En phonétique, l'amuïssement consiste en l'atténuation ou, le plus souvent, la disparition complète d'un phonème ou d'une syllabe dans un mot. L'amuïssement est une modification phonétique courante en phonétique historique. Il peut être classé dans la catégorie des métaplasmes quand il concerne la syllabation du mot.
Raisons de l'amuïssement
De nombreux amuïssements sont dus aux effets de l'accent tonique : les phonèmes figurant dans des syllabes atones sont généralement plus instables et susceptibles de s'amuïr. On explique ainsi de nombreuses apocopes, aphérèses et syncopes.
Dans d'autres cas, l'amuïssement est dû à des simplifications de groupes. Par exemple (l'orthographe en porte encore la trace) de nombreux mots anglais portent la marque d'une consonne amuïe devant une autre consonne. C'est le cas pour les groupes /kn/ en début de mot : knife [naɪf] « couteau » ou know [nəʊ] « savoir ». Le premier remonte au vieil anglais tardif cnīf, le second au vieil anglais cnāwan. De même pour /pb/ et /pn/, /ps/ et /pt/ à l'initiale : cupboard [ˈkʌbəd] « placard », pneumonia [njuːˈməʊnɪə] « pneumonie », psychic [ˈsaɪkɪk] « psychique », Ptolemy [ˈtɒləmɪ] « Ptolémée ».
C'est une des formes les plus visibles de la paresse articulatoire, qui conduit aux évolutions phonétiques. Elle peut parfois entraîner d'autres modifications, dont les plus importantes sont l'allongement compensatoire et la métaphonie.
L'amuïssement, un processus de long terme
Tout au long de l'histoire de la langue française, l'amuïssement a joué un rôle extrêmement important, plus encore que dans les autres langues romanes, qui ont globalement mieux conservé leur consonantisme. La plupart des mots étant accentuée sur la syllabe pénultième en bas-latin, c'est la dernière syllabe qui s'est le plus souvent amuïe en français. Ce processus rend compte en grande partie, mais pas toujours, du nombre pléthorique de mots français qui contiennent aujourd'hui des lettres muettes, généralement en position finale.
Les amuïssements les plus évidents sont ceux qui touchent les accords (-e, -s, -ent etc.), car la graphie actuelle rend toujours compte des lettres anciennement prononcées, lettres qui conservent un rôle capital dans la grammaire et la syntaxe de la langue écrite, et dans une plus faible mesure de la langue orale, avec le système des liaisons. Cependant, il ne faut pas oublier que les accords furent prononcés pendant des siècles. Par exemple, l’e dit "caduc" fut prononcé en position finale jusqu'au XVI siècle en France, quoique accentué de manière de plus en plus faible. On prononçait par exemple "tuée" [tɥeə], encore du temps de Clément Marot (1496-1544). Lors de la conquête normande de l'Angleterre au XI siècle, le s final des désinences casuelles et de nombre, ainsi que des suffixes était encore prononcé [s], c'est pourquoi en s'intégrant dans le vocabulaire du vieil anglais, les mots romans d'origine continentale ont conservé leur [s] articulé jusqu'à aujourd'hui, par exemple dans les pluriels en s qui ont été tout naturellement assimilés aux pluriels anglo-saxons en -as (nominatif pluriel), de même le suffixe d'adjectif -ous (variante de -eus > -eux) conserve le [s] final de l'ancien français.
