varech Nom vulgaire ou nom vernaculaire ambigu : Les expressions « varech » et « goémon » désignent en français plusieurs taxons distincts. Taxons concernés Classe: Phaeophyceae Diverses espèces : Voir texte
Le varech (du normand warec, werec signifiant épave, d'origine anglo-scandinave. Anglo-normand wrec du vieux norrois *wrek ou vagrek de même sens), également appelé goémon épave (du breton gouemon : Phaeophyceae ; ou du gallois gwymon) en Bretagne et en Normandie, est constitué par un mélange indéterminé d'algues brunes, rouges ou vertes, laissées par le retrait des marées, et que l'on récolte le long des côtes maritimes, notamment en Bretagne, essentiellement à l'usage d'engrais.
En Europe, et surtout en Bretagne-sud, la production naturelle de varech tend à diminuer ; de manière « préoccupante » pour les espèces de l'ordre des Fucales selon l'Ifremer et le réseau ReBent qui en assure le suivi (par photographie aérienne, imagerie satellite et relevés de terrain) en France avec le CEVA.
Histoire
Le varech, du normand warec, werec signifiant épave, est d'origine anglo-scandinave. Jusqu'au Moyen Âge, le varech ne désigne pas seulement l'algue, comme aujourd'hui, mais tout ce que rejette la mer sur la côte comme les poissons, les baleines, les épaves de toutes sortes.
Les espèces qui composent le varech
Varech sur le sable
Goémon en train de sécher devant l'île Ségal en Plouarzel (Finistère)
Le varech se compose essentiellement d'algues de la famille des Phaeophyceae, ou algues brunes, telles :
les laminaires, du genre Laminaria, ordre des Laminariales
les fucus, du genre Fucus, ordre des Fucales
les ascophyllum, du genre Ascophyllum, ordre des Fucales
Introduction aux diverses "soudes d'algues brunes ou de varech"
Le varech est constitué en grande partie sur les rivages atlantiques ou de la Manche de fucus vésiculeux, une algue brune, dont on extrayait de la « soude » d'algues brunes, ou "soude de varech" autrefois destinée à la fabrication du verre, surtout avant le XVII siècle en la faisant sécher puis brûler. C'était notamment encore le cas dans la fabrique de bouteilles de Pierre Mitchell à Bordeaux au début du XVIII siècle.
Quelle était sa composition chimique ? Malgré les variantes de compositions dues à la matière première récoltées et aux divers procédés souvent élémentaires, il s'agit principalement d'une source secondaire de potasse, via le chlorure de potassium KCl, c'est-à-dire la sylvine des minéralogistes. Ce débouché s'est amenuisé très progressivement, très insensiblement à partir de 1790 avec l'invention par Nicolas Leblanc d'un procédé de production du carbonate de sodium à partir du sel marin, puis de manière plus sensible après 1830 pour se tarir de plus en plus brutalement après 1870 concurrencé par la soude Solvay. L'année 1880 sonne le glas de cette production traditionnelle ou paysanne.
Il ne faut pas confondre cette première soude avec la "soude de varech" ou soude des goémoniers, produit récent de la cuisson des laminaires et algues sélectionnés, récoltés et séchés par les goémoniers, du premier tiers du XIX siècle au début du XX siècle afin de produire de l'iode et du brome. Ce débouché provient de l'adaptation de la découverte du chimiste Balard, mais il s'est rapidement trouvé en concurrence avec l'iode extrait des nitrates, issus des guanos du Chili, ainsi que le brome et les autres halogènes des mines potassiques de Stassfurt.
On trouve des fours à goémon sur la plus grande partie des côtes du Finistère. De nombreux sont encore visibles comme à Porz Poulhan en Plozévet,à Penhors en Pouldreuzic, à Saint-Guénolé en Penmarc'h, à Lesconil en Plobannalec, à Plovan, etc. le long de la côte sud, ou encore à Cléder, à Meneham en Kerlouan, dans la presqu'île Saint-Laurent en Porspoder, etc. le long du littoral nord.
