'urgence le massage cardiaque puis la défibrillation de tout foudroyé inconscient : face à une mort apparente, toute tentative de réanimation cardiorespiratoire rapidement instaurée améliore le pronostic.
Lésions du crâne et du système nerveux
Traumatisme crânien ; faiblesse ; amnésie ; confusion ; blessures intracrâniennes ; perte de conscience immédiate ; brève aphasie ; paraplégie ; quadriplégie (tétraplégie, kéraunoparalysie) ; lésions de la moelle épinière ; froideur, marbrures et disparition du pouls aux extrémités.
Atteintes cardiovasculaires
Tracé électrocardiographique d'asystolie.
Fibrillation ventriculaire; asystolie; hypertension artérielle; tachycardie; variations aspécifiques du segment ST et de l’onde T; intervalles QT prolongés; contractions ventriculaires prématurées; infarctus du myocarde.
Atteintes des organes sensoriels
Uvéite.
Perforation de la membrane du tympan ; otite moyenne secondaire ; étourdissement transitoire ; surdité temporaire ou permanente ; pupilles dilatées et, ou non réactives ; amaurose fugace ; œdème cornéen ; uvéite ; hyphéma ; hémorragie vitréenne ; cataractes.
Lésions cutanées
La présence sur la peau de figures de Lichtenberg est pathognomonique d'un foudroiement : les unes ne vont pas sans l'autre.
Brûlures linéaires, punctiformes et partielles ou profondes, marques laissées par l’éclair ; les brûlures de la peau se concentrent souvent au contact des pièces métalliques des vêtements : elles peuvent fondre au passage du courant de foudre en surface.
Autres atteintes
Myoglobinurie (rare); myalgie; hypothermie; traumatisme contondant (ex. : fractures des vertèbres, du crâne, des côtes et des extrémités).
Examens complémentaires
réalisation d'un ECG
échocardiographie
mesure de l'activité plasmatique des enzymes CPK, CPK-MB
dosage de la myoglobine dans les urines
Prise en charge
Porter secours à un foudroyé n'est pas particulièrement dangereux. Tout objet métallique ou mouillé doit cependant être rapidement écarté pour éviter une récidive : mousquetons, piolet, crampons, club de golf, cordes mouillées… Afin d'éviter un sur-accident son casque ne lui est pas retiré sur place. En cas d'arrêt initial de la respiration, une ventilation artificielle (bouche-à-bouche, bouche-à-nez, etc.), permet de reprendre un bon pronostic.
Protégé (mise en place d'un collier cervical), perfusé, hydraté et soulagé de ses douleurs éventuelles, le foudroyé est évacué vers un hôpital.
Évolution et complications
péricardite ; cardiomyopathie
douleur thoracique, gêne respiratoire
kéraunoparalysie (pouvant mimer une lésion médullaire, sa résolution est spontanée), myélopathie progressive, atteintes des paires crâniennes (troubles de l'audition : 10 %, aphonie : 6 %, parésie faciale 4 %, anisocorie : 3 %, aréflexie pupillaire : 3 %, troubles de la déglutition : 2 %), syndrome régional douloureux complexe
cataracte bilatérale
troubles de stress post-traumatique
Prévention
Nombreuses sont les activités de plein air à éviter ou à interrompre en cas d'orage : pêche, baignade, sortie en bateau, cyclisme, golf, alpinisme, travaux électriques et réparation de toiture ou d'antenne notamment. Dans la nature il convient de s'écarter des cimes, des chemins de crête, des arbres et des objets métalliques : pylônes, piquets de tente, fourches, haches, pioches, piolets, clubs de golf et même parapluies… Si c'est impossible de se séparer d'outils métalliques, ceux-ci sont placés sur le sac à dos de telle sorte qu'ils ne dépassent pas la tête des porteurs. Les membres d'un même groupe devraient s'écarter les uns des autres de plus de 7 mètres. Les meilleurs abris restent un vaste bâtiment, tout en restant éloigné des issues, ou un véhicule au toit métallique dont portes et fenêtres sont maintenues fermées ; un modèle convertible au toit souple n'est pas protecteur. En l'absence d'une telle protection il est recommandé de s'abriter au plus profond d'une grotte au milieu d'une forêt ou au fond d'un ravin, ces solutions étant préférables à rester à découvert en plein champ. À l'approche des éclairs, des « abeilles » en montagne et des feux de Saint-Elme, il est recommandé d'adopter une position spécifique offrant le moins possible de potentiel électrique : accroupi les pieds et les genoux joints, n'offrant qu'un point unique de contact avec le sol — en cas de faiblesse ou de position assise, relever les pieds et ne pas toucher le sol avec ses extrémités. En montagne l'arrimage individuel est de règle afin d'éviter un sur-accident par chute. Il est possible de s'isoler du sol avec un sac en plastique, une bâche isolante, un petit bloc de pierre, un vêtement imperméable ou un tapis de sol roulé.