En règle générale, l'amuïssement ne se produit pas soudainement, mais se développe dans la durée, et n'apparaît clairement qu'au terme d'un processus qui connaît des sons de transition. Ainsi, le suffixe -et n'a pas passé directement de [ɛt] à [ɛ] mais a évolué d'abord en [ɛθ]. Ici, le passage d'une occlusive à une fricative dénote un relâchement consonantique qui, à terme, va déboucher vers une disparition totale de la consonne phonétique. Si l'on garde l'exemple du t, on ne manquera pas d'étudier le cas du verbe "amuïr" lui-même, issu d'un bas latin *admutire de sens similaire. Dans ce cas-ci, le t est intervocalique et subit un traitement plus complexe : [admutire] ⇒ [amutire] ⇒ [amutir] ⇒ [amudir] ⇒ [amuðir] ⇒ [amuir] ⇒ [amyir] ⇒ [amyiʀ] ⇒ [amɥiʀ]. On le voit, le t s'est d'abord sonorisé en [d] (lénition) avant de passer à la fricative [ð] puis de s'éteindre. Par ailleurs, dans ce dernier exemple, on pourra remarquer que la lettre amuïe a disparu dans la graphie alors qu'elle s'y est conservée dans le cas du suffixe -et. Dans notre premier exemple, le t a été en effet protégé par référence à la forme féminine en -ette (où seul le [ə] final s'est amuï). L’amuïssement est donc nié dans la graphie, non par conservatisme gratuit, mais pour des raisons morphosyntaxiques, comme très souvent en français.
Exemples en français contemporain
Le cas le plus notable en français (sauf dans certaines régions du Midi) concerne le phonème /ǝ/ (dit e « caduc » ou e « muet »), qui peut s'amuïr, sauf quand il est suivi d'un groupe de consonnes auquel il peut servir de support : revenir peut être prononcé /rǝvǝnir/ ou, plus couramment, /rǝvnir/, /rvǝnir/ voire /rvnir/.
L'orthographe du français, très conservatrice, garde souvent la trace d'anciens phonèmes amuïs, qui étaient donc prononcés dans un état plus ancien de la langue. Par exemple, dans le mot petit, le graphème t n'est normalement pas prononcé (/pǝti/). Il l'était en ancien français et il réapparaît en liaison (petit homme /pǝtit‿ɔm/ voire /ptit‿ɔm/ avec amuïssement du e « caduc ») ainsi que dans la formation du féminin petite /pǝtit/, laquelle forme porte en finale la trace d'un e « caduc » lui aussi normalement muet.
En règle générale, la majorité des graphèmes consonantiques de fin de mots du français sont muets et dénotent la trace d'un ancien phonème amuï. Certaines réfections orthographiques, cependant, sont à prendre en considération : ainsi, l'adjectif grand au masculin ne se prononçait pas, en ancien français, avec un /d/ final mais avec un /t/ (on l'écrivait d'ailleurs le plus souvent grant; cf aussi la prononciation de "grand homme"). C'est par analogie avec le féminin récent grande que l'on a modifié le t en d. En effet, cet adjectif faisait partie des adjectifs dit épicènes de l'ancien français, tels que fort, vert, tel, etc., tous issus d'adjectifs latins en -is (fortis, viridis, talis…) dont les formes masculine et féminine étaient identiques.
Pour être qualifié d'amuï, un phonème doit avoir été réellement prononcé : le d du mot poids n'est donc pas la trace d'un ancien phonème amuï /d/ car ce n'est qu'une lettre ajoutée par erreur au mot, les grammairiens se sont trompés, croyant y reconnaître l'étymon pondus. Poids est en effet issu de l'adjectif latin pensum, de même étymologie que peser.
Pour faire simple, on peut parler du mot fenêtre. l'accent ^ remplace le S. On disait autrefois fenestre. Que l'on retrouve toujours de nos jours dans "défenestré" (qui veut dire : jeter, poussé, tombé par la fenêtre)
Exemples en grammaire comparée des langues indo-européennes
La grammaire comparée des langues indo-européennes tente de remonter au plus loin dans l'origine commune de cette macro-famille. La comparaison a permis de dégager des phonèmes qui sont absents de la plupart des langues "filles", mais qui subsistent à l'état de traces ou d'influences particulières que les lois phonétiques n'expliquaient pas correctement. Ces phonèmes sont appelés "laryngales", puisque les linguistes pensent qu'ils étaient prononcés au niveau du larynx. On en dénombre généralement trois : *h1, *h2 et *h3.
Au cours de l'évolution, ces phonèmes se sont amuïs, en colorant un *e adjacent selon la laryngale : ainsi au contact de *h1, *e conserve son timbre, au contact de *h2, *e passe à *a, et au contact de*h3, *e passe à *o.