La récolte en France
Pêche de Varech vers 1900, dans le nord de la France
Tas de goémon sec devant alimenter un four à soude à Meneham (hameau de la commune de Kerlouan, Finistère, France)
Four à varech, pour produire la soude de goémonier riche en iode (Kerlouan, Finistère)
En France, l'activité de récolte est effectuée par les agriculteurs des communes littorales, et ne doit pas être confondue avec la récolte par coupe ou arrachage effectuée par les goémoniers, inscrits maritimes disposant d'une licence spécifique, pour alimenter l'industrie des algues.
Sous l'Ancien Régime
Les règles variaient selon les endroits. Par exemple, l'usement de Léon est ainsi décrit (l'orthographe de l'époque a été respectée) :
« Les Armoriquains de Léon et de Dôlas (Daoulas), desquels les villages et tenues aboutissent sur la mer, sont en possession chacun en droit de ses terres, de jouir et de disposer du gouëmon qui se couppe des rochers et autres gouëmons que la mer rejette à bord. Bien entendu touttefois que tout le gouëmon flottant et qui n'est pas encore à sec appartient au premier qui le ramasse, soit par batteaux ou se hazardant de le devancer au Rivage. »
Selon l'ordonnance de 1681, le ramassage du goémon est réservé aux habitants des communes littorales, mais cette règle était contournée, comme l'explique Antoine Favé : « Un étranger [à la paroisse], louant un lopin de terre à six livres l'an, devenant par là même riverain [de la mer] à Landunvez, y venant, pour la coupe, avec force chevaux et domestiques, et commettant l'injustice envers les habitants ».
Règlement de la collecte du goémon dans le Morbihan (an VI, 1798)
Une déclaration du Roi datée du 30 octobre 1772 limite l'autorisation de coupe du goémon aux trois premiers mois de l'année et renouvelle l'interdit de la vente du goémon aux forains [étrangers à la paroisse], ce qui suscita maintes protestations de la part des habitants des communes littorales.
Branellec, recteur de la paroisse de Landunvez (évêché de Léon), dans une lettre du 2 janvier 1775 adressée à l'évêque de Léon Jean-François de la Marche en réponse à son enquête sur la mendicité, écrit (l'orthographe de l'époque a été respectée) :
« Plusieurs particuliers des paroisses voisines manœuvres quelque pièce de terre dans la nôtre, et sous cette raison viennent à la couppe et emmènent le plus de personnes qu'ils peuvent pour les aider. Par là il arrive qu'un étranger qui n'a que 6 livres, 12 livres ou 24 livres de ferme en Landunvez, aura autant ou plus qu'un habitant une ferme de 300 livres ou 400 livres. Il est clair qu'il y a en cela une injustice parce que les terres de la côte sont beaucoup plus chères à cause du droit prohibitif que les cultivateurs y ont sur la couppe de goëmon. »
Le même curé Branellec écrit aussi, toujours à propos de la récolte du goémon :
« C'est à travers des groupes de rochers que l'on tire le goémon de notre côte, et on va presque au galop, ou pour gagner sur la marée, ou pour augmenter sa récolte. (...) La déclaration du 30 octobre 1772 qui en fixe la couppe au mois de janvier, février ou mars, rend ce grand don de la Providence presque inutile à nos Armoriquains et en voici les raisons : 1° parceque on ne peut en ce temps sécher le goémon qui se perd en deux ou trois jours si on ne le sèche. 2° parceque c'est le temps ou les Armoriquains disposent leurs terres à être ensemencées. (...) Ils ne peuvent donc être alors à la grève. 3° parceque le mois de mars qui est le seul où l'on puisse sécher est aussi le mois ou les juments poulinent. Or il n'y a dans toutes les Armoriques presque que des juments. Il faudrait donc atteler des juments qui ont nouvellement pouliné ou sur le point de le faire au risque de perdre et les mères et les fruits par un charroi aussi difficile que précipité. (...) Un autre inconvénient est que pendant ces trois mois la saison est si dure que les plus robustes ne peuvent qu'à peine en supporter la rigueur et par conséquent les médiocres ne la supporteraient qu'en s'exposant à des inconvénients aussi tristes qu'ils seroient communs par la nécessité qu'il y auroit pour eux de les encourir ou de manquer de goëmon et en conséquence de pain même, parce que le goëmon seul en donne aux trois-quarts des Armoriquains »
Au XIX siècle
La coupe commençait sérieusement après les tempêtes d'avril. Elle ne demandait pas de matériel spécialisé ; le goémon était remonté sur le rivage et puis étalé pour qu'il sèche. La récolte du varech est ainsi décrite en 1864 sur les côtes du nord du Finistère :
« La coupe du varech a lieu à des époques fixes. Au jour convenu, on voit des populations entières accourir sur la grève, avec tous les moyens de transport qu'elles ont pu se procurer : chevaux, bœufs, vaches, chiens, tous les animaux sont employés, tous les instruments sont mis en réquisition ; on trouve au rendez-vous les femmes, les enfants, les vieillards ; personne ne reste au logis ce jour-là ; on dirait la récolte d'une manne céleste ! Les réunions ainsi formées, s'élèvent dans certaines baies à vingt mille personnes et plus. Chacun s'occupe de recueillir la plus grande quantité de varech possible pour en former un monceau sur le rivage ; mais il arrive nécessairement que, dans ce pillage régulier, les plus riches fermiers, qui disposent de nombreux attelages et de beaucoup de bras, sont toujours les mieux partagés. Pour obvier à cet inconvénient, les prêtres catholiques du Moyen Âge avaient établi une pratique aussi ingénieuse que touchante : c'était de n'admettre, le premier jour, à la récolte du varech, que les habitants peu aisés de la paroisse ; ceux-ci empruntaient à leurs voisins des charrettes et des chevaux, et parvenaient ainsi à faire une bonne récolte. Dans le Finistère, où les mœurs antiques se sont en partie conservées, cet usage se retrouve encore ; le premier jour de la coupe du goémon s'y appelle le "jour du pauvre" ; le prêtre vient à la grève dès le matin, et si un riche se présente pour récolter : « Laissez les pauvres gens ramasser leur pain » dit le recteur, et le riche se retire. »
« Le varech ne se recueille pas toujours sur le rivage ; il arrive souvent que les rochers auxquels il s'attache sont éloignés de la côte. Dans ce cas, les paysans ne peuvent disposer d'un nombre suffisant de bateaux pour transporter leur récolte sur la terre ferme ; ils lient les monceaux de varech avec des branches d'arbre et des cordes, et en forment d'immenses radeaux (dénommés dromes) sur lesquels ils se placent avec leur famille ; une barrique est généralement attachée à l'extrémité de cette masse mouvante ; un homme s'y tient et, de cet endroit, dirige le mieux possible cet étrange navire. La mer offre alors un spectacle singulièrement bizarre ; on voit d loin ces mille montagnes flottantes dériver avec la marée vers le rivage, comme des baleines endormies. Lorsqu'elles approchent, on aperçoit sur leur sommet des têtes de femmes et d'enfants ; on entend des chants, des cris de plaisir, de gais noëls lancés au ciel ; mais parfois, au milieu de ce tumulte joyeux, un de ces monstrueux navires, écrasé par son pois, s'affaisse subitement; se rapproche du niveau de la houle ; des clameurs d'épouvante s'élèvent... la noire montagne fond dans la mer et disparaît à tous les yeux. Il est parfois impossible de lui porter secours ! « Il y a une famille de noyée » dit-on à bord des autres radeaux. Les fronts se découvrent pieusement, et le convoi poursuit sa route. »
Remontée du goémon à l'aide d'un davier (schéma explicatif)
Valentine Vattier d'Ambroysie en 1869 décrit ainsi cette activité aux environs de la Pointe Saint-Mathieu, dans un site de falaises escarpées :
« Le cueilleur de goémon doit s'avancer jusqu'à l'extrême limite du rivage, recevoir le choc de la lame, escalader, pieds nus, les pointes déchirées, courir le risque d'être précipité depuis des hauteurs prodigieuses... Ce n'est rien encore. Dans les lieux les plus escarpés et où l'on ne saurait parvenir, les obstacles sont tournés. Les roches surplombant l'abîme ont été percées. À ces ouvertures ainsi obtenues, on fixe des poulies soutenant des cordes terminées par des crochets. Avec l'aide de ces appareils, il est possible de ramener une grande abondance de goémon qui, dans ces réserves naturelles, est toujours amoncelé en quantités immenses. Mais, le plus souvent, ce sont des cueilleurs courageux qui, osant se confier à la solidité des cordages, descendent, ainsi suspendus, au fond des gouffres, forment de lourds paquets, et les rapportent attachés à leur ceinture !!!... C'est, à peu de chose près, imiter les chasseurs norvégiens dénicheurs d'oiseaux marins. C'est encore risquer sa vie pour un bien maigre salaire. Il ne faut cependant pas oublier que, depuis l'établissement des usines de produits chimiques, une certaine aisance s'est répandue dans le pays. Les habitants, accoutumés depuis l'enfance à une vie excessivement pénible,regardent comme un surcroît de fortune ce métier qui occupe tant de bras trop faibles pour la pêche. »
Georges Clairin : Les brûleuses de varech à la Pointe du Raz (1882)
Une autre description, datant de 1852, concerne Clohars-Carnoët :
« À Clohars (...) on voit des landes immenses dont les habitants riverains et propriétaires jouissent en commun. (...) Il y a quelques prairies, comme celles qui bordent la Laïta, de Quimperlé à Clohars-Carnoët, où les animaux sont menés à la pâture, depuis la fauchaison jusqu'au mois de mars ; mais la vaine pâture sur les prés doit être considérée comme un fait exceptionnel ; en général, les prés sont clos et profités exclusivement par le propriétaire. (...) On voit sur les hautes falaises, ou les champs bordiers à pic, des travaux en maçonnerie ou en pierres sèches, soit pour déposer les goémons, soit pour faciliter leur transport sur les terres. Ces travaux sont souvent de véritables usurpations, et donnent à la longue un droit réel sur les fonds d'autrui ; car la possession publique et continue d'un travail de main d'homme est constitutive, lapsus temporis, d'une servitude active au profit de l'auteur de la construction. Le cultivateur qui ne possède pas un champ bordier recherche avec soin un lieu convenable pour déposer ses goémons, et surtout pour se procurer le goémon flottant, si difficile en certains lieux à hisser au haut des falaises escarpées où les flots l'entasse ordinairement. On nomme "croc à goémon" l'appareil consistant en un poteau solidement fixé sur la cime de la falaise, auquel on adapte une corde à poulie, servant à monter et à descendre le panier ou mannequin, dans lequel on met le goémon retiré des flots. C'est ainsi qu'on parvient à retenir un engrais qui autrement serait emporté sur des plages éloignées par la marée descendante. Le tout est de saisir les moments favorables ; car partout où la plage est étroite, le goémon flotte, mais n'échoue point. (...) Mais les pêcheurs de goémon ont à lutter contre une grande difficulté d'une autre espèce, le défaut de chemins et passages pour les charrettes. C'est ce qui décourage souvent le cultivateur, qui craint de perdre en procès le fruit des peines et soins qu'il prend pour avoir cet engrais estimé. »
Les habitants de l'Île de Batz et ceux de l'île Callot récoltaient aussi le goémon comme l'illustre ce témoignage du milieu du XIX siècle :
« Les habitants de l'Île de Batz et de la presqu'île de Callot récoltent le goémon qu'ils font sécher et l'emploient pour les besoins domestiques en guise de bois de chauffage. Les cendres qui en proviennent, et qu'ils conservent avec le plus grand soin, sont livrées au commerce agricole, mais elles ne sont jamais pures. Elles se trouvent mélangées à de la cendre provenant de la combustion de bouses de vache, que les habitants des côtes font sécher au soleil et qu'ils emploient ensuite comme combustible. Les cendres de goémon les moins mélangées, et par conséquent celles qui sont le plus estimées et recherchées, sont celles qui proviennent de l'Île de Batz. Celles de la presqu'île de Callot sont moins pures ; elles sont mélangées à une grande quantité de terre noirâtre que produit la presqu'île et qui en diminue et la valeur et la propriété. Les cendres de goémon ou de varech se vendent sur les marchés de Morlaix et de Penzé, vers la fin de mai et le commencement de juin, aux cultivateurs des cantons de Sizun et de Saint-Thégonnec qui en font un grand usage pour leurs blés noirs. »
Ils s'en servaient aussi pour la nourriture des animaux : « À l'Île de Batz, à Plouescat et au Passage en Plougastel, il résulte que les chevaux, les vaches et même les porcs se montrent friands d'une espèce de goémon appelé en breton Bezin trouc'h ("goémon de coupe"). (…) [Une autre espèce], Bezin telesk, (…) sert aux Iliens pour la fabrication d'une tisane qu'ils regardent comme souveraine contre les affections de poitrine ».
Des descriptions de la récolte du goémon dans différentes îles de l'archipel de Molène comme l'Île de Molène, Béniguet, Balanec, Quéménès sont disponibles en consultant ces pages de cette encyclopédie.
Ramassage du goémon dans la décennie 1940 par des maraîchers sur la plage des Sables-d'Olonne
Cette coupe de goémon, dénommée le berce, était parfois une véritable fête, comme l'illustre ce témoignage en rivière de Lézardrieux :
Alfred Guillou : La ramasseuse de goémon (1899, musée des Jacobins, Morlaix)
« Quelle fièvre dans cette foule de coupeurs de varech ! Un rocher plus riche que les autres est en quelque sorte pris d'assaut avant que la mer ne l'ait abandonné. Peu importe le sexe, l'âge, tous participent à cette immense razzia. Il n'est pas jusqu'au dernier marmot qui, tout fier de sa petite faucille, ne croie puissamment concourir à ce grand travail en tranchant ses une ou deux touffes de goémon. Pendant que les uns coupent, d'autres rassemblent en tas la récolte et la transportent au moyen de civières, soit à leurs embarcations, soit à des charrettes dont le robuste attelage se compose de 4 à 5 chevaux. Rien de splendide comme un de ces lourds véhicules ployant sous le poids d'une montagne toute ruisselante de plantes marines, d'algues balayant la grève de leurs larges feuilles semblables à de transparentes écharpes aux couleurs de bronze florentin. Impatient de ramener à la ferme son trésor humide, exhalant encore les senteurs de la mer, l'attelage lui-même s'anime, surexcité par le bourdonnement, par les cris de la fourmilière humaine qui l'entoure, et secoue joyeusement ses colliers garnis de grelots tapageurs, ses harnais garnis de houppes multicolores. L'heure avance, la marée monte. On se dépêche, on se presse : le flot n'attend pas. Gare aux traînards ! Le courant arrive, foudroyant, rapide : malheur aux pauvres gens qui, n'ayant ni bateaux, ni voitures, on trop vite ou mal assemblé avec de faibles amarrages, en une meule flottante, le produit de leur labeur ; en un instant, sa dispersion est complète. Adieu la prospérité future de leur petit coin de terre. Heureux encore ceux qui, dans cette circonstance, hélas assez fréquente sur nos grèves, ne payent pas de leurs jours leur imprudence. »
Il ne fallait pas non plus se laisser surprendre par la marée ou par la tempête sur un îlot comme cela arriva le 14 février 1838 à environ 200 personnes sur l'îlot de Molène en Trébeurden, qui furent secourus par le recteur de la paroisse.
Le brûlage du goémon afin d'obtenir la soude
Les brûleurs de goémon en 1898 (à Ouessant)
Une fois sec, il était brûlé à haute température, jeté par petites poignées pendant plusieurs journées. Une sorte de lave minérale se déposait alors au fond de la fosse. Des hommes armés du pifon remuaient la couche de goémon pour mieux la faire brûler. Avec la chaleur, l’iode contenu dans les algues s’évaporait. Ils laissaient refroidir et à l’aide du pifon, ils dégageaient les « pains de la mer ».
Ces pains de soude de varech, principalement à base de KCl, étaient emportés vers des fours verriers et utilisés dans le processus de fabrication du verre. Plus tard, alors que des alcalis différents sont produit par une chimie de synthèse balbutiante, le brûlage d'algues sélectionnées est utilisé pour produire de iode très utilisée en pharmacie (teinture d'iode, etc)
Ces pains ont aussi été utilisés pour l'artisanat de la photographie après que Daguerre ait découvert la sensibilité de l'iodure d'argent à la lumière.
Valentine Vattier d'Ambroysie a décrit comme suit le brûlage du goémon en 1869 près de la Pointe Saint-Mathieu :
« Pour rendre le goémon propre aux transformations chimiques, il faut le brûler, opération accomplie sur des rochers isolés ou sur des emplacements du rivage impropres à autre chose. La combustion produit une fumée blanche, tellement abondante et opaque,qu'elle peut parfois, en masquant l'horizon, gêner l'étude des points de repère de la côte. Toute chargée d'exhalaisons marines, cette fumée est très désagréable et nuisible, par sa trop grande activité, à la végétation. S'il était possible de la condenser et de la distiller, on en retirerait certainement des produits excellents. »
« Le brûlage s'opère en général dans des auges en pierres plates, de sept à huit mètres de longueur, sur quatre de largeur et trois de profondeur. On creuse un peu la terre au-dessous des dalles irrégulières formant le fond, afin qu'un courant d'air puisse s'établir. L'incinération dure plusieurs heures. Lorsqu'elle touche à sa fin, on brasse la matière avec des barres de fer. Ce mode primitif gaspille beaucoup de matières ; car, pour obtenir un tonneau de soude, il ne faut pas moins de douze tonneaux de goémon vert qui, une fois séchés, se trouvent réduits à six tonneaux. »
« L'agriculture employant de plus en plus les engrais de mer, les fabriques [usines] ont dû élever le prix payé par chaque batelée. En même temps, il a fallu chercher des moyens moins onéreux d'obtenir des cendres. »
Deux industriels, Pellieux et Mazé-Launay, installent vers 1870 deux usines à soude, l'une à Béniguet, l'autre à Trielen, deux îles de l'archipel de Molène. Ces deux industriels ont inventé un nouveau modèle de four qui traite 60 kg de goémon toutes les deux heures, les convertissant totalement en 3 kg de soude. Mais ce brûlage du goémon est très polluant en raison de l'abondance des fumées émises. Leur demande en 1872 de création d'une nouvelle usine à l'Île de Batz suscite des polémiques passionnées au sein du Conseil général du Finistère, Théophile de Pompéry, conseiller général et grand défenseur de l'agriculture reprochant à ce projet l'utilisation de quantités importantes de varech indispensable comme engrais naturel pour l'agriculture et surtout les pollutions induites par les abondantes fumées émises. Le conseil municipal de Roscoff s'y oppose pour les mêmes raisons.
L'essor des industries de fabrication de l'iode à partir du goémon
Initialement utilisé presque uniquement comme engrais, l’usage industriel du goémon se développe à partir de la fin du XVIIIe lorsque ses cendres, les « soudes de varech », riches en carbonate de sodium, entrent dans la fabrication du verre ; on s’en sert aussi en savonnerie, pour nettoyer le linge, teindre des étoffes… L’invention de Nicolas Leblanc, qui mit au point en 1791 un procédé de fabrication du carbonate de sodium à partir du sel marin provoqua la ruine des « soudiers ».
Mais en 1812, Bernard Courtois découvre que l’on peut obtenir de l’iode à partir de cendres de varech. Ce n’est toutefois qu’en 1829 qu’ouvre au Conquet (usine Tissier) la première usine bretonne d’extraction d’iode obtenu par calcination du goémon dans des fours à soude. Des usines à iode se créent le long du littoral breton, par exemple à Pont-l’Abbé en 1852, Vannes en 1853, Quiberon en 1857, l’Aber-Wrac’h (usine Glaizot) en 1873, Guipavas en 1877, Lampaul-Plouarzel et Audierne en 1895, Loctudy et Kérity (Penmarc'h) en 1914, faisant travailler en tout plus de 300 ouvriers à la veille de la Première Guerre mondiale. D'autres usines ouvrirent dans l’Entre-deux-guerres, à Argenton en 1918, Plouescat en 1919, Le Conquet (usine Cougny) en 1921, Plouguerneau en 1922 et cette liste n’est pas exhaustive. La production d’iode atteignit 50 tonnes en 1914, 27 tonnes en 1919, 88 tonnes (le record) en 1928 et 1930.
L'utilisation actuelle du goémon
Un tas de goémon devant l'île Segal à Plouarzel
Goémon mis à sécher devant l'île Segal à Plouarzel
Déchargement de goémon dans le port de Lanildut
Le transport du goémon récolté (photo prise à Roscoff)
Les algues récoltées aujourd'hui sont destinées principalement à l'industrie chimique pour en extraire des alginates.
Dans la littérature
Dans L'Île mystérieuse de Jules Verne, Cyrus Smith et Pencroff brûlent du varech pour obtenir de la 'soude naturelle' qu'ils utilisent pour fabriquer du verre à vitre (chapitre IX), du savon et de la glycérine (chapitre XVII).
Dans le cycle conscience de Franck Herbert, le varrech, aussi appelé lectrovarech, est une "algue sentiente". C'est elle qui régule les flux chaotiques de l'océan de la planète Pandore. Dans le troisième volet du cycle, L'Effet Lazare, l’absence du varech laisse libre l'océan de la planète de recouvrir toutes les terres.
Dans la musique
Dans les Goémons, Serge Gainsbourg livre une image d'inspiration baudelairienne d'amours orphelines que l'on prend que l'on jette comme la mer rejette les goémons.
Tableaux
Le ramassage et le brûlage du goémon sont des scènes qui ont inspiré de nombreux peintres. parmi eux :
Maxime Maufra : La récolte des goémons (1891, musée des beaux-arts de Nantes)
Émile Simon : La Récolte des goémons à Saint-Guénolé
Howard Russell Butler : Les ramasseurs de varech (1886)
Lionel Floch (1895-1972) : Le ramassage du goémon, huile sur toile, vendue 2 000 € à l'hôtel des ventes Bretagne-Atlantique de Quimper en 2013.
Georges Fourrier (1898-1966) : Le brûleur de goémon à Notre-Dame de la Joie, gouache, 1936, vendue 2 150 € à l'hôtel des ventes Bretagne-Atlantique de Quimper en 2013.
Henry Moret : Falaises d'Ouessant (1902)
Paul Gauguin : 'Pêcheuses de goémon (1889 ou 1890)
Paul Gauguin, Pêcheuses de goémon (1889 ou 1890)
Henry Moret, Falaises d'Ouessant (1902, ce tableau représente des goémonières et des tas de goémon en train de sécher)
Howard Russell Butler : Les ramasseurs de varech (1886)
Clement Nye Swift : Ramasseurs de goémon (région de Pont-Aven)
Fêtes
Des "Fêtes du goémon" sont organisées dans plusieurs localités littorales, par exemple à Plouguerneau, à Plougastel-Daoulas, à Esquibien, etc. dans le Finistère.
La "Fête du goémon" de Plouguerneau en 2012 (photo 1)
La "Fête du goémon" de Plouguerneau en 2012 (photo 2)
La "Fête du goémon" de Plouguerneau en 2012 (photo 3)
La "Fête du goémon" de Plouguerneau en 2012 (photo 4)
La "Fête du goémon" de Plouguerneau en 2012 (photo 5)
La "Fête du goémon" de Plouguerneau en 2012 (photo 6)